La loi sur la fin de vie encore peu mise en œuvre
La loi sur la fin de vie encore peu mise en œuvre
Par François Béguin
L’IGAS dresse un bilan « contrasté » de la prise en compte du texte Claeys-Leonetti sur le droit à la « sédation profonde ».
Deux ans après son entrée en vigueur, la loi Claeys-Leonetti « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » a-t-elle atteint son objectif ? Meurt-on moins mal en France depuis la création par cette loi d’un droit à « dormir avant de mourir pour ne pas souffrir », grâce à la délivrance, sous certaines conditions, d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ? Dans un rapport publié lundi 11 juin, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) dresse un premier bilan « encourageant » de la mise en œuvre du texte, qu’elle juge « positive mais contrastée ». Elle formule à cette occasion trente recommandations pour une application « plus homogène » et « plus rigoureuse ».
Ce bilan, dévoilé quelques jours après la publication de la synthèse des Etats généraux menés par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en vue de la révision des lois de bioéthique au premier semestre 2019, était très attendu. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, qui l’avait commandé en novembre, avait dit vouloir l’attendre avant de se prononcer sur l’opportunité d’une nouvelle loi sur la fin de vie. Le 28 février, une partie des députés de la majorité s’est déjà prononcée en faveur d’une légalisation de l’assistance médicalisée au suicide, tandis que le chef de l’Etat n’a pour l’instant pas fait clairement connaître sa position.
« Voile d’ignorance »
Parmi les points à mettre au crédit d’un texte qui avait été voté fin 2015 par une large majorité transpartisane, l’IGAS souligne d’abord qu’il « offre une réponse adaptée à la prise en charge de l’immense majorité des parcours de fin de vie ». Par sa simple existence, il aurait permis une libération de la parole entre les patients, leur entourage et les professionnels de santé. Le dialogue se serait « ouvert, étoffé et amélioré », la loi Claeys-Leonetti permettant de « réduire les tabous et d’avoir davantage de marges de manœuvre pour parler de souffrance, d’accompagnement et de confort, de sédation et d’adaptation dans le temps, etc. »
Si l’IGAS reconnaît que la loi Claeys-Leonetti a bien « atteint son objectif d’impulser une nouvelle dynamique » à la prise en charge de la fin de vie, elle ne délivre pas de satisfecit pour autant. « Beaucoup de limites et de difficultés demeurent dans la bonne mise en œuvre de la loi du 2 février 2016 », relève-t-elle. Elle déplore ainsi avec vigueur le « voile d’ignorance » empêchant de mesurer et d’objectiver l’application de la loi. Impossible par exemple de connaître le nombre de sédations profondes et continues jusqu’au décès mises en œuvre depuis deux ans, le nombre de demandes de patients formulées, le nombre de demandes refusées, etc.
« Conditions insuffisamment rigoureuses »
Malgré cette absence de chiffres nationaux, l’IGAS juge que ce droit à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès est un droit « encore peu exercé et de manière très hétérogène » d’un établissement sanitaire à un autre. Au centre régional de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne), par exemple, seules deux sédations de ce type auraient été mises en œuvre à la demande du patient (avec davantage de demandes, « qui ont pour partie fait l’objet de refus »). A la Maison médicale Jeanne-Garnier, à Paris, qui accueille des personnes malades à un stade avancé ou terminal de leur affection, il y a eu « une dizaine de cas seulement depuis 2016, sur environ 300 patients décédés, ayant fait l’objet d’une sédation ».
L’IGAS souligne également que ce droit à la sédation profonde et continue est exercé « dans des conditions insuffisamment rigoureuses, en particulier à domicile et en Ehpad », notamment en raison du degré « encore limité » de maîtrise des pratiques sédatives par les équipes. Sur d’autres volets du texte, comme la mise en place de directives anticipées contraignantes, par lesquelles chacun peut faire connaître son refus d’un acharnement thérapeutique, l’IGAS constate que ces directives « n’ont pas encore trouvé pleinement leur place ni leur utilité », notamment en l’absence d’un registre national permettant de les recenser.