Une île sud-coréenne confrontée à l’afflux de réfugiés yéménites
Une île sud-coréenne confrontée à l’afflux de réfugiés yéménites
Par Harold Thibault
Une pétition exigeant l’expulsion des Yéménites de Jeju, île pour laquelle Séoul ne demande pas de visa, a été signée par plus d’un demi-million de Sud-Coréens.
Des militants sud-coréens anti-immigration, le 30 juin à Séoul. / ED JONES / AFP
Cette dernière décennie, c’était plutôt l’arrivée massive de touristes chinois qui préoccupait les habitants de Jeju, même si elle apportait à la pittoresque île une manne colossale. Désormais, ce sont des Yéménites, dont la présence inattendue agace la population locale. Fuyant la guerre, ils ont atterri sur le sol sud-coréen un peu par hasard.
Le passeport yéménite n’étant pas le plus favorable, ils sont d’abord arrivés en Malaisie, l’un des rares pays qui acceptent les ressortissants du Yémen pour trois mois sans visa. A l’approche de leur expulsion et sans réponse positive à leur demande d’asile, ils se sont repliés sur Jeju, à la faveur d’un vol ouvert récemment par la compagnie low-cost Air Asia entre Kuala Lumpur et cette île, où les ressortissants de la plupart des pays peuvent se rendre sans visa.
La population locale, peu habituée au brassage ethnique et dont la jeunesse s’inquiète des difficultés à trouver un travail, craint ces nouveaux arrivants venus d’un pays éloigné où sévissent des mouvements djihadistes. « Faux réfugiés, allez vous-en ! », lit-on sur une affiche imprimée sur l’île par un groupe d’habitants de Jeju.
Hommes fuyant l’enrôlement forcé
Certains s’étonnent notamment de voir qu’il s’agit surtout d’hommes relativement jeunes, pas de femmes portant leurs bébés apeurés, et les suspectent d’être des migrants économiques. « Mais c’est parce que les hommes entre 20 et 35 sont certains d’être faits combattants au Yémen. Ils doivent partir pour sauver leur vie », explique par téléphone Esmail Al-Qublani, journaliste qui a fui son pays à la fin 2016 et est arrivé à Jeju le 5 mai.
Plus de 552 Yéménites ont atterri comme lui sur l’île entre janvier et mai 2018, bien plus que les 430 ressortissants du Yémen qui ont demandé l’asile entre 1994 et fin 2017 à la Corée du Sud, pays qui n’a accordé le statut de réfugié qu’à 800 personnes depuis vingt-quatre ans.
Une pétition exigeant l’expulsion des Yéménites a été signée par plus d’un demi-million de Sud-Coréens en quinze jours. Des centaines de manifestants se sont retrouvés sur la place Gwanghwamun, dans le centre de Séoul, samedi 30 juin, pour exiger leur expulsion. « Notre peuple d’abord ! », « Nous voulons la sécurité », « Abolissons la politique d’exemption de visa ! », ont-ils scandé.
Esprit d’accueil
La veille, le ministère sud-coréen de la justice avait annoncé qu’il modifierait la loi sur les réfugiés pour s’assurer qu’il n’y aura pas d’abus et qu’il augmenterait le nombre d’agents chargés d’étudier les dossiers afin d’accélérer la vérification d’identité et de « passer méticuleusement en revue les problèmes potentiels, notamment le terrorisme et la criminalité ». Les Yéménites s’étaient déjà vu interdire, le 1er juin, de quitter l’île pour rejoindre la péninsule coréenne, et le Yémen a été retiré de la liste des pays dont les ressortissants sont exemptés de visa pour visiter la Corée du Sud.
Les Yéménites suivent cette évolution avec inquiétude à Jeju. « Je lis les informations, c’est leur pays et il faut respecter leurs choix. Nous ne pouvons qu’espérer une vie stable », dit Esmail Al-Qublani, qui constate toutefois la bienveillance et l’esprit d’accueil de certains habitants. Un temps, depuis Kuala Lumpur, il avait pensé rejoindre l’Equateur, un des rares pays ouvert aux Yéménites sans visa. C’est le lancement des vols à bas coût entre la Malaisie et Jeju qui lui avait fait décider autrement : la Corée du Sud, bien plus proche et prospère, devenait accessible. Il regrette. « C’est mon destin qui m’a amené ici », ajoute cet homme de 30 ans qui ne peut rien faire d’autre qu’attendre la décision de Séoul sur son sort.
Pour tuer le temps, il observe et est très impressionné par le développement de la Corée du Sud. « La modernité de ce pays, c’est un rêve pour nous », raconte-t-il.