Des migrants secourus en Méditerranée par l’ONG Lifeline, à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, le 5 juin. / THOMAS SAMSON / AFP

D’ordinaire, ce sont les groupes de touristes qui se font remarquer. Avec leurs tee-shirts aux couleurs criardes, ils dénotent dans les allées de l’aéroport international de Malte. Ce jeudi 5 juillet, peu après 5 heures du matin, entre les boutiques de duty free et les comptoirs d’embarquement, ce sont des voyageurs d’un autre genre qui ont attiré les regards. Cinquante-deux migrants africains, tous vêtus du même tee-shirt orange, en shorts et en tongs, ont pris place dans la file du vol La Valette-Paris d’Air Malta. A l’issue de ce voyage commencé pour certains il y a plusieurs années, l’asile.

Depuis que l’Italie a refusé en juin l’accès à ses ports au bateau Aquarius et à ses 629 passagers, l’Europe se déchire autour de l’accueil des migrants. A Malte, 234 personnes ont été débarquées le 27 juin après que l’Italie a de nouveau refusé l’accès à ses ports. Elles avaient été secourues par le bateau Lifeline de l’ONG éponyme tandis qu’elles dérivaient dans deux embarcations de fortune, dans les eaux internationales.

La France a décidé d’offrir sa protection à 52 de ces rescapés, participant d’une forme de solidarité européenne, aux côtés de plusieurs autres Etats-membres. Alors que l’avion entamait sa descente vers l’aéroport de Roissy – Charles-de-Gaulle, jeudi, Moubarak, un Soudanais de 28 ans, confiait tout ignorer de la France. « Mais je vais beaucoup mieux depuis que je réalise que je vais retrouver un endroit où on considère l’être humain », assure-t-il.

« C’est une belle opération »

Les migrants accueillis à Paris jeudi ont déjà passé à Malte des entretiens avec des personnels de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ainsi que des « entretiens de sécurité » avec des fonctionnaires du ministère de l’intérieur. Ils devaient rejoindre des centres d’accueil à Toulouse et Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) où ils seront hébergés avant d’obtenir officiellement l’asile.

« C’est une belle opération », souligne Samia Khelifi, directrice adjointe de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui a accompagné le voyage depuis Malte avec la Direction générale des étrangers en France. Une majorité de ces migrants sont originaires du Soudan. Mais le groupe compte aussi trois Erythréens, une Somalienne, une Togolaise, trois Ivoiriens et un Tchadien. La plupart sont des hommes de moins de 30 ans, à l’exception de quatre femmes dont une mère et sa fille de 3 ans.

Pendant le vol, ils ont accepté de raconter leur histoire et leur traversée de la Méditerranée. Aïcha a laissé ses quatre enfants au Togo. Elle n’a pas eu de nouvelles d’eux depuis qu’elle a quitté son pays, il y a sept mois. Elle en pleure. Cette femme de 39 ans est passée par le Niger puis la Libye avant de tenter la traversée de la mer Méditerranée. Comme beaucoup, elle garde un souvenir très dur de son parcours migratoire, et notamment des geôles libyennes. Mohamed Idriss, un Soudanais de 24 ans, y a passé quarante-cinq jours.

« En ­Libye, je travaillais dans des champs et, un jour, on m’a attrapé et jeté en prison, sans que je sache pourquoi, dit-il. C’était horrible. J’ai été torturé. En ne nous laissait pas dormir et je n’avais presque rien à manger. »

Un jour, alors qu’il faisait des travaux forcés dans un champ de pommes de terre, il a réussi à s’échapper. Il a alors tenté la traversée. « On sait que c’est très dangereux mais, s’il y a un infime espoir d’y arriver, on prend le risque », explique-t-il. Partis de Libye en pleine nuit, Mohamed Idriss et les autres réfugiés du Lifeline ont failli ne jamais voir l’Europe.

« On a découvert deux bateaux en détresse assez tôt le matin du 21 juin, se souvient Aline Watermann, chargée de communication de Lifeline. On a essayé de venir en aide aux gens en leur envoyant des gilets de sauvetage. Et puis, assez rapidement, on les a pris à bord. »

Les garde-côtes libyens seraient arrivés après ces opérations de transbordement. « Le MRCC [Centre de coordination et de sauvetage maritime de Rome] nous a dit que les garde-côtes libyens arrivaient mais le débarquement avait déjà eu lieu, poursuit Mme Watermann. Les Libyens ont exigé de pouvoir reprendre les personnes mais notre réponse a été claire. On ne peut pas accepter ce qui est contraire au principe de non-refoulement [des demandeurs d’asile] et au droit international maritime qui veut que les personnes sauvées soient amenées vers le port sûr le plus proche. »

« Prêt à tout faire »

Après cet épisode, il aura fallu plusieurs jours pour que le Lifeline soit autorisé à accoster dans un port européen. Tous les migrants se souviennent de moments éprouvants. Aboubacar, un Ivoirien de 20 ans, évoque « une semaine de calvaire » : « L’équipage faisait des efforts mais il n’y avait pas de place sur le bateau, pas assez de nourriture et la mer était agitée. Les gens étaient tendus et il y a eu des échauffourées. » « Beaucoup étaient malades et vomissaient », ajoute Ange-Gabriel, un Camerounais de 19 ans.

Arrivée du bateau « Lifeline » après le sauvetage de 52 migrants, à La Valette, le 27 juin. / Chris Mangion / AP

Aujourd’hui, le jeune homme se dit « fier » d’être « sorti de la souffrance en Libye » où il est resté plus d’un an. Maintenant, il voudrait faire une formation en soudure et reprendre la boxe thaïe. Aïcha souhaiterait, elle, garder des enfants ou faire des ménages. Moubarak n’a pas de qualifications mais est « prêt à tout faire ». Qu’attendent-ils de la France ? « Je veux qu’on me donne la liberté de circuler et de participer à la vie de citoyen de tous les jours », espère Mohamed Idriss.

A l’atterrissage à Paris, jeudi vers 9 h 30, une véritable délégation attendait ces 52 réfugiés. Le directeur de l’Ofpra, Pascal Brice, distribuait des « salam » chaleureux à chacun d’eux, tandis que des journalistes avançaient avec micros et caméras. Sans même le savoir, les réfugiés du Lifeline participaient d’une mise en scène de l’accueil français, et écrivaient à leur tour une page de la crise européenne autour des migrants.

Pendant ce temps, le navire était toujours placé sous séquestre à Malte, empêché de repartir.