Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, à Madrid, le 19 juin. / PAUL WHITE/AP

C’est un message fort que devait envoyer le nouveau président du gouvernement espagnol en choisissant Paris comme première étape de sa tournée européenne. Le socialiste Pedro Sanchez, défenseur d’une plus grande intégration politique de l’Union européenne, devait rendre visite à Emmanuel Macron, samedi 23 juin.

Il s’agit de son premier voyage à l’étranger depuis son arrivée au pouvoir le 1er juin, à la suite d’une motion de défiance contre le conservateur Mariano Rajoy. Une manière de se poser en nouvel allié du président français, alors que l’Italie s’est dotée d’un gouvernement populiste et eurosceptique. Après sa participation au sommet sur les migrants, dimanche 24, M. Sanchez rencontrera la chancelière allemande, Angela Merkel, mardi 26 juin, puis, le 2 juillet son homologue portugais Antonio Costa. « L’Espagne va reprendre un rôle actif en Europe pour construire une Europe plus forte et solidaire », a expliqué la Moncloa, le siège du gouvernement, dans une note de presse, jeudi 21 juin.

La composition même du gouvernement de Pedro Sanchez a tout d’une déclaration d’intention proeuropéenne. En désignant l’ancien président du Parlement européen, Josep Borrell, à la tête du ministère des affaires étrangères, de l’Union européenne et de la coopération, et Nadia Calviño, ex-directrice générale de la Commission européenne chargée des questions budgétaires, au ministère de l’économie, le premier ministre espagnol a opté pour un exécutif rassurant et convaincant à Bruxelles.

« Pedro Sanchez va approuver la déclaration franco-allemande de Meseberg [qui la création d’un embryon de budget de la zone euro], mais il va dire qu’il veut plus, avance le chercheur en sciences politiques au think tank Real Instituto Elcano, Miguel Otero. Madrid veut dépasser les relations intergouvernementales, qui provoquent des tensions entre pays, pour aller vers une véritable politique fédérale européenne, plus ambitieuse, dans laquelle l’Espagne espère pouvoir peser davantage. »

« Ne pas offenser les personnes »

Sur la question des migrants, Pedro Sanchez a déjà envoyé à l’Europe un message symbolique, en accueillant à Valence les rescapés de l’Aquarius, que l’Italie et Malte avaient refusé de faire débarquer sur leurs côtes, dimanche 17 juin. « L’indifférence peut provoquer une tragédie. Nous appelons à la solidarité de l’ensemble de l’Union européenne pour résoudre une situation qui a à voir avec les droits humains, a-t-il expliqué le 18 juin lors de sa première interview télévisée en Espagne en tant que premier ministre. Nous n’allons pas ouvrir les frontières car ce n’est pas viable, mais bien gérer les flux migratoires, sans offenser les personnes. »

Dans la même ligne, M. Borrell a demandé de « ne pas laisser des pays seuls, comme cela s’est passé avec l’Italie, en cas de grands flux migratoires ». Critique avec le règlement de Dublin, selon lequel les demandeurs d’asile doivent déposer leur requête dans leur pays d’entrée dans l’UE, il a souligné que « Schengen pourra difficilement fonctionner si les Européens ne sont pas capables de partager une frontière extérieure commune ».

Alors que le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, tout entier consacré aux réformes économiques et allié d’Angela Merkel sur le plan politique, a fait profil bas à Bruxelles ces dernières années, Pedro Sanchez a l’intention d’être une force de proposition correspondant davantage au poids de la quatrième économie de la zone euro. Sur le plan économique, M. Borrell exige de « ne pas répéter les erreurs de diagnostic et de solutions de la crise antérieure », si la hausse des taux d’intérêt et l’augmentation des prix de l’énergie mettent en difficulté les pays les plus endettés. Une façon de prendre ses distances avec l’austérité prônée par le gouvernement précédent.

Le pari européen de Pedro Sanchez ne répond pas seulement à une conviction politique. La politique extérieure est, de fait, la seule qu’il contrôle réellement. Son fragile gouvernement, en minorité, dépend de complexes alliances entre des partis hétéroclites et souvent opposés s’il veut légiférer, puisque les socialistes ne comptent que 84 des 350 députés. « Au niveau national, le gouvernement sait qu’il ne va pas pouvoir faire grand-chose car il risque le boycott au Parlement. Au contraire, en matière de politique extérieure, il n’a pas ces freins, résume M. Otero. Il peut se servir des thèmes européens pour se présenter comme un homme d’Etat, se renforcer face à l’opinion publique en se positionnant comme un leader international. »

Selon l’enquête d’opinion publiée en avril par la fondation d’amitié franco-espagnole Dialogo et l’institut Elcano, l’Europe bénéficie de 62 % d’opinion positive dans la population espagnole (40 % en France) et seulement 15 % d’opinion négative. Elle est souvent considérée comme le principal projet capable de renforcer la cohésion du royaume, soumis notamment aux tensions séparatistes catalanes.