Christopher Froome au départ de la première étape du Tour de France, samedi 7 juillet à Noirmoutier. / BENOIT TESSIER / REUTERS

Alors que la France entière avait, vendredi 6 juillet à 16 heures, les yeux rivés sur le quart de finale de Coupe du monde Uruguay-France, David Lappartient, président de l’Union cycliste internationale (UCI), revenait pour Le Monde sur les conséquences du cas Christopher Froome. Le Breton, qui recevra le Tour de France mardi à Sarzeau, bourg du golfe du Morbihan dont il est maire, ne retient pas ses coups contre l’équipe Sky et l’Agence mondiale antidopage, tout en défendant la lutte antidopage menée par sa fédération.

Que pense le président de l’UCI lorsqu’il voit le quadruple vainqueur du Tour de France sifflé par la foule, alors qu’il vient d’être innocenté ?

Ce n’est pas logique, mais c’est une réaction humaine. On a tellement expliqué aux gens que Froome était coupable que le jour où il ne l’est pas, les gens laissent parler leur cœur.

Qu’est-ce que cela dit sur l’état du sport que vous dirigez ?

Il y a deux éléments. Le premier, c’est que la vox populi l’avait jugé. On expliquait à tout le monde qu’il y avait une limite à 1 000 [nanogrammes de salbutamol par millilitre d’urine] et la dose est à 2 000. Donc on dit : c’est la magouille. C’est trivial, mais c’est comme ça.

« Il paie pour une équipe qui n’est pas tellement aimée, à tort ou à raison »

Mais il y en a un deuxième, plus fort : autour de cette équipe Sky, il y a toujours eu un peu de doute. Les affaires autour de Bradley Wiggins [soupçonné d’avoir pris des corticoïdes à des fins dopantes et non médicales] et les conclusions de l’enquête parlementaire britannique [pour qui la Sky « a utilisé des médicaments pour améliorer les performances »] entretiennent une certaine suspicion et Chris Froome paie l’addition. Il paie pour une équipe qui n’est pas tellement aimée, à tort ou à raison.

Il y a aussi eu ses performances dans l’ascension de La Pierre Saint-Martin (en 2015), le Ventoux (en 2013), où chacun y allait de son commentaire [l’écart entre Christopher Froome et ses rivaux et sa cadence de pédalage avaient fait naître des soupçons d’utilisation d’un moteur caché dans le vélo, suggérée à mots couverts par les consultants de France Télévisions]. Pour certains, l’étape du Tour d’Italie dans laquelle il part à 80 kilomètres de l’arrivée, pour remporter le classement général, ce n’est pas possible. Moi, ça me paraît tout à fait plausible, mais on ne l’imagine plus aujourd’hui.

La crédibilité se perd en cinq minutes et se regagne en vingt ans. Il y a eu de la défiance vis-à-vis de l’UCI et c’est long à s’estomper, même si aucune fédération ne fait autant que nous contre le dopage. L’UCI fait un tiers des contrôles des passeports biologiques dans le monde. On décide d’interdire le tramadol [un antalgique] et les corticoïdes [à partir de 2019], on est à l’avant-garde partout et, du coup, on en prend plein la figure. Ce n’est pas logique. Près de 25 % du budget de l’UCI va dans l’antidopage.

Le niveau de dopage a baissé depuis dix ans, pourtant la défiance à l’égard du plus grand coureur du moment est la même qu’à l’époque de Lance Armstrong. Qu’est-ce que le cyclisme a raté, depuis ?

La défiance vis-à-vis de ceux qui gagnent est parfois liée à la manière dont ils courent. Si Froome attaquait tous les jours, allait à la castagne, il en deviendrait plus populaire. Si Peter Sagan est immensément apprécié, c’est parce que le sport reste un jeu pour lui. Il accepte de tout perdre pour gagner.

C’est aussi lié au niveau de l’équipe Sky. On voit des Tours de France où l’on s’ennuie, comme les années [Miguel] Indurain [cinq Tours remportés entre 1991 et 1995].

Sur le Giro, que j’ai toutefois trouvé trop dur, on a du vélo comme on l’aime car les meilleurs coéquipiers ne sont pas là et sont préservés pour le Tour. Les leaders sont rapidement seul à seul.

La décision de l’UCI et de l’AMA sur le cas Froome est mal comprise par le grand public. L’AMA dit que la décision de publier les raisons de la décision vous appartient. Le ferez-vous ?

« Seul le coureur peut décider de publier la décision qui le concerne »

Non. Légalement, on ne peut pas aller au-delà de ce qu’on a fait [vendredi matin, l’UCI a publié une longue explication de la résolution du cas sur son site Internet]. Seul le coureur peut décider de publier la décision qui le concerne.

Par ailleurs, la publication du jugement pourrait contenir des éléments qui pourraient être utiles à ceux qui veulent contourner les règles.

Quelles conséquences doit tirer la lutte antidopage de cet épisode ?

Sur le sujet du salbutamol, il y a de vraies questions à se poser sur la manière dont le sujet est traité par l’AMA. Ils n’y échapperont pas.

Ce dont on a besoin, c’est de règles, d’éléments clairs. On est le gendarme mais ce n’est pas nous qui fabriquons le radar ni qui décidons de la limite à 80 km/h. Il faut qu’on ait les bons outils. Il faut que les études scientifiques soient plus poussées.

Le président de l’UCI David Lappartient, en novembre 2017. / FRANCK FIFE / AFP

Dès lors qu’il a été blanchi, êtes-vous toujours de l’avis que Christopher Froome aurait dû être arrêté provisoirement dès septembre 2017, en attendant la résolution de l’affaire ?

Oui, car ça a bien tourné pour lui, mais on aurait aussi pu se retrouver dans la situation dans laquelle il aurait été sanctionné. Et qu’aurait-on fait de sa victoire sur le Giro ? Ç’aurait aussi permis à tout le monde d’aller plus vite. Une partie de l’animosité est liée à ça aussi. Je ne suis pas sûr qu’on aurait eu la même réaction.

La défense de Christopher Froome a coûté plus de 1 million d’euros. De nombreux coureurs avant lui ont été suspendus pour un contrôle positif au salbutamol, sans les mêmes capacités financières de se défendre. Les coureurs sont-ils égaux devant les règlements ?

Devant les règlements, oui, devant les moyens, non. C’est comme les hommes politiques, les industriels, qui peuvent avoir plus de moyens de se défendre devant la justice. C’est la même chose partout dans le monde entier. Et encore, nos procédures sont gratuites, nous essayons de faire en sorte que chacun ait les mêmes possibilités de se défendre. Du côté de l’UCI, la procédure a coûté 250 800 euros.

A partir du 1er janvier 2019, le tramadol et les corticoïdes seront interdits. Que sait-on de leur utilisation dans le peloton ?

Les deux tiers de l’utilisation du tramadol dans le monde du sport sont dans le vélo. Il y a 4,5 % de nos échantillons qui contiennent du tramadol. C’est un produit dopant, puisque cela repousse la limite de la douleur. Et la douleur est l’un des premiers facteurs limitants de la performance.

Les corticoïdes, maintenant : on me dit qu’ils ne sont pas dopants. C’est cela, c’est bien pour ça que les coureurs en prennent ! Oui, ça améliore la performance. Plusieurs études scientifiques le montrent.

L’an dernier encore, l’AMA a écrit au Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) que « les effets sur la performance des corticoïdes sont plutôt limités, et que, dans la plupart des cas, l’utilisation de corticoïdes dans le sport est nocive pour les performances »…

Ce n’est pas la meilleure lettre que l’AMA ait écrite. Elle part du principe qu’on doit faire confiance aux médecins prescripteurs. C’est déjà là que l’on commence à diverger.

Comment jugez-vous l’état du cyclisme aujourd’hui, vingt ans après Festina ?

L’état sanitaire du vélo est nettement meilleur qu’il y a vingt ans. On revoit du vrai vélo. Des visages qui souffrent, des coureurs qui s’effondrent. Mais ce n’est pas ce que le grand public retient. Le cyclisme avait un problème et va aujourd’hui beaucoup mieux. Comme la triche est dans la nature humaine, il ne faut jamais relâcher la pression. Sinon, ça reviendra.

De nombreux contrôles positifs ont eu lieu en Amérique du Sud ces derniers mois, et plusieurs sources font état de la libre circulation de produits interdits en Colombie notamment. Quelles mesures comptez vous prendre contre cela ?

« Sur le dopage, la Colombie est un sujet de vigilance »

C’est absolument vrai. Depuis le 21 septembre 2017, 76 % des cas positifs dans le cyclisme concernent quatre pays d’Amérique du Sud. J’ai secoué ces fédérations au mois de mai, lors du congrès de la confédération panaméricaine. Ce qui s’est passé n’est pas acceptable et il fait que les fédérations s’impliquent. Elles se heurtent à l’absence d’une agence antidopage efficace et au fait que des produits comme l’EPO s’achètent librement en pharmacie. Ce n’est même pas un trafic ! C’est plus compliqué d’avoir de l’aspirine que de l’EPO.

La Colombie est la nouvelle puissance du cyclisme, sixième au classement mondial, deux prétendants à la victoire dans le Tour 2018 avec Rigoberto Uran et Nairo Quintana. Quelle crédibilité accorder aux coureurs qui s’isolent de longues semaines en Colombie, pendant la saison ?

C’est un sujet de vigilance pour l’UCI. La CADF [Fondation antidopage pour le cyclisme] fait son travail. C’est pour cela qu’on a fait tous ces contrôles là-bas. Il faut faire des contrôles tous les jours quand on est là-bas et pour cela, mieux vaut compter sur nous-mêmes.