Le président Macron s’est entretenu, lundi 25 juin, avec le premier ministre Prayuth Chan-ocha à l’Elysée. / Michel Euler / AP

Le chef de la junte militaire thaïlandaise – qui donne les signes croissants d’une volonté de devenir le premier ministre d’un gouvernement élu à l’issue d’élections législatives prévues en 2019 – vient de terminer à Paris un court séjour européen destiné à renforcer une légitimité politique introuvable depuis le coup d’Etat de mai 2014. Et donner du même coup du crédit à son possible futur avatar de chef de gouvernement d’une Thaïlande à nouveau démocratique, si le prochain scrutin se tient bien l’année prochaine, après avoir été repoussé à plusieurs reprises.

Après avoir rencontré la semaine dernière à Londres la première ministre britannique, Theresa May, le général Prayuth Chan-ocha s’est entretenu, lundi 25 juin, à l’Elysée avec Emmanuel Macron. Selon un communiqué de l’Elysée, le président français a exprimé la « volonté de la France d’accompagner la Thaïlande, pays ami de longue date et partenaire important de la France en Asie du Sud-Est, sur le chemin du retour à la démocratie, ainsi que son attention à la situation des droits fondamentaux dans ce pays. » Il a également « noté
l’engagement du premier ministre Prayuth Chan-ocha à ouvrir l’espace politique dans un très proche avenir et à tenir les élections d’ici à février 2019 »
.

Un entretien au cours duquel a été annoncé l’achat par la Thaïlande d’un satellite d’observation d’Airbus pour un coût de 200 millions d’euros. Alors que cette visite sanctionne une reprise au plus haut niveau des relations entre Paris et Bangkok, quatre ans après le putsch dont le « dictateur en chef » Prayuth Chan-ocha fut l’instigateur, des sources diplomatiques françaises avaient insisté auparavant sur le fait que le satellite vendu par Airbus à l’agence spatiale thaïlandaise « n’est pas militaire et a été développé pour surveiller l’agriculture et l’érosion du littoral ».

Un marché non négligeable

De source diplomatique française, on fait remarquer également que le contexte actuel justifie, au plan économique, un redémarrage de la relation franco-thaïe : « Le pays fait face à un vieillissement démographique rapide, à des évolutions politiques régionales [décloisonnement de l’Indochine et montée en puissance de la Chine], qu’il entend affronter grâce à une stratégie de création de valeur ajoutée [Thailand 4.0] et à un ambitieux plan d’investissements en infrastructures de transport. La mise en œuvre de cette politique de modernisation devra être associée à un redémarrage de l’investissement privé et, probablement, à une ouverture plus grande de certaines activités [services] aux entreprises étrangères. »

La Thaïlande, diplomatiquement et politiquement ostracisée par les Européens et les Américains durant le mandat de Barack Obama, représente pour l’Europe et la France un marché non négligeable. Les exportations françaises en Thaïlande, où 280 entreprises hexagonales sont présentes, ont crû de plus de 33 % en 2017 et la France espère, entre autres, pouvoir profiter de la volonté du gouvernement thaïlandais de moderniser son réseau ferroviaire pour pousser précisément ses pions dans ce secteur.

« Vers une monarchie absolue »

La rencontre Macron-Prayuth a été critiquée par la dissidence thaïlandaise en exil en France, qui s’inquiète de la nouvelle tolérance affichée par Paris à l’égard du régime militaire. Ce dernier gouverne sans partage, impose la censure et empêche toute activité politique. Depuis quatre ans, plus d’une centaine de personnes ont été arrêtées pour avoir enfreint la loi de lèse-majesté, un article du code pénal dont se servent les généraux pour museler toute opposition à leur régime.

« La junte a mis en place une nouvelle Constitution et imposé un plan militaire national de vingt ans, qui écrase la démocratie et renforce le contrôle autoritaire » accuse, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, l’opposant Jaran Ditapichai, ancien commissaire thaïlandais aux droits de l’homme, exilé en France. Dans la même lettre, il affirme que « le régime thaïlandais est encore plus dictatorial depuis que le roi Vajiralongkorn est monté sur le trône en décembre 2016. Depuis cette date, il devient de plus en plus évident que la Thaïlande s’achemine vers une monarchie absolue. »

A Bangkok, où la parole politique est contrainte, mais où les critiques d’intellectuels restent tolérées par la junte, la visite du général Prayuth a été vertement tancée : « Nous savons tous que les gouvernements occidentaux défendent le principe de la démocratie et le principe des droits de l’homme tant que cela ne va pas à l’encontre de leurs intérêts nationaux », a réagi Puangthong Pawakapan, professeur de relations internationales à l’université Chulalongkorn de Bangkok ; « mais s’ils ont trop à perdre [en défendant la démocratie], ils trouvent des arguments pour justifier l’abandon de telles politiques ». Pour lui, la visite du dictateur thaïlandais au Royaume-Uni et en France n’est ni plus ni moins la mise en application d’une « real politik dégoûtante ».