La rédactrice en chef de « Tut.by », Marina Zolotova, a été arrêtée mardi, avec deux autres  journalistes du site, le plus important média biélorusse indépendant en ligne, volontiers critique du pouvoir. / Capture d'écran Internet

Les forces de l’ordre biélorusses ont procédé, ces derniers jours, à une importante vague d’arrestations de journalistes travaillant pour les rares médias indépendants du pays. Les chiffres précis sont difficiles à obtenir, et plusieurs d’entre eux ont été relâchés après avoir été retenus entre quelques heures et deux jours, mais une quinzaine de personnes en tout auraient été interpellées depuis mardi 7 août. Jeudi, au moins six journalistes étaient toujours incarcérés. Le même jour, la rédactrice en chef de l’agence de presse BelaPan, Irina Levchina, venait s’ajouter à cette liste.

Trois sites sont visés : outre BelaPan, il s’agit de Realt.by et Tut.by, le plus important média biélorusse indépendant en ligne, volontiers critique du pouvoir. Sa rédactrice en chef, Marina Zolotova, a été arrêtée mardi, en même temps que deux journalistes du site. Les locaux de Tut.by, ainsi que les logements de certains journalistes, dont celui d’un correspondant de la radio allemande Deutsche Welle, ont aussi fait l’objet de perquisitions. Des ordinateurs, des téléphones et des documents ont été saisis.

Le motif avancé par les autorités est surprenant. Celles-ci accusent ces médias et leurs journalistes d’avoir consulté de façon illégale, sans payer d’abonnement, les informations de l’agence de presse officielle Belta. La maison d’édition Belorousskaïa Naouka est également visée dans la même affaire, ont précisé les enquêteurs, qui disent avoir enregistré en 2017 et 2018 au total plus de 15 000 connexions non autorisées aux services de l’agence, avec, pour résultat, « un préjudice important ».

Le contrôle strict des médias reste une constante

Cette accusation en apparence anodine pourrait avoir des conséquences lourdes. Selon le code pénal biélorusse, cette infraction est punie par des peines allant jusqu’à deux ans de prison et une interdiction temporaire d’exercer le journalisme.

« Nous ne sommes pas abonnés à Belta, mais, avec l’autorisation de cette agence, nous utilisons certaines informations de leur site en les référençant avec un lien hypertexte », a expliqué à l’AFP la rédactrice en chef de l’agence BelaPan. Contacté par Le Monde, le fondateur de Tut.by, Iouri Zisser, qui a lui-même été interrogé deux heures mercredi, se montre plus explicite : « Le ministère de l’intérieur a trouvé un excellent prétexte pour punir des journalistes peu accommodants. »

Le régime d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, a opéré ces dernières années une relative libéralisation, avec notamment la libération des derniers prisonniers politiques détenus dans le pays. Ce geste, combiné à une légère amélioration des conditions d’organisation du scrutin présidentiel de 2015, avait permis un rapprochement avec l’Union européenne et la levée, début 2016, des sanctions européennes et américaines. La timide normalisation de ses relations avec l’Ouest est d’autant plus vitale pour Minsk que M. Loukachenko cherche à éviter un tête-à-tête exclusif avec Moscou, son allié traditionnel. Et ce d’autant plus que la Russie a réduit les montants alloués au soutien de l’économie biélorusse.

Le contrôle strict des médias reste toutefois une constante de ce régime autoritaire. Sa timide ouverture avait déjà été remise en cause par les centaines d’arrestations effectuées dans la foulée des manifestations sociales de mars 2017. Le Conseil de l’Europe, dont Minsk n’est pas membre, a exprimé sa préoccupation face aux arrestations de ces derniers jours et appelé à la libération des journalistes. Reporters sans frontières, qui place la Biélorussie parmi les vingt-cinq Etats les plus répressifs pour les journalistes, a aussi dénoncé une « tentative d’intimidation des médias indépendants » et un « harcèlement ».