TV – « The Yards » : James Gray au cœur de la loi
TV – « The Yards » : James Gray au cœur de la loi
Par Samuel Blumenfeld
Notre choix du soir. Le cinéaste compose ici une tragédie ordinaire dans le New York des années 1970 (sur TCM Cinéma à 20 h 45).
The Yards (2000) Official Trailer - Charlize Theron, Joaquin Phoenix Movie HD
Durée : 02:10
The Yards, film de James Gray sorti en 2000 après le brillant Little Odessa (1994), pourrait presque se regarder sans le son : le nœud de l’intrigue, d’un classicisme exemplaire, resterait tout aussi limpide. Durant les cinq premières minutes, on observe le visage défait et hagard de Leo Handler (Mark Wahlberg). Il tente de se préparer, dans un wagon de métro, après un séjour de plus d’un an en prison à la suite d’un vol de voiture, au scénario de son retour dans sa famille, installée dans le Queens. A cause du goût de James Gray pour la tragédie, déjà observable dans Little Odessa, on devine que cette entrée annonce une sortie – tout retour du fils prodigue est chimérique –, un passage qui n’apportera que malheur et chagrin.
Cette famille n’a rien d’extraordinaire. Il y a bien sûr les signes de la santé défaillante de la mère de Leo (Ellen Burstyn), le regard fixe et dur de sa tante, Kitty Olchin (Faye Dunaway), les manières déliées et trop attentives de son meilleur ami, Willie Guttierez (Joaquin Phoenix), dont les dollars débordent presque de la poche, le mal de vivre d’Erica (Charlize Theron), la fille de Kitty, et la figure du patriarche, Frank Olchin (James Caan), nouveau venu dans la famille après son mariage avec Kitty. L’entreprise d’Olchin, l’Electric Rail Corporation, règne sur le métro du Queens. Mais ces fêlures semblent anecdotiques. Le mal est plus insidieux car il vient de plus loin, comme une malédiction ancestrale.
The Yards est un film sur la loi. Il y a celle du silence, observée par Leo pendant sa détention pour couvrir ses camarades. Il y a les règles qui s’appliquent lors des arbitrages des commissions chargées d’attribuer les différents marchés d’équipements des métros new-yorkais, et qui n’empêchent ni malversations ni corruption. Il y a enfin une loi liée à la famille, la plus floue, qui consiste à maintenir son équilibre et sa prospérité par tous les moyens possibles. Ces trois lois sont violées par Leo.
Précision maniaque
La désuétude de The Yards, des costumes années 1970 des personnages à une musique de la même époque, goût du passé souligné par la présence d’Ellen Burstyn, Faye Dunaway et James Caan ; la préoccupation morale du film – dénoncer son prochain au nom de principes moraux, ou se taire pour respecter les liens du sang –, qui nous ramène aux années 1950, autour de la liste noire et des mouchards ; la volonté de James Gray de décrire des personnages proches des archétypes de la tragédie grecque… Tout cela fait de The Yards un film abstrait, à l’espace-temps indéterminé.
La précision maniaque du réalisateur à nous montrer le fonctionnement – ou plutôt les dysfonctionnements – des institutions new-yorkaises, de la police au tribunal en passant par les différentes commissions d’arbitrage de la métropole américaine, est une façon détournée d’exhiber la faillite de la loi. Le classicisme de ce film n’est qu’une manière subtile et brillante de distiller une vision négative des rapports humains. La civilisation selon James Gray n’est qu’une forme polie et institutionnalisée de la sauvagerie.
The Yards, de James Gray. Avec Mark Wahlberg, Joaquin Phoenix, Charlize Theron (Etats-Unis, 2000, 115 min).