A Durban, les irréductibles fidèles de Jacob Zuma
A Durban, les irréductibles fidèles de Jacob Zuma
Par Adrien Barbier (Durban, envoyé spécial)
Poursuivi avec le groupe français Thales pour corruption, l’ex-président sud-africain reste populaire au sein des masses noires défavorisées.
Comment peut-on encore être pro-Zuma ? L’humiliation de la démission, les accusations de corruption et de viol, les frasques de ses multiples mariages… Pendant que toute l’Afrique du Sud semble pressée d’oublier la décennie que Jacob Zuma a passée au pouvoir, les fidèles de l’ancien président sont déterminés à le soutenir jusqu’au bout.
Vendredi 8 juin, ils étaient encore un millier à Durban, dans son fief du Kwazulu-Natal (est), pour accueillir leur champion à sa sortie du tribunal. L’ex-président apparaissait pour la deuxième fois sur le banc des accusés depuis qu’il a quitté le pouvoir, le 14 février, sous la pression de son parti, le Congrès national africain (ANC). Il est poursuivi aux côtés de l’équipementier français Thales pour une vieille affaire de pots-de-vin versés en marge d’un colossal programme de modernisation de l’armée qui remonte à la fin des années 1990.
Enceintes géantes et stands à saucisses
L’audience, encore préliminaire, n’aura duré qu’une trentaine de minutes – de quoi permettre aux avocats de M. Zuma d’obtenir un report jusqu’au 27 juillet. Le procès en lui-même ne devrait pas débuter avant novembre. Et, au vu de la complexité du dossier, il risque de falloir plusieurs années avant que l’affaire ne soit définitivement tranchée.
Qu’importe : ses partisans ont tenu à être là dès jeudi soir, pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme un « procès politique » et une « chasse aux sorcières ». Dans un parc du centre-ville, enceintes géantes et stands à saucisses ont été montés pour permettre à la poignée d’irréductibles de passer la nuit sur place, bravant le froid de l’hiver austral. Une veillée organisée par la campagne Touche pas à Zuma et financée par des hommes d’affaires, des chefs religieux et des cadres provinciaux de l’ANC restés proches de l’ancien président.
« Qu’est ce qu’il a fait ? C’est complètement injuste, on l’a empêché de finir son mandat. Pour nous, il est toujours président », confie Thulani Shange, 46 ans, principal d’un établissement secondaire. A ses côtés, un militant distribue des bonnets noirs estampillés « ANC », contrevenant aux instructions de la direction nationale qui a interdit de porter les couleurs du parti de Nelson Mandela pour tout ce qui touche au procès de Zuma. Ces derniers jours, des rumeurs de création d’une nouvelle formation se font persistantes. Ce ne serait pas la première fois que les fidèles d’un dirigeant déchu créent leur propre mouvement, sans que cela n’ait jamais remis en cause la domination de l’ANC, au pouvoir depuis 1994 et la fin de l’apartheid.
Le 8 juin 2018, des supporters de Jacob Zuma venus le soutenir devant le tribunal de Durban, où l’ancien président sud-africain a comparu pour la deuxième fois dans une affaire de corruption au côté de l’entreprise française Thales. / GIANLUIGI GUERCIA/AFP
« Zuma restera toujours membre de l’ANC. Et, jusqu’à preuve du contraire, il est innocent », tranche le chef d’établissement scolaire. « C’est une conspiration impérialiste », renchérit Mhlengi Masondo, un étudiant de 25 ans qui arbore un tee-shirt du mouvement Black First Land First (« Les Noirs et la terre d’abord »). « Il défendait un programme de transformation radicale de l’économie au bénéfice des Noirs, et les forces impérialistes sont contre car elles profitent du système en place », argue-t-il.
Au-delà des théories complotistes, ce soutien qui semble indéfectible est le reflet d’un malaise plus profond. Sous ses relents populistes et nationalistes, Jacob Zuma s’est fait le porte-voix des masses noires défavorisées. Car, près de vingt-cinq ans après le changement politique et la fin de l’apartheid qui institutionnalisait la domination de la minorité blanche sur la majorité noire, les inégalités économiques et spatiales perdurent de façon criante.
Et si Jacob Zuma s’est joué du système créé et imposé par les Blancs en trempant dans quelques affaires douteuses, ses partisans n’iront pas lui en tenir rigueur. Surtout qu’en bon leader zoulou il a su redistribuer, notamment dans sa région du Kwazulu-Natal. « Il nous a tout donné : du travail, des logements, l’éducation gratuite », explique Lilly Mbasa, 46 ans, fonctionnaire dans une municipalité près de Durban, elle qui était sans emploi sous la présidence de Thabo Mbeki. « Zuma, c’est notre père, s’il meurt, on meurt ! » plaisante-t-elle.
« Ce sont eux qui sont corrompus »
Dans un contexte de regain de tensions raciales, son successeur, Cyril Ramaphosa, multiplie les gestes destinés à rassurer les milieux d’affaires et la minorité blanche. Les pro-Zuma, eux, se sentent marginalisés, alors que les élections internes de décembre 2017 qui ont débouché sur l’avènement de Ramaphosa se sont jouées à quelques voix. De quoi alimenter les désirs de revanche. Chez Zuma le premier : à 76 ans, loin de chercher à disparaître de la vie publique, il se dit prêt à en découdre, sans rien avoir perdu de sa verve.
L’ancien président sud-africain Jacob Zuma devant ses partisans venus le soutenir devant le tribunal de Durban pour de sa deuxième comparution dans une affaire de corruption avec l’entreprise française Thales. / GIANLUIGI GUERCIA/AFP
A sa sortie du tribunal, l’ancien chef de l’Etat a traversé la foule et les bousculades pour monter sur une estrade. Après avoir esquissé quelques pas aux côtés de danseurs en treillis militaire, il s’est adressé à ses partisans presque intégralement en zoulou. « Ceux qui disent que je suis corrompu, je les connais, je sais ce qu’ils ont fait, ce sont eux qui sont corrompus », a t-il menacé.
Vendredi soir, ses fidèles ont semé le chaos lors d’une réunion locale du parti destinée à élire de nouveaux représentants provinciaux, qui a dû être annulée. Un énième psychodrame qui rappelle l’ampleur des divisions au sein de l’ANC et le défi qui ne fait que croître pour la nouvelle direction, à moins d’un an des prochaines élections.
Cyril Ramaphosa, qui est habilement parvenu à évincer Jacob Zuma du pouvoir en février, n’est pas au bout de ses peines avec son prédécesseur. « Ne me provoquez pas », avait prévenu ce dernier à Durban, le matin du 8 juin, devant ses supporters en transe. Avant de conclure en chanson, avec son refrain fétiche : « Passez-moi ma mitraillette/Ne me retenez pas/J’ai besoin de ma mitraillette. »