Un revêtement de « grip » donne son identité au circuit Paul-Ricard du Castellet. / FIA

Ne l’appelez plus « le Castellet ». Le circuit du Var, qui accueille dimanche 24 juin, le Grand Prix de France de formule 1, pour son retour après dix ans d’absence, fut baptisé « Paul Ricard », du nom de son créateur en 1970. Mais le patronyme s’est effacé au fil du temps, sur fond de bisbilles administratives.

Ce n’est qu’un épisode des affrontements politiques qui ont jalonné l’histoire de la compétition automobile dans l’Hexagone. De l’inauguration au départ du Grand Prix pour Magny-Cours en 1990 ; du retrait du championnat du monde en 2008, à son retour plusieurs fois annoncé, avant de se concrétiser grâce à l’action secrète d’une poignée d’hommes influents.

« Aujourd’hui, ce circuit est connu dans le monde entier, écrit Paul Ricard dans sa biographie, La passion de créer (Albin Michel, 1982), mais on ne le cite jamais sous son nom, parce que c’est aussi le mien. On l’appelle “circuit du Castellet”, alors que la municipalité du Castellet (…) a tout fait pour empêcher de le réaliser. »

Paul Ricard, le patriarche

A la fin des années 1960, propriétaire de 1 000 hectares sur le plateau du Castellet, où il a construit un aérodrome privé, Paul Ricard vient de prendre sa retraite et se fixe un nouvel objectif, non sans arrière-pensée : démontrer que ce ne sont ni la vitesse ni l’alcool, mais le mauvais état du réseau routier qui est la cause des nombreux accidents enregistrés à l’époque (18 034 morts en 1972, contre 3 500 en 2017).

Pour cela, il veut bâtir un circuit sur lequel on puisse conduire à 300 km/h en toute sécurité, comme le rappelle Jean-Pierre Paoli, premier directeur du Paul Ricard (1969-1971), dans un documentaire de France 3. Le design est confié à Charles Deutsch, déjà auteur du Bugatti au Mans qui dessine une piste large de douze mètres, avec de vastes dégagements emplis de gravier, et beaucoup d’espace.

1971 French GP

Le 19 avril 1970, 40 000 personnes sont présentes pour l’inauguration. « Mais moi je n’y étais pas », écrit encore Paul Ricard, également maire de Signes de 1972 à 1980, en colère contre la commune voisine. Quinze mois plus tard, vingt-cinq pilotes dont cinq Français sont au départ du premier Grand Prix de F1 au Paul-Ricard. Le Britannique Jacky Stewart surclasse ses poursuivants, François Cevert (2e) et Emerson Fittipaldi (3e).

Jusqu’en 1990, le Paul-Ricard accueillera quatorze courses de F1, sans jamais rivaliser avec le succès populaire du Bol d’Or dès 1973.

Alexandre Ricard, actuel PDG de l’entreprise devenue numéro 2 mondial des vins et spiritueux, se rappelle pour Le Monde de cette époque : « Lorsque mon grand-père entendait “Le Castellet”, ça l’irritait ! » Mais l’héritier ne veut pas raviver des rivalités de clochers. « C’était une autre génération. Ceux de l’époque sont morts. »

Le Castellet « donnait entière satisfaction »

Le patriarche au large chapeau pique une autre grosse colère lorsqu’il apprend en 1990 que le Grand Prix de France déménage à Magny-Cours. Paul Ricard dénonce le financement par les deniers publics du circuit nivernais, alors que le sien était totalement financé par le privé. Un argument repris dans la presse. « [Le Castellet] donnait pourtant entière satisfaction, écrit La Tribune de l’expansion du 3 juillet 1992, et avait l’avantage pour le contribuable français d’être financé par des fonds privés. »

« On sait pourquoi le Grand Prix est parti à Magny-Cours », commente aujourd’hui Pascale Ricard, sa petite-fille : le fait du prince. François Mitterrand, élu de la Nièvre depuis 1945, rêve du Grand Prix pour dynamiser son département. Il fréquente Jean Bernigaud, propriétaire d’un circuit de kart à Magny-Cours. Pour le restaurer, il fait appel à un entrepreneur de Vichy, un certain Guy Ligier – futur patron d’écurie.

Après la mort de son mari, Jacqueline Bernigaud vend son terrain. « Le conseil général lui rachète 5 millions [de francs]. Un cadeau : l’hectare est payé dix fois son prix », dénonce Le Canard enchaîné du 13 décembre 1989. Ce n’est qu’un début.

Le président exprime publiquement le souhait que Magny-Cours accueille le Grand Prix de France dès 1991. Il faut donc installer des tribunes, des centres de télécommunication, un hôpital… Le devis dépasse 250 millions de francs, dont 90 millions payés par le département. La facture finale atteindra 500 millions, comme le détaille Christophe De Chesnay dans Le Monde daté 8 juillet 1991. De sa mairie de Nevers, Pierre Bérégovoy rappelle que la Nièvre a beaucoup souffert d’avoir été, jusqu’en 1981, le « fief » du principal chef de l’opposition : « Nous rattrapons le temps perdu. »

« Bernie » prend la main

Dans le Var, le départ de la F1 est vécu comme une grande injustice. « Pour les gens d’ici, le départ du Castellet a été vécu comme si la droite avait perdu une seconde fois », complète Gérard Mathieu, journaliste dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) depuis trente-cinq ans. Le premier Grand Prix nivernais est financièrement un échec avec un déficit de 4 millions de francs. La Seita, entreprise d’Etat, est appelée à la rescousse… même si la loi Evin de 1991 l’empêchera de figurer sur les bannières publicitaires. Malgré tout, Magny-Cours accueille dix-huit Grands Prix entre 1991 et 2008.

Loin de la grisaille nivernaise, les héritiers de Paul Ricard, mort en 1997, ont vendu le circuit en 1999 au Britannique Bernie Ecclestone. Celui-ci va « beaucoup investir et faire du Castellet un circuit top niveau », souligne Alexandre Ricard.

Bernie fait alors appel à Philipe Gurdjian (1999-2008, mort en 2014), qui sera l’artisan de la renaissance du circuit, sous la forme du Paul-Ricard High Tech Test Track, un centre d’essais haute technologie. Avant-gardiste, Philipe Gurdjian va également imposer de remplacer les bacs à gravier par des bandes de « grip » de couleurs différentes selon leur degré d’abrasivité. « Il avait vu ce système utilisé devant les écoles, pour ralentir les voitures, en Grande-Bretagne », rappelle Alexandre Ricard.

L’entrée dans la course du Grand Argentier de la F1 a signé la mort de Magny-Cours. En revanche, personne n’a vu venir la suite. A sept mois de l’édition 2009, la Fédération française du sport automobile (FFSA) renonce, par communiqué, « au statut de promoteur financier d’un Grand Prix de F1 ». A Matignon, François Fillon n’y pourra rien, l’élection de François Hollande coupant tous les élans.

Des projets, un GIP

Bernie Ecclestone, lui, veut bien que la course revienne en France à condition qu’elle se rapproche de Paris. Parmi les projets en cours, celui de Marne-la-Vallée, près du parc Disneyland, a ses faveurs.

De son côté, le président de la FFSA, Nicolas Deschaux, rencontre la ministre des sports Valérie Fourneyron en septembre 2012 pour lui présenter les candidatures de Nevers-Magny-Cours et du Castellet. Mais celle qui considère la F1 plus comme « un produit économique qu’une compétition sportive » refuse que l’Etat se porte garant.

Un homme va trouver la solution, Christian Estrosi, quatre fois champion de France de moto, maire (Les Républicains) de Nice, président de la région PACA, avant de céder sa place à Renaud Muselier pour cause de cumul des mandats. « C’est lui qui a eu l’idée du groupement d’intérêt public (GIP) pour se porter garant du montage financier », explique Gérard Mathieu. L’étude du cabinet Deloitte lui fournit fin 2016 son argumentaire : « Un euro investi, c’est cinq euros gagnés », dans l’hôtellerie, la restauration, les transports, les commerces…

Ainsi le Grand Prix budgété 30 millions d’euros – dont 21 millions doivent revenir à Formula One Management (FOM, structure chargée de la promotion du championnat du monde de F1 et de l’exploitation des droits commerciaux –, est couvert par 14 millions d’euros de billetterie, 2 millions d’euros d’autres recettes directes et 14 millions d’euros de subventions publiques.

Entre-temps, le Castellet est devenu la propriété de Slavica Ecclestone, qui en a hérité à son divorce d’avec Bernie. Avant même d’avoir bouclé le tour de table du GIP, M. Estrosi avait annoncé, le 5 décembre 2016, le retour du Grand Prix dans le Var, mettant fin à des années de tractations plus ou moins secrètes.

Le 16 juin à Nice, le maire a souligné « le rôle déterminant joué par le patron de l’écurie McLaren », le Manceau Eric Boullier. Ce dernier raconte alors l’entrevue du 5 décembre 2016 avec les décideurs de FOM, avant de signer le contrat qui les lie pour cinq ans : « Après une dizaine de minutes de discussion, Bernie Ecclestone s’est levé et est allé échanger une poignée de main avec Christian Estrosi. Le contrat était signé, à l’ancienne. »