Terrifiants ou lumineux : quatre films pour oublier la pluie
Terrifiants ou lumineux : quatre films pour oublier la pluie
Chaque mercredi, « La Matinale » vous propose une sélection de films et documentaires à voir sur grand écran.
« Simone Barbès ou la vertu », film de Marie-Claude Treilhou, avec Ingrid Bourgoin. / LA TRAVERSE
LES CHOIX DE LA MATINALE
Voyons les choses d’un bon œil : la météo est particulièrement propice aux longues soirées cosy dans les salles obscures. Ceux qui ont le cœur bien accroché iront frissonner devant Hérédité, les amateurs de documentaire choisiront Madame Fang et Les Filles du Feu, les nostalgiques courront voir la reprise du petit chef-d’œuvre qu’est Simone Barbès ou la vertu.
« Hérédité » : l’horreur, c’est la famille
HÉRÉDITÉ Bande Annonce (2018)
Durée : 02:28
Hérédité commence juste après la mort de la mère d’Annie (Toni Collette). Le service funéraire donne l’occasion à la nouvelle orpheline de régler quelques comptes avec la défunte. De toute la famille, seule Charlie (Milly Shapiro) semble vraiment porter le deuil. Or Charlie n’encourage pas particulièrement l’empathie, avec son visage d’oiseau de proie, son regard opaque et ses tics (elle claque sa langue contre son palais, un tic insignifiant qui sera plus tard l’occasion des moments les plus terrifiants du film). Entre l’incapacité d’Annie à pleurer et les travers inquiétants de Millie, il n’est pas besoin d’un diplôme de thérapeute familial pour comprendre que ce nœud de vipères-là ne peut se dénouer que dans la tragédie. Ce ne sont pas forcément les signes du surnaturel – les runes ensorcelées, les séances de spiritisme – qui donnent à Hérédité sa force toxique, mais plutôt la remise en scène, selon les règles du film d’horreur, des grandeurs et servitudes de la vie de famille. Les Graham ne descendent pas aux enfers, ils se laissent engloutir dans sa vase, sur un rythme funèbre qui explique que la durée d’Hérédité (plus de deux heures) soit exceptionnelle pour un film d’horreur. Thomas Sotinel
Film américain d’Ari Aster, avec Toni Collette, Gabriel Byrne, Milly Shapiro, Alex Wolff, Ann Dowd (2 h 07).
« Madame Fang » : Regarder la mort en face
MADAME FANG Bande Annonce (Documentaire, 2018)
Durée : 01:48
Récompensé en 2017 par le Léopard d’or du Festival de Locarno, Madame Fang est sans doute l’un des films les plus âpres et dérangeants du documentariste Wang Bing, chroniqueur intransigeant et insubordonné des avanies de la Chine contemporaine. En effet, on y suit pas à pas, avec une grande proximité, l’agonie à domicile de Fang Xiuying, une dame de 68 ans, ancienne ouvrière agricole de la région du Fujian, à l’extrême sud-est du pays, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Le film serait vite insupportable s’il ne s’en tenait qu’à cet événement limite de la mort au travail. Or, il en fait surtout l’épicentre d’une réalité environnante qui s’étend, de proche en proche, de l’attente piaffante de la famille à la vie ordinaire du voisinage. Un petit bout de rue et de monde suspendu, en quelque sorte, à son dernier souffle. Quelque chose de vertigineux se joue dans le regard de Madame Fang, se refermant peu à peu sur une certaine mémoire tacite de la condition paysanne sous le communisme. Regard, peut-être, de la mort elle-même, qui voit au-delà des apparences, traverse l’écran pour scruter la conscience du spectateur. Revient alors, avec lui, l’illustre et imparable aphorisme de Nietzsche : « Quand ton regard pénètre longtemps au fond d’un abîme, l’abîme, lui aussi, pénètre en toi. » Mathieu Macheret
Documentaire chinois, français et hongkongais de Wang Bing (1 h 26).
« Les Filles du feu » : Des combattantes kurdes saisies dans la quotidienneté de la guerre
FILLES DU FEU de Stéphane Breton - Film annonce
Durée : 01:48
Pour démêler l’écheveau géopolitique qui s’est noué entre Syrie, Turquie et Irak, il faut lire les journaux, lire et écouter les chercheurs. Si l’on est décidé à se lancer dans cette entreprise, il ne faut pas compter sur Stéphane Breton pour y contribuer. Pourtant l’ethnologue et cinéaste a passé plus de temps sur le terrain que bien des spécialistes. Ce qu’il en a ramené, un film bref, mystérieux et pourtant évident, d’une grande beauté, n’a rien à voir avec le journalisme, encore moins avec la pédagogie. Suivant plusieurs groupes de combattantes kurdes dans le nord de la Syrie, Stéphane Breton a capté une image de la guerre, et des gens qui la font. L’image est inusitée, puisque ce sont ici des femmes qui vont au combat. Elle ne sera pas spectaculaire, puisque la caméra ne les suivra pas jusque dans l’action. Les Filles du feu est découpé en longues séquences, qui évoquent les heures de la vie monastique. La première montre deux combattantes cheminant dans un paysage désolé, sous un ciel lourd. Un petit chien noir et blanc leur tourne autour, se met à creuser le sol. L’une des femmes explique à sa camarade que l’animal tente de déterrer le cadavre d’un de leurs adversaires, sommairement inhumé par les troupes kurdes. Le phénomène se reproduira dans d’autres séquences, le calme – voire la sérénité d’un moment – est lézardé par le signe des batailles passées et à venir. T.S.
Documentaire français de Stéphane Breton (1 h 20).
« Simone Barbès ou la vertu » : un chef-d’œuvre oublié sur l’état du désir à l’aube des années 1980
Simone barbès ou la vertu 1, de Marie Claude Treillou
Durée : 09:32
Où était donc passée Simone Barbès depuis tout ce temps ? Longtemps resté invisible, hormis sur de piètres copies pirates ou lors de rediffusions hasardeuses à la télévision, ce premier long-métrage de Marie-Claude Treilhou, sorti dans l’indifférence en février 1980, refait surface à la faveur d’une splendide restauration, qui rend à sa dérive noctambule tout son lustre équivoque et étincelant. Coup de maître d’un culot et d’une grâce infinis, le film apparaît comme l’un des chefs-d’œuvre oubliés du cinéma français, trait d’union possible entre le cinéma populaire d’avant-guerre et les conquêtes libertaires d’après la Nouvelle Vague. Il incarnerait même, rétrospectivement, ce que le progressisme appelle aujourd’hui de ses vœux : un contre-modèle soucieux des marginalités, des diversités sexuelles, écrit et tourné dans un élan fou par une jeune femme combative d’à peine trente ans.
Trente-huit ans plus tard, il n’a rien perdu de son bouillonnement existentiel ni de sa verve sentimentale. Simone Barbès (Ingrid Bourgoin, comète fulgurante des années 1980) est une tige brune et incandescente, à la gouaille incendiaire, figure discrète de la nuit parisienne qu’on accompagne le temps d’une seule soirée, découpée en trois actes. Ouvreuse dans un cinéma porno du quartier Montparnasse. Amoureuse flouée de la serveuse d’une boîte lesbienne. Virée avec un inconnu dans un Paris endormi. Tourné à la toute fin de 1979, sur la brèche de la décennie suivante, Simone Barbès ou la vertu rendait ainsi visible des lieux et des milieux que le cinéma ignorait, et captait avec une acuité sidérante la bascule de son époque. M.M.
Film français de Marie-Claude Treilhou. Avec Ingrid Bourgoin, Martine Simonet, Michel Delahaye (1 h 16).