Omar da Fonseca : « Je suis différent malgré moi »
Omar da Fonseca : « Je suis différent malgré moi »
Propos recueillis par Anthony Hernandez
Commentateur au style personnel et inimitable, synthèse de ses deux cultures, française et argentine, Omar da Fonseca révèle ses influences avant le 8e de finale entre les Bleus et l’Albiceleste.
Omar da Fonseca. / JB Autissier / Panoramic
Son phrasé et sa manière d’incarner les matchs qu’il commente détonent au sein d’une profession souvent décriée en France. Le Franco-Argentin Omar da Fonseca, ancien joueur professionnel au PSG et à Monaco, a développé un style personnel influencé par ces deux cultures, où les fautes de français et les néologismes s’entrecroisent, parfois avec poésie. Avant de commenter sur BeInSport samedi 30 juin un France-Argentine particulier pour lui, il raconte ses influences et plaide pour l’émotion et la légèreté.
Vous avez développé un style personnel, un mélange entre la France et l’Argentine, qui renouvelle le genre du commentaire footballistique. Commment l’avez-vous façonné ?
Tout part d’une idée simple. Dans ce métier, on commente beaucoup de matchs et à un moment donné, la répétition des phrases m’ennuie. Je ne trouve pas intéressant de dire une fois, deux fois, cinq fois : « Il a frappé du plat du pied. » Notre ennemi est la banalité. Je me suis donné les moyens de varier mes commentaires. Je lis, j’essaie de récupérer des phrases, j’écoute, je m’imprègne, je vais parfois au théâtre le vendredi soir avec ma petite feuille pour noter.
Et puis, en tant qu’Argentin, je viens d’une culture radio. Dans ma jeunesse, j’écoutais les matchs à la radio. Je suis issu d’une grande famille qui se réunissait autour du poste en buvant le maté. J’ai coutume de me dire que l’on ne regardait pas la télé, nous regardions la radio… Le commentaire célèbre à l’époque s’appelait José Maria Munoz. C’était un mec qui t’expliquait dans un dixième de seconde qui était ce monsieur qui avait la balle et comment il la maniait. Il te donnait la taille de ses oreilles, la manière dont il ajustait ses chaussettes, comment il était coiffé, s’il avait un gros nez… Tout était imagé. Ma fascination vient de là.
Vous tentez d’échapper à la banalité et d’inventer votre propre réalité de ce qui se passe sur le terrain…
Oui, et des fois, on me dit que l’on ne comprend pas ce que je veux dire. Quand je dis par exemple : « Il a centré pour la tête du serpent. » C’est parce que le centre est bas et qu’un serpent ça rampe. Ou l’autre soir, j’ai dit : « Plus long que la chanson Only youuuuu. » Pour comprendre mes commentaires, parfois, il faut un esprit ouvert parce qu’un match de foot, malgré la dimension grave que l’on veut essayer de lui donner, ce n’est finalement qu’un jeu. Bien sûr, cela peut être important pour ceux qui gagnent ou qui perdent, et pour qui le résultat peut avoir une influence directe sur leur carrière, mais pour les spectateurs ou les journalistes, je trouve qu’il y a de très loin des choses beaucoup plus graves.
Vous parliez de théâtre. Quelles sont vos influences culturelles ?
Premièrement, j’ai une mémoire catastrophique. Souvent, je pense dire quelque chose et le moment venu, j’oublie. Je travaille en préparant des tonnes de fiches. Je suis de la vieille école, je n’ai pas d’ordinateur. Je n’ai pas la connaissance littéraire pour lire tel ou tel auteur mais j’aime bien m’imprégner de livres de proverbes, d’oxymores ou tout simplement d’un dictionnaire. J’ai pas mal d’amis aussi réalisateurs, ou des auteurs comme Bruno Gaccio qui peuvent m’inspirer. Je vais aussi assister à des one-man-show par ce que le mec fait des jeux de mots qui m’interpellent. Je trouve aussi qu’au théâtre, la parole est plus présente qu’au cinéma. On y trouve des phrases qui disent plus de choses.
Vous n’êtes donc pas que dans l’improvisation. Quel est l’équilibre entre la préparation et l’instant ?
J’ai commencé dans ce métier en 1998 grâce à Monsieur Charles Biétry. J’ai encore des feuilles qui datent de la Coupe du monde en France. Je les ai avec moi. Mais attention, je ne suis pas d’une méthodologie carrée, je suis latin. Parfois, je dis la moitié d’une phrase que j’ai préparée avec la moitié d’une autre. Je mélange sur le moment. Pendant le match, je ne me contrains pas à un cadre rigide. Je dois me sentir libre.
Êtes-vous conscient du charme, voire de la poésie, de certaines de vos erreurs de syntaxe ou de français ?
Non, je ne me rends pas compte. Je pense qu’employer ce mot est bien trop honorable. Des fois, je vais dire la « titularité » au lieu de la titularisation. On m’a dit que c’était incorrect. Mais pour moi la titularisation, ça banalise le mot. Donc je continue à le dire. Ce que vous me dites m’étonne, car attention, j’ai des enfants, je suis un abuelo, un grand-père en espagnol, je ne veux pas que mes petits-enfants me disent tu as dit ça, tu as fait cela.
J’ai 60 ans, ma carrière est derrière moi. Mon but n’est pas de me faire remarquer ou d’essayer d’être le meilleur. Je ne fais qu’essayer de raconter le football. Autour de nous, certains se prennent pour je ne sais quoi. Mon accent, ma manière d’employer les mots, changent. Cela me rend différent malgré moi. Je ne veux pas faire volontairement les erreurs de prononciation ou de verbes. J’aimerais pouvoir les limiter mais ça ne sera pas pour demain. Ni pour samedi…
En parlant de ce France-Argentine, vous vous surpassez toujours lors des matchs de l’Argentine et de Lionel Messi...
Ce match, j’ai demandé à ma direction de ne pas le faire. Cela fait trente-sept ans que je suis en France, je suis arrivé en 1981. Je suis français. J’ai toutes mes bases, ma famille, ma maison, mon cheval, ma guitare. Sauf que je suis argentin, je m’incarne dans cette passion fanatique, cette folie irrationnelle du football en Argentine. Je serais aux commentaires car on m’a dit qu’il fallait que j’y sois. Je ne vais supporter personne.
Je me donne le droit de me laisser emporter par le jeu, par celui qui me donne le plus d’émotions. Peu importe sa nationalité, sa couleur de maillot. Un tacle ou un dégagement en tribune ne me fait pas lever de mon siège. Un dribble, une feinte ou une combinaison me transmettent quelque chose que je veux mettre en valeur. Et oui, Messi incarne le mec que nous avons tous rêvé d’être dans la cour de récréation, c’est le petit chien qui court après la balle. Il m’a transmis beaucoup plus de fois que quiconque ce genre d’émotions. C’est pour cette raison que je suis souvent allé dans mes délires à travers ce joueur-là.
Omar da Fonseca interviendra au Monde Festival dans le cadre d’un débat sur « l’amour foot » avec le metteur en scène Mohamed El Khatib et la politologue Marie-Cécile Naves, samedi 6 octobre de 10 heures à 11 h 30 à l’Opéra Bastille (studio).