Au Costa Rica, le vélo comme outil d’émancipation des femmes en ville
Au Costa Rica, le vélo comme outil d’émancipation des femmes en ville
Par Jessica Gourdon
Le projet Santa Ana en cleta a obtenu, ex aequo, le prix international Mobilité « Le Monde »-Smart Cities.
Le programme Santa Ana en cleta consiste à proposer à des femmes un cycle de trois séances pour apprendre à maîtriser le vélo. Ce afin de favoriser leur émancipation en ville. / Gabi Cob
Cira Guttierez, 59 ans, travaille comme femme de ménage à Santa Ana, une petite ville située en périphérie de San José, la capitale du Costa Rica. Jamais elle n’avait pensé à utiliser un vélo pour se rendre à son travail. En réalité, elle n’en avait jamais fait. En ce printemps, elle a suivi un cycle de cours pour apprendre à s’en servir. Ce fut une libération.
Un nouveau monde s’est ouvert à Cira Guttierez, dans lequel elle se sent beaucoup plus autonome, aux commandes de sa vie, libre de se rendre facilement où elle veut, sans dépendre des services de bus très erratiques. « Je pense continuer à pédaler pour me déplacer jusqu’à la fin de mes jours. Le vélo m’a donné un sentiment de puissance, m’a redonné confiance en moi, a amélioré ma santé. Je me sens mieux avec moi-même. Changer sa vie à mon âge, ce n’était pas facile. Je suis bouleversée par tout ce que cela m’a apporté. »
Apprendre aux femmes à enfourcher une bicyclette et à l’utiliser au quotidien : le projet est simple, et pourtant il répond à un vrai besoin. Beaucoup de femmes n’utilisent pas de vélo en ville, car « elles en ont peur, parce qu’elles n’ont pas été assez encouragées pendant leur enfance et leur adolescence à en faire », observe Gabi Cob, l’une des initiatrices du projet Santa Ana en cleta (Santa Ana à vélo).
Une réalité qui dépasse largement les frontières du Costa Rica. Mais qui, à Santa Ana, s’additionne à des difficultés locales. « Ici, les transports publics sont insuffisants et de mauvaise qualité. Les femmes sans voiture se retrouvent dépendantes de bus peu nombreux, aux horaires aléatoires et non annoncés à l’avance. Tout cela a un impact très négatif sur leur qualité de vie », explique Gabi Cob.
Surmonter les craintes
Le programme Santa Ana en cleta, financé par la mairie, consiste à proposer à des femmes un cycle de trois séances pour apprendre à maîtriser le vélo en ville, et les règles qui y sont associées. Pour cela, la mairie a acheté 25 vélos, dont certains dotés d’un sièges enfant. L’enjeu : valoriser cette pratique, donner aux femmes les moyens de s’émanciper des transports publics en se déplaçant seule sur des routes rarement dotées de pistes cyclables. Et les sensibiliser aux bénéfices en termes de santé et de respect de l’environnement.
De nombreuses participantes n’avaient jamais fait de vélo, ou n’avaient même pas touché à une bicyclette. Pour surmonter les craintes, le programme utilise une méthode développée par l’association américaine Bike New York, qui permet d’apprendre l’équilibre en douceur. « En une heure trente de cours, une personne qui n’a jamais fait de vélo peut pédaler seule », assure Gabi Cob.
Depuis le lancement du programme au printemps 2018, 90 femmes ont déjà participé à ce cycle de formation. La prochaine étape vise à mettre des vélos en libre-service à destination des femmes ayant suivi le programme, « car beaucoup n’ont pas les moyens d’acheter un vélo neuf », souligne Gabi Cob.
D’autres villes du Costa Rica réfléchissent à lancer un tel programme, dont l’impact dépasse les participantes. « Quand on pratique le vélo, on est ensuite beaucoup plus conscient, en tant que conducteur de véhicule, de la vulnérabilité des cyclistes sur la route, relève Gabi Cob. Donc, cela a un impact sur les comportements. Et puis les femmes, ce sont elles les vecteurs du changement dans les communautés, ce sont elles qui pourront convertir leur famille, leurs amis à l’utilisation du vélo. »
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