En France, quatre cancers sur dix pourraient être évités
En France, quatre cancers sur dix pourraient être évités
Par Hervé Morin
En 2015, 142 000 cas étaient attribuables à des facteurs de risques liés au mode de vie ou à l’environnement, au premier rang desquels le tabagisme et l’alcool.
La part des cancers dits évitables, c’est-à-dire attribuables à des facteurs de risques liés au mode de vie ou à l’environnement, vient d’être réévaluée pour la France métropolitaine : elle représenterait 41 % des tumeurs survenues en 2015 chez les adultes de plus de 30 ans, soit 142 000 cas (84 000 chez les hommes et 58 000 chez les femmes). Cette estimation est le fruit d’une vaste étude coordonnée par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), publiée lundi 25 juin dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH).
En 2000, la part des cancers évitables était évaluée en France à 35 %, tandis que les études portant sur d’autres pays donnent une fourchette variant entre 30 % et 50 %.
L’originalité de l’étude, par rapport aux évaluations antérieures, est d’avoir élargi le spectre des causes évitables à treize facteurs majeurs de risques pour lesquels un lien avec la survenue de cancers est bien établi, et pour lesquels l’exposition des Français était connue. La consommation de viande rouge et de charcuterie, ou les expositions professionnelles (trichloréthylène, gaz d’échappement du diesel), n’étaient par exemple pas prises en compte auparavant.
Origines multiples et combinées
Isabelle Soerjomataram, qui, au CIRC – agence intergouvernementale de recherche sur le cancer créée en 1965 par l’Organisation mondiale de la santé –, a coordonné l’étude, souligne que le message principal est positif : « C’est une bonne nouvelle de savoir que l’on peut agir sur 40 % des cancers, en se concentrant sur treize facteurs de risques seulement. »
Le déclenchement d’un cancer peut évidemment avoir des origines multiples et combinées. La part du hasard, c’est-à-dire liée à la survenue de mutations aléatoires dans l’ADN des cellules, fait l’objet d’âpres débats scientifiques. Elle est évaluée par certains à deux tiers des mutations susceptibles de déclencher un cancer. Le poids de l’hérédité, c’est-à-dire les prédispositions à développer certains cancers en raison de son patrimoine génétique, représenterait environ 5 % des cas.
Restent les cancers dits évitables. Tout l’intérêt de l’étude du BEH est donc de chiffrer le poids des déterminants sur lesquels on peut agir en modifiant des comportements (tabac, alcool, alimentation, activité physique) par la réglementation (polluants, pesticides, composants alimentaires) ou la prophylaxie (vaccins).
Sans surprise, le tabac et l’alcool restent les deux principaux « fauteurs évitables » de cancers, représentant 20 % et 8 % des cas, tous sexes confondus. Chez les hommes, c’est ensuite l’alimentation qui prédomine (5,7 % des cas), tandis que chez les femmes, c’est le surpoids et l’obésité (6,8 %). « Je ne m’attendais pas à ce que ces facteurs de risques soient si élevés, commente Isabelle Soerjomataram. Il semble que la France suive dans ce domaine la trajectoire de pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni. »
Une simulation
Viennent ensuite les infections, notamment celles liées au papillomavirus, responsable de plus de 6 300 cas de cancers, essentiellement du col de l’utérus, en 2015. Les expositions professionnelles arrivent ensuite, avant les ultraviolets (mélanomes), le radon et les radiations d’origine médicale. La pollution de l’air extérieur, puis la présence d’arsenic et de benzène ferment la liste.
Certains facteurs de risque sont définis en négatif : le fait de ne pas manger suffisamment de fruits, de légumes ou de fibres pèse autant que de manger trop de viande rouge ou transformée. Le manque d’activité physique ou un allaitement inférieur à six mois, moins protecteur pour la mère vis-à-vis du risque de cancer du sein, ont aussi été pris en compte.
En revanche, des facteurs comme le nombre d’enfants ou l’âge de la première grossesse, connus pour peser aussi sur le risque de cancer, « mais sur lesquels on ne peut agir de la même façon que pour l’allaitement, n’ont pas été retenus comme évitables », souligne Isabelle Soerjomataram.
Cette analyse représente la somme des connaissances toxicologiques et épidémiologiques concernant la population française. Elle est une simulation, car il est très rare de pouvoir attribuer à un cas individuel une origine précise, comme pour le mésothéliome lié à l’exposition à l’amiante. Les auteurs sont conscients des limites de l’étude. Elle ne prend pas en compte certains facteurs de risques dont les effets sont encore insuffisamment documentés.
« Cibler des priorités d’action »
« Cet état des lieux a permis de mettre en exergue des lacunes scientifiques (comme par exemple les expositions chimiques), mais aussi le besoin de recherche pour identifier le rôle de facteurs de risques émergents (comme par exemple les perturbateurs endocriniens) », notent ainsi Christopher Wild, directeur du CIRC, Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer, et François Bourdillon, directeur général de l’agence sanitaire Santé publique France dans l’éditorial du BEH. Cela signifie qu’à mesure que des données plus solides apparaîtront, la part des cancers évitables pourrait encore augmenter.
Il est aussi à noter que les outre-mer n’ont pas été inclus. Alors qu’en métropole, le cancer de la prostate est considéré comme largement indépendant des facteurs de risques évitables, dans les Antilles, le poids du chlordécone, un pesticide longtemps utilisé dans les bananeraies, serait sans doute à prendre en compte. « On aimerait poursuivre l’analyse dans ces territoires », note Isabelle Soerjomataram, pour qui les facteurs de risques seraient alors probablement différents.
Pour les signataires de l’éditorial du BEH, mesurer la part évitable a un intérêt majeur : « Cibler des priorités d’action pour la prévention du cancer. » Si l’on doit se réjouir de la baisse d’un million de fumeurs quotidiens entre 2016 et 2017, la stratégie de réduction du tabagisme à travers l’augmentation du prix doit être « maintenue et renforcée », notent-ils. L’alcool, l’alimentation, le surpoids, devraient faire l’objet des mêmes efforts de prévention, avancent-ils, notant aussi l’efficacité potentielle des réglementations concernant les valeurs limites de produits cancérigènes dans l’environnement et en milieu professionnel pour diminuer les expositions. Ou des pistes cyclables pour encourager l’activité physique.
Isabelle Soerjomataram souligne que pour le tabac et l’alcool, il serait sans doute bienvenu d’adresser des messages de préventions spécifiques pour les femmes. En 2000, le tabac représentait 6 % des cas de cancers chez les femmes, contre 8 % en 2015, et pour l’alcool, ces proportions sont respectivement passées de 4 % à 7 %, tandis que chez les hommes, elles sont restées stables.
« Remettre l’accent sur la vaccination »
François Bourdillon, de l’agence sanitaire Santé publique France, note quant à lui qu’outre les grands domaines classiques de prévention (tabac, alcool, alimentation-obésité), l’étude « interpelle toute la médecine du travail, l’exposition professionnelle n’étant pas négligeable ».
Il se dit aussi surpris par la hauteur de l’impact des infections. « Il faudrait remettre l’accent sur la vaccination », souligne-t-il. En France, celle contre le papillomavirus (HPV), recommandée depuis 2007, était inférieure à 15 % chez les filles de 16 ans en 2015.
L’agence sanitaire britannique Public Health England estimait très récemment que la vaccination a fait baisser de 86 % chez les jeunes femmes les infections par les deux types d’HPV causant la majorité des cancers du col de l’utérus. Outre-Manche, 80 % des garçons et filles de 14 à 25 ans sont vaccinés.
Les nouvelles données permettent aussi de mesurer certaines distorsions dans la perception de la hiérarchie des risques par le grand public. Un baromètre de Santé Publique France, à paraître, montre qu’en 2015, 67 % des personnes interrogées pensaient que la pollution atmosphérique causait davantage de cancers que l’alcool. Or la pollution atmosphérique, qui a d’autres impacts sanitaires, notamment cardiovasculaires, « représente 0,4 % des cas de cancers dans notre évaluation », rappelle Isabelle Soerjomataram. Soit vingt fois moins que l’alcool et cinquante fois moins que le tabac.