Le silence était de plomb dans la salle d’audience de la Haute Cour de cassation et de justice de Bucarest. Jeudi 21 juin, Liviu Dragnea, l’homme fort de la gauche au pouvoir, a été condamné à trois ans et demi de prison ferme pour abus de pouvoir dans une affaire d’emplois fictifs. Le chef du Parti social-démocrate (PSD), qui aspire au poste de premier ministre, va faire appel de sa condamnation, la deuxième en moins de trois ans. « M. Dragnea doit quitter la vie publique, affirme Dacian Ciolos, ancien premier ministre technocrate et commissaire européen à l’agriculture. Un homme politique condamné par la justice ne peut pas rester à la tête de la Roumanie. »

Malgré la victoire du PSD aux élections législatives en 2016, Liviu Dragnea, âgé de 55 ans, n’a pas pu être premier ministre en raison d’une condamnation pénale à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. Président de la Chambre des députés, il a essayé à plusieurs reprises de modifier les lois concernant la justice afin de blanchir son casier judiciaire, mais il s’est heurté à une vague de manifestations antigouvernementales. Lundi 18 juin, les sociaux-démocrates ont modifié le code pénal afin de tenter une fois de plus de sauver leur chef. « La majorité a voté des lois destinées à favoriser M. Dragnea et à mettre fin aux enquêtes des procureurs, a affirmé le président libéral Klaus Iohannis. Les sociaux-démocrates veulent limiter les pouvoirs de la justice, ce qui est très grave. » L’opposition libérale a contesté le projet devant la Cour constitutionnelle.

Le gouvernement s’est également lancé dans un processus de destitution de la chef du Parquet national anticorruption, Laura Codruta Kovesi, qui symbolise l’indépendance de la justice roumaine dans la lutte contre les malversations et abus de nombreux hommes politiques. La Cour constitutionnelle a donné son aval à la destitution de cette figure emblématique, mais elle est pour l’instant bloquée par le président Iohannis. Les élus socialistes ont menacé de suspendre le chef de l’Etat qu’ils accusent d’« enfreindre la Constitution ».

« Nous ne céderons pas »

Les associations de jeunes qui militent contre la corruption ont mobilisé leurs troupes dans les rues de la capitale. Jeudi soir, plus de 10 000 Roumains ont manifesté pour demander la démission de Liviu Dragnea, comme ils l’avaient fait la veille. « Nous ne céderons pas », « Voleurs », « Liviu Dragnea, la Roumanie n’est pas à toi », ont scandé les manifestants. « Les gens sortent dans la rue parce que ceux qui devraient les défendre les volent, ceux qui devraient les gouverner les trompent, a déclaré Dacian Ciolos. Ça suffit. Nous n’avons qu’une solution en trois étapes : la démission du gouvernement, un référendum pour la justice et des élections anticipées. »

Bruxelles et Washington sont inquiets, eux aussi, des dérapages législatifs en Roumanie. Lundi 18 juin, les Etats-Unis ont dépêché à Bucarest le secrétaire d’Etat adjoint américain, Wess Mitchell. « Les Etats-Unis soutiennent les institutions anticorruption roumaines, a-t-il souligné. La Roumanie a fait des progrès importants et ce n’est pas le moment de faire marche arrière. »