Angela Merkel et son ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, à Berlin, le 20 juin 2018. / TOBIAS SCHWARZ / AFP

Trois mois seulement après avoir réussi à former un gouvernement, Angela Merkel fait face à une fronde qui ébranle sa coalition. Son ministre de l’intérieur, le très conservateur Horst Seehofer, membre de la CSU (Union chrétienne-sociale, en Bavière), a donné deux semaines à la chancelière afin de durcir la politique migratoire du pays.

Si celle-ci ne parvient pas à un accord avec ses alliés européens lors du sommet des 28 et 29 juin, M. Seehofer entend fermer les frontières allemandes aux réfugiés. Hans Stark, spécialiste de l’Allemagne contemporaine à l’Institut français des relations internationales, décrypte pour Le Monde les ressorts de ce bras de fer aux conséquences imprévisibles pour l’Europe.

La question de l’immigration avait déjà fragilisé Angela Merkel lors de la crise migratoire de 2015. Pourquoi le sujet revient-il aujourd’hui sur le devant de la scène ?

Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord à cause des élections en Bavière [le fief de la CSU, parti de Horst Seehofer, le ministre de l’Intérieur] le 14 octobre, qui s’annoncent très difficiles pour la CSU, qui ne parvient pas à remonter la pente, après une percée récente de l’AfD [Alternative pour l’Allemagne, parti d’extrême droite].

Elle espère gagner une nouvelle fois la majorité absolue, mais elle en est loin, et ne recueille que 42 % des intentions de vote. Elle a même changé de ministre-président pour redynamiser la campagne électorale. Cela n’a rien donné. Markus Söder, le chef du gouvernement bavarois, est situé très à droite. Ce n’est pas M. Seehofer qui mène le bal, mais M. Söder qui le pousse dans des positions d’extrême intransigeance.

« Les Allemands craignent que le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile ne s’accroisse de nouveau »

Par ailleurs, un vent de panique s’est emparé de l’Allemagne face à la situation en Italie [après l’arrivée au pouvoir du gouvernement associant le Mouvement 5 étoiles à la Ligue d’extrême droite]. Les Allemands craignent que le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile ne s’accroisse de nouveau.

Le droit allemand n’est pas réellement appliqué. Même des demandeurs d’asile à qui on a interdit l’accès à l’Allemagne, et qui se sont trouvés à l’étranger, peuvent y revenir et rouvrir un dossier de demande d’asile. Seehofer demande donc l’application stricte des règles de Dublin III [qui établie la responsabilité de l’examen de la demande d’asile d’un réfugié au premier pays d’accueil].

Que se passera-t-il si Horst Seehofer met ses menaces à exécution ?

Angela Merkel n’aura pas d’autre possibilité que de le limoger. Cela va engendrer une énorme crise politique avec à la clé la chute de Merkel, et peut-être aussi la chute de Seehofer. Au sein de la CSU, il y a de jeunes quadragénaires qui aimeraient bien les voir partir tous les deux. Je me demande à quel point M. Seehofer est maître du jeu.

Il existe une fronde au sein de la CDU et de la CSU contre Angela Merkel, portée par les jeunes quadras qui montent en puissance dans ces partis, et qui se situent très à droite. Ils ne partagent pas les positions de la chancelière sur l’Europe, et n’approuvent pas les compromis franco-allemands obtenus le 19 juin à Meseberg. Ils s’organisent pour l’après-Merkel qui, selon eux, peut survenir bientôt, avant la fin de la mandature en 2021.

L’Allemagne semble pourtant moins sous pression aujourd’hui ?

Il y a environ 200 000 réfugiés qui arrivent chaque année en Allemagne, en ce moment. On est très loin du chiffre de 2015 [890 000]. L’Allemagne n’est donc pas totalement épargnée, mais infiniment plus qu’il y a trois ans, en raison de l’accord passé avec la Turquie au printemps 2016 et de la fermeture de la route des Balkans. C’est cela qui fait dévier les réfugiés vers l’Italie via la Libye. Cela veut dire que le sujet dont on traite aujourd’hui n’est pas du tout un sujet d’urgence. C’est un sujet éminemment politique dans un contexte de campagne électorale bavaroise.

En quoi cette offensive de la CSU serait-elle profitable pour les élections à venir en Bavière ?

Pour l’AfD en particulier, Angela Merkel est vraiment la figure à abattre. C’est la femme qui a rendu possible l’accueil d’un million de réfugiés depuis 2015. En faisant tomber Mme Merkel, la CSU pourrait gagner des voix du côté de l’AfD, et faire revenir dans son giron des électeurs qui autrefois avaient voté pour elle, mais qui sont maintenant du côté de l’AfD. Au risque de rebuter des électeurs plus démocrates, centristes et pro-européens. C’est un jeu assez osé.

Est-ce qu’Angela Merkel peut compter sur l’Europe pour la sortir de cette mauvaise passe ?

Non. L’Europe, ce sont des positions très variées. Les Polonais et les Hongrois ont leur propre agenda : ils refusent d’accueillir le moindre demandeur d’asile. L’Europe du Sud n’en peut plus de l’arrivée des réfugiés et veut davantage de solidarité de la part des pays du Nord.

La France, oui, mais elle accueille très peu de réfugiés. Va-t-elle en prendre ? La question est de savoir s’il y aura une meilleure répartition. Je suis assez sceptique sur la capacité de l’Europe à tomber d’accord sur une politique en matière d’asile et d’accueil de réfugiés. Il faut ajouter à cela que tout le monde n’aime pas forcément Mme Merkel. Et la personne qui lui succédera sera forcément moins européenne.