Comment des parlementaires veulent inscrire la neutralité du Net dans la Constitution
Comment des parlementaires veulent inscrire la neutralité du Net dans la Constitution
Par Manon Rescan, Martin Untersinger
Données personnelles, accès à Internet… députés et sénateurs proposent l’adoption d’une « charte du numérique » lors de la révision constitutionnelle.
La partie n’est pas encore gagnée, mais si l’initiative aboutit, elle constituerait un symbole fort en matière de libertés numériques. Vendredi 22 juin, Paula Forteza, députée La République en marche (LRM) des Français de l’étranger, devait déposer un amendement au projet de loi constitutionnelle dans lequel elle propose d’adopter une charte du numérique, qui rejoindrait le préambule de la Constitution. Le fruit d’un travail conduit conjointement par 19 députés et sénateurs ces dernières semaines, notamment avec le sénateur Les Républicains Christophe-André Frassa, et l’appui du président de l’Assemblée nationale François de Rugy.
« Si la démarche aboutit, cela signera la volonté de faire de l’adoption de ces nouvelles règles constitutionnelles un symbole politique fort », observe la constitutionnaliste Marie-Anne Cohendet. Les parlementaires ont, en effet, choisi non pas de compléter un article existant mais bien de proposer un texte ad hoc, comme cela avait été le cas avec l’adoption de la Charte de l’environnement en 2004. « Face aux différents scandales sur les fuites de données et à l’actualité internationale, il est temps d’affirmer de nouveaux droits sur le numérique », insiste Mme Forteza.
Selon leur proposition de texte, que Le Monde s’est procuré, les parlementaires ne créeront pas de nouveaux droits en tant que tels, mais entendent consolider quelques grands principes en les fixant dans le texte suprême. Ces droits et libertés, garantis à divers niveaux, pourront ainsi faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
De la neutralité au droit d’accès à Internet
C’est notamment le cas du principe de neutralité du Net, qui garantit un accès égal au réseau quels que soient l’utilisateur et le service auquel il se connecte. Il est actuellement reconnu par le droit européen et français. Mais il reste fragile : l’administration Trump en est revenue, et il est soumis, en Europe, à une pression constante des lobbies de l’industrie des télécoms. « L’idée, c’est de protéger ces droits pour l’avenir pour qu’on ne puisse pas revenir en arrière », explique encore Paula Forteza. Dès ses vœux en janvier, François de Rugy s’était prononcé en faveur d’une avancée en ce sens.
Les parlementaires veulent aussi insérer dans cette charte du numérique la protection des données personnelles. Là encore, les parlementaires ne créent pas ce droit ex nihilo : ce dernier est par exemple présent, explicitement, dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Par ailleurs, dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a déjà déduit ce droit de la Déclaration des droits de l’homme (DDHC). Son inscription dans le marbre de la Constitution est une marotte de la CNIL, le gendarme français des données personnelles, qui faisait encore tout récemment circuler une note en ce sens, que Le Monde a pu consulter. Dans cette dernière, l’institution rappelle que treize pays européens ont déjà placé la protection des données à un niveau constitutionnel.
Les parlementaires veulent aussi « un droit d’accès » à Internet. Ce dernier existe déjà à un niveau constitutionnel : les « sages » l’ont reconnu en 2009 comme une condition nécessaire de l’exercice du droit à « la libre communication des pensées et des opinions », protégé par la déclaration des droits de l’homme.
Plus innovant, le projet de charte numérique veut entériner un droit d’accès « aux informations détenues par les autorités publiques ». Cela fait écho au mouvement de l’open data qui veut que les administrations ouvrent leurs données. Là encore, ce principe est présent dans la DDHC, mais le numérique lui a donné une ampleur inédite que les parlementaires espèrent voir consacrée. Enfin, ces derniers souhaitent voir apparaître dans la charte un « droit à l’éducation et à la formation au numérique ».
Si des députés et des sénateurs sont déjà d’accord sur le principe, ils devront encore convaincre une majorité de leurs collègues de les suivre. A l’Assemblée, la majorité guette, elle, la réaction de l’exécutif à ces propositions, ce qui pourrait donner le ton. Enfin, le sort de cette charte demeurera intimement lié à celui de la révision constitutionnelle dans son ensemble. Son adoption requiert un accord de la majorité des sénateurs puis des trois cinquièmes des parlementaires. Or, le texte, dont l’examen commence mardi 26 juin, contient bien d’autres sujets loin d’être consensuels.