Le drone, insaisissable familier de l’univers carcéral
Le drone, insaisissable familier de l’univers carcéral
Par Jean-Michel Normand
Evoqués par la garde des sceaux dans l’évasion de Redoine Faïd, ces appareils volent souvent autour des prisons.
Un panneau signalant l’interdiction de faire voler un drone près de San Diego, en Californie. / MIKE BLAKE / REUTERS
Pointés du doigt par la ministre de la justice, qui les soupçonne d’avoir contribué à la préparation de la spectaculaire évasion de Redoine Faïd, les drones sont devenus des bêtes noires de l’administration carcérale. Selon Nicole Belloubet, l’équipe qui a permis dimanche 1er juillet au braqueur de s’échapper par hélicoptère de la prison de Réau (Seine-et-Marne) avait « sans doute repéré les lieux par le biais de drones ». Les services de surveillance en avaient, « il y a quelques mois », observé « à proximité de l’établissement », a souligné le ministre, ne s’estimant toutefois « pas en capacité » d’établir un lien formel avec les faits.
Cette éventualité, même si elle peut ressembler à une diversion – l’absence de filins empêchant l’atterrissage d’un hélicoptère au-dessus de la cour d’honneur pose question – vient rappeler que les drones sont devenus des objets presque familiers dans l’univers carcéral. Jusqu’alors, ils se sont surtout fait remarquer pour réaliser des opérations de livraison à destination des détenus. Pendant l’été 2017, par exemple, un drone a déposé en plein jour un colis dans une cour du centre pénitentiaire de Valence (Drôme). Le syndicat UNSA-Justice avait alors évoqué « des projections quasi quotidiennes de matériels illicites par-dessus les murs de la prison ».
Quelque temps auparavant, un drone avait été découvert dans l’enceinte de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Saône-et-Loire) et deux téléphones portables avaient été « livrés » dans la prison d’Annœullin (Nord). Fin 2017, le tribunal correctionnel de Grasse a condamné à trois mois de prison un individu qui avait tenté de faire parvenir quatre téléphones portables dans la cour de la maison d’arrêt de la ville mais n’avait pas pu faire décoller son quadricoptère. Au Royaume-Uni, le gouvernement britannique a constitué il y quelques mois une équipe spécialisée dans la lutte contre les drones alors que l’administration pénitentiaire québécoise a fait savoir en mai que le nombre de survols au-dessus des prisons de la province est passé de 27 en 2015 à 180 en 2017.
Fusil antidrone
Comment prévenir ces irruptions dans un espace aérien sévèrement réglementé ? Malgré l’ampleur des moyens déployés, aucune solution technique ne semble s’imposer. Lors du sommet de Davos, en janvier 2017, avait été dévoilé un spectaculaire « fusil-antidrone » aux allures de canon-laser à la mode Star Wars. Il s’agissait de brouiller la liaison entre le drone et la radiocommande du pilote en soumettant l’appareil à un champ magnétique très puissant. Il est efficace dans un rayon de 300 mètres et permet aussi de bloquer la transmission d’images.
En France, au lendemain des survols de centrales nucléaires début 2015 par des drones non identifiés, un plan avait été engagé sous l’égide du Secrétariat général de la défense nationale (SGDSN) afin de mettre au point des ripostes efficaces. En novembre 2016, des démonstrations ont été organisées sur l’aérodrome de Villacoublay. Les différents projets, dérivés pour l’essentiel d’applications militaires, faisaient appel à la radiogonométrie (détection des ondes émises par un appareil en vol), à l’optronique (combinaison de l’optique et de l’électronique) mais utilisaient aussi des lidars (radars utilisant un laser), des caméras infrarouges capables de repérer la chaleur dégagée par des moteurs, voire la diffusion de micro-ondes de forte puissance.
Des dispositifs coûteux
Les systèmes antidrones, déja opérationnels lors d’événements importants (l’Euro 2016 en France, notamment, ou les visites de chefs d’Etat), sont encore très perfectibles. S’il semble relativement aisé de localiser un drone malgré sa taille réduite – ceux qui tournent autour des prisons sont des modèles de loisir, d’une trentaine de centimètres d’envergure au maximum, pour un poids inférieur à deux kilos et dont le prix dépasse à peine les 1 000 euros –, il apparaît beaucoup plus délicat de le neutraliser. Tout d’abord, le « noyer » dans un nuage hertzien sera sans effet, si l’appareil évolue en vol autonome, sans lien électronique avec le pilote. Ce dernier se sera contenté de programmer des points de passage que le drone suivra sans être relié (par Wi-Fi) à une radiocommande.
Dans ces conditions, l’arme la plus efficace consisterait à brouiller la liaison GPS de l’appareil, en interrompant celle-ci ou en lui indiquant de fausses données cartographiques. Or, mettre en œuvre un tel type de leurre imposerait de renverser un tabou, car les liaisons GPS sont indispensables aux forces de police et de sécurité mais aussi au contrôle aérien, notamment. Quant au dressage de rapaces, prompts à intercepter de drôles d’oiseaux venus s’aventurer sur leur territoire, cette solution n’est plus vraiment en cours, car trop onéreuse et pas forcément très efficace.
Même si le marché de la chasse au drone semble prometteur, le dernier obstacle à la mise en œuvre d’outils efficaces est leur coût. L’un des systèmes de détection-interception présentés fin 2016 à Villacoublay, conçu notamment pour permettre à une prison ou une centrale nucléaire de repérer un drone en approche, était facturé quelque 300 000 euros. Un investissement lourd. Et peut-être pas plus efficace contre les tentatives d’évasion que la pose de filins de protection antihélicoptère au-dessus d’une cour.