Goélette scientifique « Tara », journal du bord nº 4 : dans l’œil du vortex de déchets du Pacifique Nord
Goélette scientifique « Tara », journal du bord nº 4 : dans l’œil du vortex de déchets du Pacifique Nord
Par Patricia Jolly
« Tara » et « Le Monde » mettent le cap sur le Great Pacific Garbage Patch, la « soupe » de microplastiques du gyre du Pacifique Nord.
Huitième jour de mer… Tara navigue désormais au cœur de le vortex de déchets du Pacifique Nord (Great Pacific Garbage Patch, GPGP), le gyre de microplastiques du Pacifique Nord. A chaque changement de régime des deux moteurs de 350 chevaux qui nous propulsent depuis le départ, faute de vent favorable, tout le monde se rue sur le pont pour mettre la main à la pâte. La goélette est attendue le 8 juillet à Portland, dans l’Oregon, et il faut mettre les bouchées doubles pour que la science ne soit pas sacrifiée sur l’autel de la ponctualité.
Traversée du Pacifique Nord de Honolulu (Hawaï) à Portland (Oregon) à travers le vortex de déchets du Pacifique Nord. Jour 7 : Le "continent de plastique" n'existe pas. Loin de constituer "une île", des milliers de milliards de micro-plastiques constituent plutôt une "soupe de plastique" invisible du bateau. Des morceaux de plastique allant de 2 millimètres à quelques microns, prêts à intégrer la chaîne alimentaire... et surtout impossibles à nettoyer. / SAMUEL BOLLENDORFF POUR LE MONDE
Quatre fois par jour, contre deux la première semaine du voyage, on réduit donc la vitesse du bateau à 3 nœuds (un peu plus de 5 km/h) pour mettre à l’eau le Manta. Avec sa mâchoire de 60 cm par 20, il est le filet le plus approprié pour la pêche aux microplastiques. D’autant que la mer hachée qui le faisait rebondir en surface ces derniers jours s’est calmée.
L’ingéniosité du capitaine Yohann Mucherie et de Maria Luiza Pedrotti, chercheuse en biologie marine au Laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes) et cheffe de mission scientifique, a également payé. Pour entrer de plain-pied dans la « grande poubelle du Pacifique », le tandem ne pouvait se fier seulement à ses coordonnées géographiques les plus récentes. Livrées en mars dans le cadre d’une étude publiée par Scientific Reports, elles reposaient en effet sur des données déjà anciennes, remontant à 2015 et 2016.
A bord de la goélette scientifique « Tara », le 27 juin. / SAMUEL BOLLENDORFF POUR LE MONDE
« Tara » sur la bonne voie
La patronne des scientifiques et le maître du bord ont donc creusé la question de sa localisation et décidé de superposer à la carte existant un algorithme de prévisions océanographiques. A l’aide d’informations recueillies par l’intermédiaire de différents satellites et bouées in situ qu’il agrège quotidiennement à celles partagées par les expéditions antérieures, « Mercator Océan » modélise les courants marins, la température, la salinité et la hauteur de l’eau, ainsi que les variables biochimiques de l’océan. Grâce à cette opération, Tara semble être sur la bonne voie
Structure permanente mais mouvante, formée par les courants de surface de l’océan sous l’effet du vent, le gyre piège les plastiques mais n’est pas pour autant une zone homogène. Sa surface équivalente à au moins six fois la France présente des zones plus concentrées en plastiques que d’autres. « Afin d’en couvrir le plus d’espace possible et d’y collecter un maximum de microplastiques, nous avons opté pour une route en zigzag avant de remettre le cap au Nord pour rallier Portland », explique Maria Luiza Pedrotti.
A bord de la goélette scientifique « Tara », le 27 juin. / Samuel Bollendorff
Ses troupes ont récolté ces deux derniers jours un joli butin. Assise en tailleur sur le pont, armée d’une pince souple, Mélanie Billaud, 21 ans, l’a trié avec l’application d’un orpailleur. Tout d’abord, rejeter à la mer les splendides vélelles bleu roi, sorte de colonies de polypes en forme de petits bateaux que les béotiens du bord confondent avec d’esthétiques plastiques… Puis, placer dans un récipient de verre transparent chaque minuscule pièce à côté d’une échelle, pour la mesurer. Avant de mettre en culture les espèces qui les ont colonisées.
A bord de la goélette scientifique « Tara », le 27 juin. / SAMUEL BOLLENDORFF POUR LE MONDE
« Il s’agit de déterminer un potentiel de préférence des organismes marins pour tel ou tel polymère de plastiques », explique la benjamine du bord, étudiante en master 1 des sciences de la vie, en stage au laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer, sous la houlette de Mme Pedrotti.
Plus de plastiques que de plancton
Aucun des microdéchets de toutes les couleurs coincés dans le tamis en inox au vide de maille de 2 mm de la jeune femme ne devrait s’y trouver. « Ce sont en majorité des plastiques durs issus de la fragmentation de bouteilles, constate sa référente. Et l’on trouve également des fibres, des filaments, du film, et du polystyrène… Mais le plus surprenant, c’est la présence de granulés qui constituent la matière première à la fabrication de tout objet en plastique, et ne devraient donc jamais sortir des usines ».
Dans les collecteurs aux fonds des filets, la chercheuse observe clairement davantage de plastiques que de plancton. Suffisamment pour mettre en œuvre toutes les étapes du projet qu’elle mène… « Il va de l’étude de la génomique de la faune et de la flore présentes sur les plastiques aux polluants qui leur sont associés, en passant par la diversité des cyanobactéries et des champignons qui s’y trouvent », détaille-t-elle. Un travail dont les résultats ne seront pas connus avant plusieurs années.