Le pilote français Sébastien Bourdais (Ford GT), jeudi 14 juin au Mans (Sarthe), engagé pour les 24 Heures des 16-17 juin. / CAP

« C’est Sébastien Bourdais ! » Dans le village du circuit du Mans où se courent les 24 Heures, samedi 16 et dimanche 17 mai, l’enfant du pays vole la vedette à Fernando Alonso, le double champion espagnol de formule 1, engagé dans la mythique épreuve du championnat du monde d’Endurance (WEC, en anglais). Mince, blond, de grands yeux bleus, il a beau marcher casquette baissée, en ce jeudi d’essais qualificatifs, le Manceau est accosté à chaque pas par des fans, échange trois phrases, accepte un selfie – puis recommence. Mais d’où vient la popularité de ce Sébastien Bourdais, peu connu des Français mais adoré ici, comme aux Etats-Unis, où il vit, avec sa femme et ses deux enfants, et pilote en IndyCar, le championnat de monoplaces américain ? Rencontre avec un miraculé de 39 ans, qui défend son métier et le droit au danger, avant de prendre le départ pour la 12e fois sur la grille sarthoise.

Sebastien Bourdais Turn 2 Incident During Indy 500 Qualifying
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Certains se souviennent peut-être des images du 20 mai 2017, lors des essais des 500 Miles d’Indianapolis. Une voiture heurte un mur à 372 km/h. Un choc d’une violence inouïe, 118 G enregistrés à l’impact, la voiture s’enflamme, se disloque. Personne n’imagine alors que le pilote soit en vie. Puis une main bouge, des secours efficaces, une opération réussie pour réduire les multiples fractures des jambes et du bassin et une photo publiée le surlendemain sur Twitter. Sébastien Bourdais, en équilibre sur ses béquilles, rassure ses amis, ses fans, sa ville, sa région : « Je me sens plutôt bien depuis l’opération, je reviendrai à un moment donné, c’est juste que je ne sais pas encore quand. »

Rencontré par Le Monde seize jours avant son accident. Sébastien Bourdais était alors très remonté contre les mesures sécuritaires qui aplanissent les circuits et tuent, selon lui, la formule 1 à petit feu. En ligne de mire, les tracés du type Paul Ricard, dans le Var, qui accueille le Grand Prix de France dimanche 24 juin – « On a l’impression de rouler sur un parking ! » Sans parler de l’état d’esprit en France, où l’on « diabolise le sport automobile ».

Son expérience en IndyCar lui offre un point de comparaison. « Les ovales, c’est autre chose. » Le plus connu d’entre eux, à Indianapolis, draine 350 000 personnes en un jour, venues vibrer au rythme des trente voitures lancées à près de 400 km/h, entre deux murs. Dans ces conditions, évidemment, « la sécurité, c’est un peu une illusion. Vous pouvez mourir dans un choc à 50 km/h… » Ou rester en vie après un choc à 372 km/h…

On pourrait croire qu’un tel événement l’a changé. Treize mois plus tard, alors que le show des 24 Heures du Mans s’étire sur une semaine, entre le pesage, les essais, les qualifications, les visites de stand, la parade, la foire, les concerts… Sébastien Bourdais persiste et signe.

« La différence, lors de mon accident, entre vivant ou pas vivant, c’est cinq degrés d’incidence. »

« Entre ce qu’on fait nous [pilotes d’IndyCar], entre deux murs à 380 km/h, et les circuits de F1, il y a un décalage. Après, qu’on prenne trop de risques, c’est à débattre. La différence, lors de mon accident, entre vivant ou pas vivant, c’est cinq degrés d’incidence. Le jour où on commence à trouver que les risques sont trop élevés, on fait autre chose, c’est tout. » Sébastien Bourdais poursuit : « En F1, je ne change pas d’avis : à force de mettre des bandes blanches, on fait la course sur des parkings. On s’égare. Je pense qu’on peut rendre les pistes plus sécurisées autrement, afin qu’une erreur de pilotage engendre une perte de temps et non une pénalité infligée a posteriori par des juges. »

Le sujet lui tient à cœur, d’autant qu’il est la cause, selon lui, de la désaffection d’une partie du public. Pas forcément pour une raison très saine d’ailleurs. « Malheureusement, le risque, le danger et les conséquences d’erreurs qui peuvent être fatales, notamment sur Ovale, attirent un certain nombre de téléspectateurs, c’est clair. Est-ce la bonne raison : non. Il doit y avoir un moyen de gérer les risques et le spectacle autrement. »

En revanche, pas question d’attaquer le championnat d’Endurance, en difficulté cette saison. « C’est comme cela lorsqu’on est tributaire de l’engagement des constructeurs. Il y a des cycles qui se passent bien et d’autres où il y a pénurie. »

La Formule E, de monoplaces électriques, ne lui semble pas être une alternative. Un volant lui a été proposé au côté du fils de Roger Penske, son patron d’écurie en IndyCar en 2012-2013. Mais sans le convaincre. « Tant que l’électrique n’aura pas atteint un niveau de performance supérieur », même si « ça paye bien », ce n’est pas assez excitant.

« Choc culturel »

Son parcours éclaire sur ses engagements. « Je suis né au Tertre-Rouge, à l’entrée de la ligne droite des Hunaudières, difficile de faire mieux ! », s’amuse-t-il. Il court la première fois en formule Campus en 1995 à 16 ans, et devient champion de F3000 en 2002. Parallèlement, il passe un bac S, puis un DEUG de physique-chimie, mais l’IUT le refuse, pour cause d’absences répétées. « Ça aussi, c’est un choc culturel aux Etats-Unis, où lorsqu’on arrive on vous donne une bourse », note-t-il. Un problème déjà soulevé par Lewis Hamilton, quadruple champion du monde de F1 en titre. Ses titres ne lui ouvrant pas les portes de la formule 1 comme espéré, il s’expatrie avec Claire Ragot, autre native du Mans et autre athlète spécialiste du 400 m haies, qu’il épousera en 2006. « Moi, mes racines, c’est la course. Aux States j’ai trouvé ça. »

Le 12 mars, Sébastien Bourdais remporte le Grand Prix Firestone de Saint-Petersburg, deuxième étape du Verizon IndyCar Series. / PHILLIP ABBOTT / LAT

Quadruple champion de ChampCar (2004-2007), Sébastien Bourdais était prêt à faire une croix sur la F1. Jusqu’au coup de fil de Nicolas Todt, agent de pilote. Le fils de Jean Todt, président de la FIA, veut un Français dans l’élite. Sébastien Bourdais débute ainsi en 2008, chez Toro Rosso au côté d’un jeune Allemand, Sebastian Vettel. Après une première saison en dents de scie, il rempile. Malgré de belles performances à Melbourne et Monaco, l’écurie l’évince après cinq courses. « A trente ans, la carrière du Manceau en F1 est peut-être arrivée à sa fin », commente alors Le Monde. Tout le monde peut se tromper. Sébastien Bourdais retourne aux Etats-Unis.

La famille agrandie, d’Alexandre et Emma, aujourd’hui âgés de 8 et 11 ans, s’installe à Saint-Petersburg (Floride). Dale Coyne Racing, la plus petite écurie du plateau Indy, lui propose un volant et surtout un salaire. « C’était un défi personnel. Les résultats ont excédé les espoirs. » Il remporte, entre autres, les 24 Heures de Daytona en 2014 et les 24 Heures du Mans en 2016 en GT Pro – quatre catégories courent en même temps en Endurance : deux classes de prototypes, LMP1 et LMP2, et deux classes de grand tourisme (GT), professionnels (Pro) et amateurs (Am).

Le pilote GT Ford Sébastien Bourdais se prête à l'exercice du baptême de piste, jeudi 14 juin, en marge des 24 Heures du Mans des 16 et 17 juin 2018. / CAP

Gagner en GT, en attendant

De retour au Mans, sur sa terre, Bourdais veut briller devant son public et ne se ménage pas. Arrivé de Texas lundi matin en famille, il est allé directement au pesage. Depuis, les activités s’enchaînent, entre compétition et obligations de communication, comme les séances de baptêmes organisées par Ford. Sébastien Bourdais se prête de bonne grâce à tout, avec un pragmatisme tout américain. « Le public, c’est lui qui nous fait vivre. » Dans ces conditions, difficile de dire non, « surtout pour moi, parce que je suis le local. [Même si] cela rend les choses parfois un peu compliquées. »

Vainqueur en GT, trois fois deuxième au général, le Sarthois vise la victoire dans sa catégorie, en attendant mieux… Impossible cette année, si particulière puisque Toyota, hégémonique, positionne ses deux voitures sur la première ligne samedi. « Aujourd’hui le plus gros ennemi de Toyota, c’est Toyota », prévient toutefois Sébastien Bourdais, bien placé pour affirmer que, « en sport auto, tout peut arriver ». De quoi combler son public.