Stimuler son cerveau pour combattre la douleur : le pari de Maryne Cotty-Eslous
Stimuler son cerveau pour combattre la douleur : le pari de Maryne Cotty-Eslous
Par Julia Zimmerlich
A 28 ans, Maryne Cotty-Eslous développe Lucine, une application qui permet de soulager les douleurs chroniques, notamment liées à l’endométriose. Elle interviendra dans le festival d’innovation Novaq, organisé le 13 et 14 septembre à Bordeaux, dont « Le Monde » est partenaire.
Une manifestation à Paris pour la reconnaissance de l'endométriose, une maladie touchant de nombreuses femmes. / Romain BEURRIER/REA
« J’ai mal tout le temps. Et depuis quelques mois, je souffre du burn-out de l’entrepreneur », annonce Maryne Cotty-Eslous. Au bout du fil, on ne se rend compte de rien. Maryne Cotty-Eslous semble une force de la nature. Elle parle vite et avec passion de son sujet : la douleur. Une bête noire qu’elle connaît bien. La jeune femme est atteinte d’endométriose et du syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie génétique rare qui touche les tissus conjonctifs qui entourent les organes.
L’entrepreneuse a développé au fil des ans de nombreuses techniques pour soulager sa propre douleur. Car Maryne Cotty-Eslous apprend et réfléchis plus vite que la moyenne. Surdouée, hypersensible, hyperactive, elle cumule les diplômes, les hobbies, les maladies et les épreuves de la vie. Depuis quatre ans, la jeune femme de 28 ans développe un dispositif médical pour les douleurs chroniques : une application pour téléphone ou tablette baptisée Lucine, qui sera capable d’évaluer en 45 secondes le niveau de douleur du patient et qui lui proposera un soin pour le soulager à domicile. Un « e-médicament » déjà soumis à des tests cliniques et qui pourra bientôt, elle l’espère, être conseillée par des médecins.
Comment fonctionne Lucine ? Le patient ouvre l’application sur son téléphone. Un court questionnaire permet de dresser un diagnostic rapide. Sur l’écran, le message « votre soin est en cours de préparation » s’affiche, avec une image personnalisée apaisante. « Des études ont montré que cette simple phrase fait descendre le niveau de douleur d’un cran. Le patient se sent pris en charge, on ne le lâche pas. » Plusieurs types de soins peuvent alors lui être proposés en fonction de son niveau de douleur, de son environnement et de son état émotionnel : une relaxation multi-sensorielle, un serious game personnalisé, une séance de stimulations immersives en réalité virtuelle…
Effet placebo
Tout l’art de Lucine est de jouer avec le cerveau du patient. « Il suffit de comprendre comment il fonctionne et de lui envoyer les bons messages, résume l’experte. En tout, nous avons identifié une quarantaine de stimulations différentes qui vont permettre soit de détourner l’attention du cerveau, soit de baisser le niveau de cortisol [une hormone intervenant dans la gestion du stress] en travaillant sur la cohérence cardiaque du patient, soit de provoquer un orgasme cérébral, qui va lui-même enclencher la production d’ocytocine et d’endorphine. » Un « shoot de morphine naturelle » qui permet de diminuer les douleurs.
La technologie de Lucine est le fruit de dix ans d’accumulation de connaissances de Maryne Cotty-Eslous. A l’université, la jeune femme passe de multiples diplômes en droit, psychologie, histoire, anthropologie, neurosciences. A la fac, on la voit comme une extraterrestre. Pendant deux ans, elle mêle anthropologie et neurosciences dans le service du professeur François Tison, spécialiste de Parkinson au CHU de Bordeaux (Gironde). « Je voulais poursuivre en thèse et mener des recherches sur l’effet placebo. Quand il donnait des solutions neutres à ses patients pour diminuer les crises de tremblements, il obtenait 80 % de mêmes résultats qu’avec un médicament », se souvient Maryne Cotty-Eslous.
Aujourd’hui, son projet Lucine est financé grâce à des partenariats avec des laboratoires pharmaceutiques, et à la Banque publique d’investissement. Son projet suscite aussi l’intérêt des divers chercheurs universitaires, dont Serge Marchand, spécialiste mondial en neurophysiologie de la douleur, installé à Montréal (Québec). « Le Canada nous déroule le tapis rouge, s’amuse la jeune femme. Nous sommes en train d’y créer une chaire de recherche sur la douleur et les nouvelles technologies », assure Maryne Cotty-Eslous. Les premiers tests cliniques sur 2 000 personnes en France, Belgique, Suisse et au Canada vont démarrer avant la fin de l’année, affirme-t-elle.
Les premiers tests probants
Avec les équipes du laboratoire Ipsen, Lucine a développé une première solution pour les patientes atteintes d’endométriose, qui permet, en quelques questions, de poser un diagnostic. Mal connue, cette maladie touche une femme sur dix et peut provoquer des douleurs telles qu’il devient impossible de se lever ou d’avoir des rapports sexuels. « Lucine permet d’accélérer la phase de diagnostic et de libérer du temps dédié à l’écoute de la patiente. Le simple fait d’être écouté et de pouvoir comprendre ce que l’on vit permet de diminuer de 10 à 15 % le niveau de douleur », affirme Maryne Cotty-Eslous. Pour le traitement de l’endométriose, le scénario de Lucine commence dans la nature. La patiente est ensuite immergée, virtuellement, dans les nuages où elle va recevoir des stimulations auditives et visuelles « qui vont déclencher la production de morphine naturelle ».
Les premiers tests réalisés dans des centres de douleur seraient probants. « Lucine est une pépite française. Maryne Cotty-Eslous a une approche scientifique rigoureuse qui va nous permettre d’améliorer la qualité de vie des patients », avance Valérie Bourbon, vice-présidente chez Ipsen. Elle poursuit : « Lucine s’appuie sur des protocoles médicaux éprouvés, utilisés dans les centres de la douleur. En utilisant la technologie de manière intelligente, Maryne Cotty-Eslous est capable de rendre des techniques complexes accessibles à tous, et à domicile. » Outre l’endométriose, des applications pour les douleurs liées à la sclérose en plaques ou dans le domaine de l’oncologie sont envisagées.
Avec sa solution, Maryne Cotty-Eslous aimerait en tout cas apporter une réponse aux 12 millions de Français atteints de douleurs chroniques, selon les estimations de la Société française d’étude de traitement de la douleur. Et, elle l’espère, désengorger les 252 centres antidouleur du territoire, où il faut compter entre 2,5 et 9 mois d’attente pour obtenir un rendez-vous. D’autant que « la douleur qui dure finit par altérer les systèmes naturels de régulation de la douleur », explique le psychiatre Eric Serra, responsable de la consultation de la douleur au CHU d’Amiens, et qui est aussi le directeur médical de Lucine. Le cerveau va garder en mémoire la sensation de douleur qui va perdurer alors même que l’origine physiologique est résolue. Pour éviter que les gens deviennent sensibles, il vaut mieux traiter précocement. »
Maryne Cotty-Eslous interviendra lors du Festival de l’innovation Novaq.
Les 13 et 14 septembre, la région Nouvelle Aquitaine, en partenariat avec Le Monde, organise deux jours de débats, conférences, pitchs et ateliers au H14, à Bordeaux.