Construite en 1883, l’Ecole normale d’Agen accueille depuis 2017 une école d’informatique et à partir de septembre 2018 un incubateur de start-up. / ADRIEN DE TRICORNOT / « LE MONDE »

Tout un symbole : érigés en 1883, les bâtiments de l’Ecole normale d’Agen – devenue entre-temps Ecole supérieure du professorat et de l’éducation – ont vu en 2017 les futurs professeurs partir pour des locaux plus modernes. Ce majestueux bâtiment en forme de T est en train de faire sa mue pour se transformer en campus numérique. Pour symboliser cette transformation, il organise du 22 au 24 juin un concours de start-up des territoires ruraux, dont Le Monde est partenaire.

En arrivant, le visiteur fait un voyage dans le temps, découvrant 4 000 mètres carrés de salles de classe et d’internat avec plafonds hauts et longs couloirs. Une série d’aménagements successifs rappelle les ambiances des dernières décennies, depuis les années 1950 : écriteaux à l’ancienne et téléphones à cadran fixés aux murs, belles tables massives en bois, linoléums défraîchis au sol, moquettes aux couleurs passées, escaliers récents ajoutés en mezzanine, serres transformées en espace cafétéria…

Abandonné au dernier étage, un piano Pleyel hors d’âge a probablement été jugé trop fatigué pour déménager. Les immenses caves recèlent encore quelques bureaux d’élèves en bois, à l’ancienne. L’ensemble se prolonge par 3 000 mètres carrés de dépendances, comprenant un amphi vintage avec de raides fauteuils en bois et un gymnase déprimé, entourés de cours gagnées par les herbes folles et de jardins plantés d’arbres.

« Quand je suis arrivé, j’avais l’impression de me perdre dans un décor de cinéma », explique Damien Bizot, le jeune directeur de ce campus numérique en devenir.

Le campus numérique d’Agen sera lancé à l’occasion d’un concours de start-up des territoires ruraux, du 22 au 24 juin, dont « Le Monde » est partenaire. / ADRIEN DE TRICORNOT / « LE MONDE »

Le temps est passé, mais de nouveaux occupants ont commencé à arriver, discrètement. Accroché aux grilles, le panneau vert et blanc In’Tech prévient de la présence de cette « école supérieure d’ingénierie et d’informatique » de forme associative, filiale de l’Ecole supérieure d’informatique, électronique, automatique (Esiea), qui compte aujourd’hui 120 élèves sur le site et occupe, avec son encadrement, quelques salles déjà rénovées où des ordinateurs sont répartis en îlots.

Des conférences ouvertes au public ont déjà été organisées, sur des thèmes comme l’intelligence artificielle, attirant des habitants du quartier. L’aventure franchit une nouvelle étape : ce concours de start-up des territoires ruraux va permettre de sélectionner les premiers occupants du campus numérique. Ceux-là s’installeront en septembre dans l’incubateur qui sera situé au dernier étage du bâtiment. Selon les plans retenus, il sera composé d’un plateau central et d’une série de petits bureaux individuels, dont les fenêtres, dans les anciennes chambres de l’internat, surplombent la ville. Il doit être prochainement mis en chantier, et fait partie de la première tranche de rénovations, avec le soutien des collectivités locales et des fonds européens, pour un montant de 2,4 millions d’euros.

En cours de rénovation, les anciens locaux de l’Ecole normale d’Agen accueillent une école d’informatique, InTech’. / ADRIEN DE TRICORNOT / « LE MONDE »

Pour ce concours, vingt candidatures sont en cours de présélection, repérées lors d’ateliers de présentation ou issues de dossiers reçus en ligne. Lors de la finale, les prétendants se présenteront et travailleront ensemble pendant trois jours. L’objectif : intégrer gratuitement, pour une période de six mois renouvelable, le nouveau campus numérique et bénéficier du soutien des acteurs de ce campus : Inoo, un réseau qui propose des services d’incubation et est chargé d’animer le projet ; ETIC 47, une association qui regroupe une cinquantaine de prestataires du numérique du département – sur 200 recensés ; et bien sûr In’Tech, dont la création a été soutenue par les deux premiers.

A Agen, le Campus numérique 47 propose un concours de start-up des territoires ruraux, du 22 au 24 juin 2018, dont « Le Monde » est partenaire. / ADRIEN DE TRICORNOT / « LE MONDE »

« Le concours revient à créer pendant soixante-douze heures un incubateur éphémère, où chaque journée correspond à l’une des trois phases de la création d’une entreprise : il faudra présenter son modèle d’affaires, puis les technologies retenues et enfin le marketing et la commercialisation projetée », explique Guillaume Maison, chef d’entreprise et président d’Inoo.

Le jury est présidé par Alain Tingaud, président du club de rugby Sporting union agenais (SUA), ancien entrepreneur – il a cofondé l’éditeur de logiciels InfoVista – et aujourd’hui investisseur dans des start-up avec son fonds Alain Tingaud Innovation. Des personnalités comme Olivier Bernasson, fondateur du site de vente en ligne Pecheur.com en font également partie.

L’ancienne Ecole supérieure du professorat d’Agen est en train de devenir un campus numérique. / ADRIEN DE TRICORNOT / « LE MONDE »

« En trois jours, on ne bâtit pas un projet viable et mûr, mais on peut se connecter à l’écosystème du département, ce qui est essentiel pour réussir. Etre accueilli gratuitement dans le campus numérique sera une belle dotation. Ce que nous voyons avec les porteurs de projet, c’est que mieux vaut être sans argent mais accompagné que seul avec de l’argent », commente Julien Frisson, chef d’entreprise et administrateur d’Inoo.

« Dans un concours comme celui-là, certains ont une super idée de technologies mais ne l’ont pas fait valider par le marché. A l’inverse, d’autres ont trouvé une niche commerciale, savent élaborer un plan marketing, un prévisionnel, voire une levée de fonds. J’espère qu’on va arriver à “matcher” des gens qui sont complémentaires et à faire venir des jeunes sur le territoire », ajoute Hubert Corbalan, chef d’entreprise et président d’ETIC 47.

Le but des fondateurs du campus numérique a d’abord été de retenir ces jeunes de la région qui partaient, faute de trouver une formation adéquate sur place, alors que les entreprises souhaitaient en recruter. « Quand notre réseau a été créé il y a sept ans, le constat a été fait que les entreprises ne connaissaient pas les prestataires locaux et consultaient ceux de Bordeaux ou Toulouse, poursuit M. Corbalan. Il n’existait pas à l’époque de formation à Agen – un BTS systèmes et réseaux a été ouvert depuis –, ce qui conduisait les jeunes à partir vers ces deux métropoles et souvent à y trouver un emploi. »

Les anciennes salles de cours de l’Ecole supérieure du professorat d’Agen. / ADRIEN DE TRICORNOT / « LE MONDE »

C’est aussi la raison de l’arrivée d’In’Tech. Diplômé en 1975 de l’Esiea, Jean-Michel Talavera s’est installé dans la région d’Agen après une carrière bien remplie et a eu l’opportunité, à la demande des acteurs du secteur et avec le soutien des collectivités locales, de proposer une formation professionnalisante (un diplôme de formation professionnelle bac + 5) dans cette ville de 34 000 habitants. Aujourd’hui, quatre élèves de l’école sur cinq viennent du Lot-et-Garonne.

La scolarité se déroule sur cinq ans, ou dix semestres, en commençant par deux ans et demi d’apprentissage de l’informatique par projets – « toujours réalisés à la demande d’un commanditaire », insiste le président et directeur d’In’Tech Agen. Avec, par exemple, la conception d’un outil de réservation pour le Festival de danses et musiques du monde de Pujols ou d’une application 3D pour la formation aux règles d’hygiène et de sécurité pour les laboratoires UPSA, nés à Agen.

La deuxième partie de la scolarité comprend six mois de stages et deux années de formation en alternance, qui permettent de rembourser l’étudiant des frais engagés en début de scolarité, soit 5 000 euros par semestre. A la rentrée 2017-2018, M. Talavera a ouvert un campus In’Tech sur le même principe à Dax (Landes) et s’apprête à faire de même à Pamiers (Ariège), Nîmes et Béziers (Hérault) à la prochaine rentrée, visant 750 à 800 étudiants pour In’Tech Sud en 2021-2022.

Lundi 4 juin, des élèves d’In’Tech à Agen présentent leur projet d’application de réservation de billets pour le festival de Pujols. / ADRIEN DE TRICORNOT / « LE MONDE »

La demande est là. Pour la toute première promotion d’In’Tech, lancée en 2015 à Agen avec vingt élèves, il avait reçu 67 offres de stage… Les entreprises traditionnelles ont besoin d’informaticiens – le département est notamment le siège du distributeur Gifi –, mais la « tech » est aussi bien représentée, avec l’éditeur de logiciels médicaux Sigems ou le site JeChange, un comparateur de prix dans le domaine de la banque, de l’assurance, de l’énergie ou des télécoms, qui permet aux particuliers de changer de prestataire.

« Dans les territoires ruraux, il existe de petites entreprises informatiques ou des indépendants, mais aussi des agences Web qui travaillent pour de grandes entreprises depuis des villages, comme Prayssas (ArtMédia) ou Pennes-d’Agenais (ProfilWeb). Bien que la fibre ne desserve pas encore les villages, elles arrivent à se débrouiller avec la couverture hertzienne en haut débit », reprend Hubert Corbalan.

Des élèves de l’école d’informatique In’Tech à Agen. / In’Tech

C’est la raison pour laquelle le département du Lot-et-Garonne investit 3 millions d’euros par an pour généraliser l’accès à la fibre optique – qui aujourd’hui n’atteint que quelques localités comme Agen intra-muros – en même temps qu’il a soutenu la création du campus numérique. Celui-ci est une pierre angulaire de la reconversion du Lot-et-Garonne, durement frappé par la désindustrialisation, notamment dans la région de Fumel. Ce phénomène sert d’ailleurs de toile de fond au récent film de Stéphane Brizé, En guerre, avec Vincent Lindon.

« Nous sommes un territoire rural coincé entre deux métropoles, Bordeaux et Toulouse. Il nous faut être assez attractif pour puiser dans leurs écosystèmes et nous y insérer », résume Jean-Luc Giordana, directeur général adjoint du développement économique du département.

A Agen, l’ancienne école du professorat accueille aussi des stages d’informatique ou de métiers industriels organisés par le centre régional de reconversion technologique (C2RT). Ces formations de six à neuf mois, gratuites et financées par la région, accueillent un à deux groupes de huit à douze stagiaires par an, âgés de 18 à 52 ans. « Il existe une très forte demande : le taux de placement directement à la sortie est de 70 à 80 %, pour la plupart embauchés dans la région. Pour l’informatique, il ne faut pas forcément avoir un premier niveau de formation dans ce domaine, mais une appétence », explique Thierry Bourlanges, directeur du C2RT de Fumel et membre de l’équipe de direction d’In’Tech.

Entre Toulouse et Bordeaux, le Lot-et-Garonne veut vérifier une des promesses originelles du Web : la possibilité de localiser des activités un peu partout, même dans de petites villes ou des territoires ruraux.