L’art pour rendre la ville hospitalière aux réfugiés
L’art pour rendre la ville hospitalière aux réfugiés
Ateliers, festival, visites guidées… A Paris et à Saint-Ouen, divers projets tissent des liens entre exilés et habitants, montrant la possibilité d’un espace urbain partagé.
Un atelier de marionnettes organisé par La Fine Compagnie, dans la médiathèque Persépolis, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). / Maïa Courtois
A l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, nous publions cet article distingué lors du concours HCR – Le Monde 2018, organisé avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour réfugiés, sur le thème « Quand les villes et les réfugiés construisent et inventent ensemble ». Son auteure, Maïa Courtois, étudiante à l’école de journalisme de Sciences Po, y raconte trois projets artistiques associant migrants et habitants, et montrant la possibilité d’un espace urbain partagé. »
Les mains plongent dans l’argile ; les boules de terre prennent la forme de visages. Abdoulaye Camara s’amuse à recouvrir celui qu’il a modelé avec du papier journal. « On va faire surgir des têtes et des corps sur lesquels vous pourrez projeter vos souvenirs. Ces marionnettes, c’est pour brasser en vous ce que ça fait, l’exil », encourage Johanne Gili, membre de la troupe de théâtre La Fine Compagnie, qui a organisé cet atelier dans une médiathèque de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Les habitants du quartier se mêlent aux personnes migrantes, logées dans un foyer à proximité, où la troupe a déjà mené des ateliers de poésie et de peinture.
Les textes, peintures et marionnettes confectionnés sont destinées à être exposés dans les rues de Saint-Ouen, à l’occasion du festival Rêvons Mai. Les doigts d’Abdoulaye sont collés par la glu badigeonnée sur le masque de terre. « C’est très très beau », souffle le jeune homme en regardant celui de sa voisine, Audrey, infirmière en psychiatrie. La jeune femme le remercie et allonge le nez de son personnage : « C’est un concentré de tous les patients exilés que j’ai reçus. »
Abdoulaye, qui n’a « pas raté un seul atelier », est fier de bientôt exposer sa marionnette et ses poèmes. Dans l’un d’eux, il écrit :
« J’ai eu peur pour toi. Tes yeux louchent. En attendant que tu découvres le meilleur soin pour tes yeux, j’ai peur que tu te perdes un jour et que tu n’aies nulle part où aller. D’ailleurs, plus tard, tu ne seras pas bienvenu chez nous. »
Etre l’invité des habitants, chez eux
Peintures d’Abdulatief Mohamed, exposées à l’Atelier des artistes en exil, dans le 18e arrondissement de Paris. / Maïa Courtois
De l’autre côté du périphérique, dans le 18e arrondissement de Paris, Cleve Nitoumbi boit une gorgée de café, assis dans un fauteuil de l’Atelier des artistes en exil, où il a trouvé refuge en mars. « Quand tu es migrant et que tu commences à t’installer quelque part, tu portes un masque. Un masque souriant, devant les gens, mime ce danseur ukrainien de 22 ans, en prenant une expression faussement heureuse. Mais, chez toi, dans ton intimité, tu es seul face à tous tes problèmes. Je veux montrer ces deux faces au public. » Il dessine de ses mains un carré dans l’espace.
« Les gens seront serrés autour de moi, comme ça, et je danserai avec eux. Toutes mes émotions vont sortir, exploser. »
Il participera, du 22 juin au 8 juillet, au festival 18/18, au cours duquel « les artistes en exil s’invitent chez l’habitant ! », présente François Kalinowski, l’un de ses responsables. Du théâtre au chant en passant par des concerts et des contes, dix spectacles gratuits sont proposés aux Parisiens de l’arrondissement, pour des performances se tenant dans leur jardin ou dans leur appartement.
« L’objectif est de désacraliser l’“artiste”, le “réfugié”, pour engager une rencontre intime entre lui et le public. »
Bien que l’Atelier des artistes en exil, soutenu par le ministère de la culture, dispose d’une certaine notoriété, « il souffre d’un manque de visibilité » auprès de ses voisins installés ici de longue date, déplore M. Kalinowski : « On a envie de leur dire “l’Atelier des artistes en exil est là, dans votre quartier, avec vous !” »
Rendre visible les actes de solidarité
Le restaurant franco-africain l’Eternel, dans le quartier de la Chapelle, au nord de Paris. / Maïa Courtois
Toujours dans le 18e arrondissement, autour du quartier de la Chapelle, des visites guidées sont organisées par le Pôle d’exploration des ressources urbaines (Perou) et l’association Quartiers solidaires, pour monter un projet artistique.
Aliou a dirigé l’une des premières, au cours de laquelle il a montré ses repères dans le quartier, depuis son arrivée en France. Des lieux d’échanges, de refuge, de souvenirs bien à lui. Cette fois, le jeune homme assiste à la visite guidée menée par Frédéric, habitant de la Chapelle depuis vingt ans. Un quartier où, historiquement, se croisent des populations d’ici et d’ailleurs. Le groupe marche devant le « foyer africain », présent dans le quartier depuis des années. Des vêtements pendent aux barres des fenêtres. « Des restaurants somaliens se sont installés autour… Un beau jour, on se dit : “Tiens, des gens se sont implantés ici !”, sourit Frédéric.
« La mémoire ancienne d’un quartier, c’est facile. Ce qui est difficile à saisir, ce sont ces formes d’installations progressives. »
Pour documenter cette perception du quotidien, le Perou a regroupé des urbanistes, des exilés et des habitants de la Chapelle. Chacun apporte son regard sur les lieux d’accueil, les photographies, les cartographies. Un banc arraché par la mairie, sur lequel se faisait la distribution de nourriture aux personnes migrantes à la rue. Ou un restaurant franco-africain, l’Eternel, qui attire à chaque Fête de la musique une grande foule métissée. Sébastien Thiéry, politologue et coordinateur du Perou, a lancé ce « travail de recherche pour rendre visible les actes de solidarité, en produire la trace dans l’espace ». Il donnera lieu à des expositions artistiques, afin de faire découvrir aux habitants des formes insoupçonnées d’échanges.
De Saint-Ouen à la Chapelle, l’art met en lumière « moins ce que font les migrants, que ce qu’ils font faire à ceux qui les entourent », aime à résumer M. Thiéry. Dans un poème collectif, les exilés du foyer du Saint-Ouen invitent à construire avec eux l’hospitalité :
« Je suis arrivé. Vert est délicieux. Noire est mon angoisse. Rouge ma colère. Je dépose mes bagages. Je dépose ma colère dans la terre. Je prends de la vitesse. »