Au Kenya, le lac Turkana placé sur la liste du patrimoine en péril
Au Kenya, le lac Turkana placé sur la liste du patrimoine en péril
Le Monde.fr avec AFP
Addis-Abeba, mis en cause pour les infrastructures développées sur le fleuve Omo qui se jette dans le lac, s’est opposée à la décision de l’Unesco.
Le lac Turkana, plus grand lac désertique au monde situé au Kenya, a été placé jeudi 28 juin sur la liste du patrimoine mondial en péril, car menacé par un barrage hydroélectrique et des projets d’irrigation éthiopiens sur son principal affluent.
Surnommé la « mer de Jade » pour ses célèbres reflets, le lac Turkana s’étire du nord au sud sur 249 km de long en suivant la vallée du Grand Rift africain, et mesure 44 km à sa largeur maximale. Il est le lac « le plus salé de tous les grands lacs d’Afrique de l’Est et le plus vaste en milieu désertique au monde, dans un paysage aride, en apparence extraterrestre, qui est souvent sans vie », décrit l’Unesco sur son site Internet.
Le territoire classé au patrimoine mondial de l’Unesco, depuis 1997, correspond aux trois parcs nationaux du lac, à savoir les îles Central Island (500 hectares) et South Island (3 900 hectares), ainsi que le parc de Sibiloi (157 085 hectares), situé sur la rive nord-est. « Les trois parcs nationaux servent d’étapes aux oiseaux d’eau migrateurs et constituent d’importantes zones de reproduction pour le crocodile du Nil, l’hippopotame et différents serpents venimeux », explique l’Unesco.
Importants projets d’irrigation
La région est également considérée comme un des berceaux de l’humanité : c’est à Sibiloi que se situent les gisements fossilifères de Koobi Fora, où ont été retrouvés de nombreux fossiles d’hominidés (australopithèque, Homo habilis, Homo erectus et Homo sapiens), et d’espèces animales. Ces gisements « ont davantage contribué à la compréhension des paléoenvironnements que tout autre site sur ce continent », assure l’Unesco.
Jeudi, le comité du patrimoine réuni à Manama, à Bahreïn, a placé le site sur la liste du patrimoine en danger, malgré l’opposition des autorités éthiopiennes, mises en cause pour les infrastructures développées sur le fleuve Omo, qui se jette dans le lac à la frontière entre le Kenya et l’Ethiopie. Outre ces infrastructures, le lac Turkana et son écosystème sont également menacés par les sécheresses, des explorations pétrolières dans la région et le braconnage – Sibiloi abrite des espèces menacées comme le lion et la girafe réticulée.
Le célèbre paléoanthropologue kényan Richard Leakey, qui a réalisé plusieurs découvertes majeures au Turkana, peste en évoquant le barrage hydroélectrique de Gibe III, le plus haut d’Afrique (243 mètres), inauguré fin 2016 sur l’Omo, et les importants projets d’irrigation pour des plantations de cannes à sucre et de coton. « Tôt ou tard, on va manquer d’eau au Turkana, soutient-il à l’AFP. L’Ethiopie ne fait rien, à part encourager ses fermiers à cultiver plus de coton et de sucre, et ils prévoient d’autres barrages (…). Est-ce une manière légitime de se comporter en tant que voisin ? »
« La prochaine mer d’Aral »
Un rapport d’évaluation publié sur le site de l’Unesco fustige « une baisse générale rapide du niveau d’eau depuis janvier 2015, quand le chargement de la retenue Gibe III a commencé », et souligne que les crues saisonnières, essentielles au cycle de reproduction des poissons, ont été perturbées. Quelque 300 000 personnes dépendent de la pêche autour du lac, Des perturbations qui pourraient « affecter l’équilibre de l’écosystème », note le rapport.
Quant aux projets d’irrigation, la même source dénonce l’absence d’étude sur les « impacts éventuels en aval sur le bien, comme la réduction du débit et la pollution due aux engrais et aux pesticides ». « Le lac Turkana va être la prochaine mer d’Aral », redoute Richard Leakey, en référence à la catastrophe environnementale de l’étendue d’eau d’Asie centrale largement asséchée par le détournement de deux fleuves à des fins d’irrigation.
L’inscription du site sur la liste du patrimoine en péril, qui peut ouvrir la voie à une aide financière, a été défendue par Mzalendo Kibunjia, directeur des Musées nationaux du Kenya, qui représentait son pays à Manama. Il a dit espérer « une solution à l’amiable sur l’utilisation des ressources hydriques. Le Kenya en appelle au soutien international. Nous avons besoin d’une assistance technique et financière pour assurer la conservation de ce site. »