A Nantes, colère et chagrin au lendemain d’une nuit de violences
A Nantes, colère et chagrin au lendemain d’une nuit de violences
Par Anne-Hélène Dorison (Nantes (intérim)
Les habitants du quartier du Breil pleurent la mort d’Aboubakar, tué par la police lors d’un contrôle, et décrit comme un jeune homme « respectable et respecté ».
Les images vidéo des violences à Nantes après la mort d’un jeune homme tué par un policier
Sur les murs du quartier du Breil, à Nantes (Loire-Atlantique), on peut lire la colère et le chagrin ce mercredi 4 juillet au matin. Dans la nuit, alors que des violences ont émaillé la cité après la mort d’un jeune homme, tué par la police, des inscriptions ont noirci la façade d’un immeuble : « Tu vas nous manquer, le loup », peut-on lire, entre deux cœurs. Plus loin, devant le muret défiguré de la petite maison du 68 H, rue des Plantes - où s’est déroulé le contrôle de police qui a dégénéré - quelques jeunes gens ont relevé leurs capuches pour éviter les nombreuses caméras arrivées dès l’aube, avant de sortir les bombes et de crier à la « bavure », estimant qu’ici même, la veille au soir, la police avait commis un « assassinat ».
Il était 20h30 quand la balle d’un CRS est venue toucher le cou d’un jeune homme originaire de la région parisienne, que beaucoup connaissaient ici. Le « loup » était aussi surnommé « Boubou » ou encore « Abou », par les « copains du quartier », petits et grands.
Originaire du Val d’Oise, en région parisienne, Aboubakar F., 22 ans, était venu s’installer au Breil, « chez son oncle et sa tante, depuis deux ans », selon Chris, qui se présente comme un grand frère et retient difficilement son émotion en montrant le visage du défunt sur son téléphone portable. « Il était beau gosse, non ? », dit-il avant de faire défiler des vidéos sur lesquelles on peut voir un jeune homme souriant et élancé danser en jean, T-shirt blanc et baskets rouges, près d’une tour située à deux pas.
« Ce garçon n’était pas un garçon à problème »
« C’est simple, sur toutes les vidéos que nous avons de lui, il danse », sourit Chris.
« Ce garçon n’était pas un garçon à problème. Il était respectable et respecté. Il aimait le sport, le foot, la moto. C’était quelqu’un d’intelligent, qui faisait du bien au quartier. Ici, c’est un village. On se connaît tous. Il protégeait les petits dès qu’il le pouvait. Quand il y avait des tensions, il était le premier à vouloir calmer le jeu. Abou, il suffisait de peu de temps pour apprendre à le connaître et de peu de temps pour apprendre à l’aimer. »
A cet instant, une voiture s’approche. Le conducteur au regard noir, âgé d’une quarantaine d’années, baisse la vitre et lance : « Fais gaffe avec les médias, hein. Pendant dix ans, on ne nous calcule pas et là, on nous courtise. Méfie-toi. Ils vont encore couper ce que tu dis. Tu as vu ce qu’ils racontent depuis ce matin sur les chaînes d’info ? A les entendre, il n’était qu’un délinquant. Ils ont sali notre frère. »
« Prince, tu vas nous manquer » ; dans le quartier du Breil, à Nantes, des inscriptions ont noirci les murs pendant la nuit. / SEBASTIEN SALOM GOMIS / AFP
Chris n’a pas fermé l’œil de la nuit pour parler encore et encore aux médias et brosser un portrait lumineux de la victime. Il a accouru sur les lieux du drame, que tous appellent « les lieux du crime », quelques minutes après que la Nissan d’Abubakar a percuté le petit mur, en marche arrière. « Abou est mort, Abou est mort ! », criait alors une jeune femme, au téléphone, en passant devant chez Rodolphe, un voisin. « Il y a eu deux boums et un clac, un seul », se souvient-il. Il raconte avoir vu que la voiture avait d’abord percuté une Renault en stationnement, avant de heurter violemment le muret. « Le clac, c’était sans doute le coup de feu », dit Rodolphe. « La police dit qu’il est mort après à l’hôpital, mais c’est faux », assure Chris. « Sa tête était tombée sur le volant. Il se vidait de son sang et il est mort sur place, dans les bras d’un ami. »
Tous les jeunes gens qui acceptent de parler à la presse ce matin sont tous en colère contre la « version policière ». Ils ne veulent pas entendre parler de légitime défense. « C’était un tir à bout portant », tranche Jordan, qui se présente comme un ami d’Aboubakar. « Il est mort gratuitement. Comme un chien. On en veut beaucoup à la police. Mais tout se paie. »
Quelques minutes après le drame, des insultes en série et une pluie de projectiles se sont abattues sur les CRS et les renforts policiers appelés en urgence. Depuis son balcon, avant de fermer ses volets en catastrophe, Rodolphe a vu des foyers d’incendie éclairer le ciel ici et là et senti l’odeur du gaz lacrymogène envahir le quartier, sous très haute tension. La colère a rapidement grondé au-delà des frontières du Breil et jusque tard, des feux ont été allumés dans deux autres cités nantaises, qui pansent elles aussi leurs plaies ce mercredi.
« Quelque chose brûlait en eux. Il fallait que la colère sorte », estiment certains jeunes habitants du quartier, qui préfèrent rester anonymes. « Cela fait trop longtemps que les policiers s’y prennent mal avec nous. Ces CRS-là, ils ne sont même d’ici. On ne les connaît pas. »
« Ce qui s’est passé mardi soir est inacceptable », abonde une mère de famille, en séchant ses larmes. « Ils ont pris la vie d’un jeune homme et cela, cela n’aurait pas dû arriver. Quoi qu’il se soit passé, il n’aurait pas dû mourir. On ne tue pas quelqu’un pour un contrôle. »
L’automobiliste en colère contre les médias est revenu pour dire qu’il en veut « un peu aux jeunes quand même » :
« Comme d’habitude, ce sont les gens du quartier qui vont trinquer. Nos mères et nos grands-mères n’ont plus de centre médical [incendié durant la nuit de violence]. Elles vont devoir traverser la ville pour se faire soigner. Cela ne sert à rien de casser. Il faudra dix ans pour reconstruire. Maintenant, il faut que ça s’arrête. »
Nouvelles tensions
Chris acquiesce. Lui aussi voudrait voir le quartier s’apaiser désormais. « Tout cela ne va pas nous ramener Abou », dit-il à tous ceux qui veulent bien l’écouter, ce matin. « Il faut nous montrer intelligents. Montrer à tous que nous ne sommes pas des idiots et réfléchir. Bien sûr qu’on n’oubliera pas. Oui, on ira jusqu’au bout. Mais on doit s’organiser. On a déjà commencé à réunir des éléments et à récolter le maximum de témoignages possibles. On fait du porte-à-porte. On essaie de récupérer toutes les vidéos de la scène. »
Une voiture incendiée, le 4 juillet, à Nantes. / SEBASTIEN SALOM GOMIS / AFP
L’une d’elles a rapidement tourné sur les réseaux sociaux mardi soir. C’est une mère de famille qui a sorti son téléphone et filmé la scène du contrôle depuis son appartement. « Regardez », invite cette femme, qui préfère taire son nom. « Vous voyez ? Tout se passe bien. Le contrôle dure dix minutes au moins. Et c’est calme. Le conducteur baisse sa fenêtre et tend ses papiers, vous voyez ? »
Son téléphone n’a pas filmé la scène finale, celle du coup de feu. Mais Chris et les autres croient savoir qu’un homme l’a fait, qu’il faudrait « convaincre » pour qu’il la montre. « Nous, on veut la vérité. C’est tout. »
Mercredi après-midi, certains imaginaient déjà organiser un sit-in devant la mairie. D’autres préparaient des banderoles et réfléchissaient à l’organisation d’une marche blanche jeudi, à 18 h, sur les lieux du drame. Mais à 17 h, une nouvelle voiture était incendiée et de vives tensions éclataient à nouveau. Le Breil semblait alors à nouveau à cran.