Le nouveau gouvernement espagnol, un antidote au populisme
Le nouveau gouvernement espagnol, un antidote au populisme
Editorial. Résolument pro-européen, audacieusement féminin et politiquement cohérent, il y a quelque chose de rassurant dans la composition du gouvernement présenté par le premier ministre, Pedro Sanchez.
Le roi espagnol Felipe VI entouré du nouveau gouvernement formé par le premier ministre, Pedro Sanchez, à Madrid le 7 juin. / J.J. Guillen / AP
Editorial du « Monde ». En ces temps de montée du populisme en Europe, il y a quelque chose de rassurant dans la composition du nouveau gouvernement espagnol, présenté jeudi 7 juin au roi Felipe VI par le premier ministre, Pedro Sanchez. C’est un gouvernement résolument pro-européen, audacieusement féminin et politiquement cohérent. Le message est clair : ancrage dans l’Union européenne (UE), stabilité économique et ouverture à la société civile. Ce qui devrait être la norme dans nos démocraties occidentales est devenu si rare que la démarche mérite d’être saluée.
Avec onze femmes sur dix-sept ministres, l’Espagne innove de nouveau. « Ce n’est plus le Consejo de ministros, c’est le Consejo de ministras », plaisante-t-on à Madrid. Un autre gouvernement socialiste, celui de José Luis Rodriguez Zapatero, avait déjà montré la voie en 2005, introduisant pour la première fois en Europe, après la Suède, la parité dans une équipe gouvernementale.
Soutien hétérogène
Pedro Sanchez franchit, lui, un autre palier : il a identifié tant de femmes qualifiées pour des postes de ministre que la parité est largement dépassée. C’est historique et c’est une juste reconnaissance du formidable combat que la société espagnole moderne a mené pour l’égalité entre les sexes. Il faut souhaiter que le prochain palier, partout en Europe, soit celui où le nombre de femmes dans les nouveaux gouvernements ne soit plus un sujet.
Politiquement, la tâche n’était pas aisée pour Pedro Sanchez, dont le parti social-démocrate, le PSOE, est très minoritaire, avec seulement 84 des 350 sièges aux Cortes. Il doit son accession au pouvoir davantage au rejet de son prédécesseur, Mariano Rajoy, victime d’une motion de défiance, qu’à l’adhésion à sa propre personne.
Elu président du gouvernement grâce au soutien hétérogène de divers partis, de la gauche radicale Podemos au parti nationaliste basque (PNV) de centre-droit, en passant par les indépendantistes catalans de gauche comme de droite, il a choisi de compenser cette fragilité en donnant la priorité à la compétence plutôt qu’au saupoudrage d’allégeances politiques. Le résultat est une équipe sagement monocolore, d’orientation centriste.
Le défi est de taille
Enfin, ce gouvernement confirme la fidélité de l’Espagne au projet européen et sa volonté de contribuer à son approfondissement. Josep Borrell, le nouveau ministre des affaires étrangères, ancien président du Parlement européen, saura sans doute mieux que son prédécesseur expliquer aux partenaires de l’Espagne dans l’UE l’enjeu de la douloureuse question de la Catalogne, dont il est lui-même originaire. La nouvelle ministre de l’économie, Nadia Calviño, jusqu’ici directrice générale du budget à la Commission européenne, sera chargée de rassurer Bruxelles sur la politique économique espagnole.
Ce gouvernement, centriste, créatif et modéré, semble à même de répondre aux attentes d’une grande partie de la société espagnole, désireuse de changement, mais soucieuse d’éviter l’instabilité. Le défi est de taille, au-delà de la faiblesse de sa base parlementaire. Il lui faut trouver un consensus sur les principales urgences : rétablir le dialogue avec la Catalogne, régénérer les institutions démocratiques, garantir l’indépendance des médias publics comme de la justice, revenir sur la polémique sur la loi de sécurité et ses restrictions des libertés publiques, notamment.
Il faut donc espérer que les rivalités des partis politiques ne prennent le dessus trop rapidement. Cette « dream team » mérite une chance – pour l’Espagne, et pour l’Europe.