France-Australie : les Bleus, la magie et l’attente
France-Australie : les Bleus, la magie et l’attente
Disposée en 4-3-3 par Didier Deschamps, l’équipe de France a peiné pour battre les Australiens pour son premier match de la Coupe du monde 2018. Retrouvez l’analyse tactique des Cahiers du foot.
Que faire quand on a le ballon ? C’est souvent l’interrogation accompagnant les grandes sélections nationales, celles qui sont supposées l’avoir plus souvent que leurs adversaires. C’est encore plus le cas en France, où l’animation offensive repose volontairement sur les épaules des joueurs. Contrairement à la sélection espagnole, qui pratique un jeu de position au sol dans lequel il faut pouvoir s’insérer pour espérer être titulaire, la France est portée par ses individualités, à qui on donne la liberté de faire des différences.
D’où la titularisation du trio Dembélé-Griezmann-Mbappé face à l’Australie, des attaquants dont la complémentarité n’est pas établie mais qui, sur leur talent, peuvent faire basculer les rencontres. D’où, aussi, un sentiment d’improvisation et une irrégularité chronique : pour chaque caviar en profondeur de Pogba et slalom géant de Mbappé, il faut tolérer les passes trop longues et crochets ratés. Si « l’effort n’est pas négociable », pour reprendre les mots de Diego Simeone, l’exploit individuel est par définition difficilement reproductible – sauf si on s’appelle Ronaldo ou Messi.
Talent et envie. Avec l’Atlético Madrid, l’entraîneur argentin transforme la mentalité de très bons joueurs, à tel point qu’on ne voit parfois plus que l’agressivité émerger d’une formation composée d’excellents éléments qui, quand ils le veulent, peuvent envoyer du jeu. Face à l’Australie, les Bleus ont pris le chemin opposé : intensité discutable, attente du coup de génie. Attente tout court, d’ailleurs. Au point de se mettre en danger, comme sur ces fautes évitables de Pavard à trente mètres du but de Lloris par la faute d’un positionnement général très bas.
Car le football se joue aussi sans ballon. Une phase où le talent, la magie que certains ont dans les pieds mais aussi dans la tête – une passe parfaite ne le sera pas si l’attaquant n’a pas l’intelligence de faire le bon appel –, laisse sa place à quelque chose de plus besogneux. Quand l’adversaire a le contrôle du cuir, il faut combiner géométrie, athlétisme et pensée collective. Quadriller le terrain pour ne pas laisser d’espaces, courir pour combler ceux qui apparaissent et réagir aux mouvements que l’on doit défendre et, surtout, le faire ensemble. C’est toute la beauté du pressing, qui a permis au Liverpool de Jürgen Klopp d’aller en finale de Ligue des champions, mais aussi sa complexité puisque jouer haut, c’est ouvrir des espaces dans son dos.
Paul Pogba salue les supporteurs français, le 16 juin 2018 à Kazan / David Vincent / AP
Un non-respect des consignes
Avec des fenêtres internationales de plus en plus courtes, les sélections doivent faire au mieux, créer une identité de jeu commune facilement assimilable. Est-ce donc par modestie, la reconnaissance de son incapacité à mettre en place un pressing suffisamment bon pour ne pas se retourner contre son équipe, que Didier Deschamps n’a, une nouvelle fois, pas utilisé cette arme face à l’Australie ? On peut le penser en relisant une interview de janvier dernier où, à L’Equipe Mag, il disait : « Avoir des affinités, c’est déjà difficile, mais alors des automatismes, pffiou. »
Ou la volonté était-elle d’attendre en bloc médian pour, comme la Russie face aux Saoudiens, aspirer un adversaire qui se sentirait pousser des ailes et, en voulant attaquer, s’exposerait défensivement ? En lâchant « on aurait dû les chercher plus haut » en conférence de presse, le sélectionneur, qu’on peut accuser de beaucoup de choses mais pas de ne pas avoir su analyser le match en temps réel, ouvre la porte à une autre explication : un non-respect des consignes.
A défaut de jouer haut, et donc de mettre sous pression une défense centrale dont les modestes joueurs évoluent au Grasshopper Zurich et à Al-Ahli, la France a donc attendu autour du rond central, disposée dans un 4-1-4-1 où Kanté se retrouvait seul entre milieu et défense. Prudente mais pas en bloc, les lignes distendues laissant aux Socceroos des possibilités de trouver des solutions entre les lignes. Si le milieu de Chelsea a ainsi récupéré quatorze ballons, troisième performance de l’histoire des Bleus en Coupe du monde, c’est aussi parce que Tolisso et Pogba ne cumulent que dix récupérations, pour un tacle et zéro interception.
Deschamps contre le moule « France 98 »
« Il est peut-être plus attiré par tout ce qui est la créativité et le côté offensif. » La phrase, signée Deschamps en août 2017, concerne évidemment Pogba. Une nouvelle fois, samedi midi, le milieu de terrain a symbolisé ce qui peut faire gagner la France – un but et quelques superbes passes en profondeur face à une défense pourtant regroupée –… mais aussi ce qui peut la faire perdre. Comme Tolisso, moins attendu et donc plus facilement disculpé, Pogba a montré une nonchalance dans l’implication qui, en plus d’obliger Kanté à tout récupérer en deuxième rideau, a empêché les Tricolores de profiter de la prise de confiance des Australiens au fil du match. Si Griezmann et Mbappé ont été servis une ou deux fois au milieu de six adversaires, que se serait-il passé dans une phase de transition à trois contre quatre depuis le rond central ?
Défendu pour ses résultats ou critiqué pour ses idées, DD combat en tout cas un stéréotype : pour un entraîneur qu’on dit dans le moule « France 98 », époque où aligner trois milieux défensifs et attendre l’adversaire était pertinent, son équipe version 2018 est étonnamment offensive. Coupée en deux avec le ballon quand elle aligne trois attaquants qui permutent sans cesse mais ne décrochent pas, elle ne forme pas vraiment de bloc-équipe sans, en tout cas pas toujours. Au-delà de la difficile victoire, il y a donc de quoi tiquer. Et pourtant.
En faisant entrer Giroud, pas toujours beau à voir jouer mais dont les déviations et le jeu de corps créent du lien même sur des passes hasardeuses, le sélectionneur est retourné avec bonheur à son plan B de l’Euro 2016. En passant en 4-4-2 losange avec Fekir en fin de partie, Deschamps a ensuite montré que son équipe, alors portée par la dynamique du deuxième but, pouvait mettre un adversaire sous pression au pressing et tuer ses attaques dans l’œuf. Créer le danger sans ballon, l’effort avant le talent : voilà qui aurait plu à Eric Cantona, pour qui « être Français, c’est rester combatif et révolutionnaire ». Les Bleus ne révolutionneront pas le football cet été. Mais malgré leur talent, ils n’iront loin qu’en combattant.