Coupe du monde 2018 : avec ou sans identité de jeu, les Bleus se cherchent encore
Coupe du monde 2018 : avec ou sans identité de jeu, les Bleus se cherchent encore
Par Alexandre Pedro
L’équipe de France reste une sélection au style difficile à définir. Un flou qui répond peut-être aux caractéristiques de ses joueurs et au pragmatisme de Didier Deschamps.
Didier Deschamps et ses joueurs, le 15 juin à Kazan. / FRANCK FIFE / AFP
Ils n’ont pas quatre heures devant eux pour plancher sur un plan en trois parties, mais en cette période de baccalauréat les Bleus ne coupent pas à la question du moment en conférence de presse : « Quelle est l’identité de jeu de cette équipe de France ? » Vaste sujet, après la bouillie servie en ouverture du Mondial face à l’Australie (2-1), samedi 16 juin, et avant d’affronter le Pérou, jeudi à Ekaterinburg. En élèves disciplinés, les joueurs ne citent pas Charles Sanders Peirce, sémiologue américain à l’origine du concept de pragmatisme au XIXe siècle, mais plutôt son lointain disciple basque : Didier Deschamps. « On joue en gagnant, plaide Benjamin Mendy. C’est ça, notre façon de faire. » « Cela dépend beaucoup de l’adversaire », évacue N’Golo Kanté. Plus sincère, Steven Nzonzi admet qu’il « est difficile de caractériser notre style de jeu ». Ce qui n’est pas faux.
A l’interrogation sur l’identité de jeu, son sélectionneur répond par une autre question : « Combien d’équipes disputant le Mondial peuvent se prévaloir d’un style constant ? Une. L’Espagne. » Ces derniers mois, le patron des Bleus papillonne d’un schéma à l’autre, du 4-2-3-1 au 4-3-3 de France-Australie en passant par le 4-4-2 en losange lors des matchs de préparation. L’équipe de France apparaît un organisme en perpétuelle évolution, capable de muer d’un style à l’autre avec plus ou moins de bonheur. N’Golo Kanté récitait d’ailleurs sa leçon au lendemain de la victoire contre l’Australie : « On peut avoir la possession, mais aussi être plus bas et partir en contre. On s’adapte. » Bref, choisir de ne pas choisir. « Deschamps se revendique du pragmatisme, et c’est par définition l’inverse de la recherche d’une identité », remarque l’ancien entraîneur du FC Lorient et du Stade rennais Christian Gourcuff.
Mais une identité de jeu est-elle un préalable indispensable pour remporter une Coupe du monde ? L’Espagne a bien dominé la planète foot de 2008 à 2012 avec son très reconnaissable « tiki-taka » (jeu court et possession de balle accentuée) et figure encore comme l’épouvantail de ce Mondial russe. Mais les contre-exemples existent. Le Brésil, vainqueur en 2002, se définissait surtout par ses talents, comme la France vice-championne du monde en 2006. Selon Franck Lebœuf, l’équipe championne du monde en 1998, référence du football français, n’avait pas davantage de plan que celle de 2018 : « En 1998, on est bien champion du monde sans identité (…). On était en quelque sorte les “bâtards” de l’Europe », osait-il sur SFR Sport en 2017.
Une évolution générale avec la mondialisation
Si Christian Gourcuff veut croire qu’« une identité de jeu est la seule façon d’obtenir des résultats durables », le technicien observe « une perte de ces identités propres à chaque pays avec la mondialisation ». Quid de celle de la France ? « Quand on parle de culture de jeu à la française, on pense à l’équipe de Michel Hidalgo dans les années 80, à un football tourné vers l’offensive avec deux ou trois meneurs de jeu », note l’ancien sélectionneur Gérard Houllier, chroniqueur pour Le Monde pendant ce Mondial russe. Ce romantisme a pris un coup de vieux avec le sacre de 1998. Au risque de contredire Franck Lebœuf, son équipe avait bien une identité. Mais elle était surtout défensive et devait beaucoup à l’influence du championnat d’Italie, dans lequel jouaient une majorité des cadres de l’équipe.
Les héritiers de 2018 forment, eux, un ensemble beaucoup plus hétérogène. Quand le FC Barcelone donnait une base de joueurs à l’Espagne du temps de son règne sans partage, les onze Français alignés contre l’Australie se répartissent dans neuf clubs et quatre championnats différents. Pas facile, dès lors, de créer un ADN commun. « L’Espagne garde un style très marqué grâce à l’influence de ses clubs, appuie Christian Gourcuff. En Allemagne, c’est la fédération qui avait donné des principes clairs et une organisation bien définie au début des années 2000. Même si je trouve que les Allemands s’en sont un peu éloigné depuis deux ans. »
Reste que Joachim Löw – sélectionneur de la Mannschaft depuis août 2006 – s’est appuyé sur un groupe stable, se permettant par le passé de mettre de côté un des meilleurs buteurs de Bundesliga, Stefan Kiessling, tout en faisant une confiance absolue à Lukas Podolski malgré des performances banales en club. Le groupe et les principes passent avant les individus. Didier Deschamps, qui a changé 14 de ses 23 sélectionnés par rapport à l’Euro 2016, semble répondre à une autre logique. Celle de l’homme en forme ou de la tentation du moment, comme le laisse indiquer la titularisation surprise d’Ousmane Dembélé contre l’Australie au détriment d’Olivier Giroud. Comme si l’instinct du sélectionneur le poussait à miser sur l’instinct de ses jeunes et sur leur potentiel à rendre jaloux la concurrence.
« Je crois à un style Deschamps »
Pourtant, Giroud devrait retrouver sa place de titulaire contre le Pérou, comme Blaise Matuidi au détriment de Corentin Tolisso, qui est sorti du lot lors des matchs de préparation. Une nouvelle preuve de tâtonnement ? Gérard Houllier ne le croit pas. « Didier Deschamps cherche à exploiter les qualités de ses joueurs. Et cette équipe de France est très forte dans l’explosion collective vers l’avant, dans la phase de transition. » Tel le Monsieur Jourdain de Molière, qui pérorait en prose sans le savoir, Didier Deschamps aurait-il un projet de jeu malgré lui ? « Je crois à un style Deschamps, assure même l’ancienne plaque tournante de l’Espagne championne du monde, Xavi, dans un entretien au Journal du dimanche. Simplement, lui ou Simeone [l’entraîneur de l’Atletico de Madrid] sont d’une autre école que Löw, Lopetegui [Real Madrid] ou Guardiola [Manchester City]. (…) Deschamps n’a pas changé d’idée en devenant coach : il se base sur la solidité défensive et la contre-attaque », analyse celui qui était le garant du tiki-taka avec le FC Barcelone ou la Roja.
Dans la torpeur de Kazan à l’heure du déjeuner, ce style n’a pas sauté aux yeux face aux Australiens. Les Bleus ont peiné dans la transition vers l’avant et peu rassuré sur les rares excursions des Socceroos. Didier Deschamps a admis que la copie était brouillonne mais rappelé que l’essentiel « était là avec la victoire ». Dans son esprit, le reste n’était déjà plus que philosophie.