Coupe du monde 2018 : à Trappes, le Mondial ne fait pas chanter les squares
Coupe du monde 2018 : à Trappes, le Mondial ne fait pas chanter les squares
Par Ariane Chemin
La ville des Yvelines, connue pour avoir vu grandir Omar Sy, Djamel Debbouze et Nicolas Anelka ne vibre pas comme en 1998.
L’habitude, à Trappes, lors des Coupes du monde de football, c’est de « mettre le match dehors ». On installe la télé et des fauteuils au pied des squares, ces carrés d’immeubles imaginés de toutes pièces par la mairie communiste de cette ville des Yvelines grandie dans les années 1960, à trente kilomètres de Paris. En général, on improvise le barbecue et les grillades qui vont avec. « Trappes est une grosse ville de foot », assure Arnaud MBizi, « manageur général » de l’Etoile sportive, le premier club du département en termes d’effectifs (1 126 licenciés).
Rien de tout cela mardi, pour la demi-finale contre la Belgique. Ni le club ni la mairie n’avaient prévu de retransmission publique. « Nous n’avons pas eu de demandes », répond-on à l’hôtel de ville. Seules quelques rares fenêtres s’étaient pavoisées de tricolore, malgré l’atelier « confection d’un drapeau » proposé aux enfants par l’équipe municipale. Très vite, les comparaisons avec l’euphorie de 1998 sont devenues inévitables. « A l’époque, le drapeau bleu, blanc, rouge, ça avait moins de connotation politique, analyse Kamel Zerhdy, animateur au club de foot et agent à la SNCF. L’autre jour, j’ai décoré de drapeaux le stand commercial de la SNCF des Yvelines, à la gare de Plaisir. J’ai rajouté des ballons pour qu’on ne croie pas à un stand Front national. A force, ils nous font culpabiliser. »
Quand, à vingt heures, le match a commencé, les allées des squares étaient désertes. C’est à peine si quelques gamins avaient sorti une télé à « Stendhal ». Le grand café des Merisiers, sur la place du marché, avait tiré son rideau de fer. Seule l’Equipe de choc, le café portugais de la vieille ville, avait prévu un deuxième écran, à l’extérieur. Une trentaine d’habitués y ont suivi la rencontre devant leur verre, comme on regarderait un feuilleton ou les infos. Ailleurs, quelques bars à chichas et des « grecs » avaient allumé la télé, comme à l’Interfood, le kebab installé entre la mosquée et le lycée, mais sans grand succès.
Une bonne partie des utopies de 1998 se sont envolées
D’ordinaire, « pendant les coupes du monde, la vitesse du son est plus grande que la vitesse de la lumière », note aussi Mustapha Larbaoui, pharmacien et président d’honneur de l’Etoile sportive. En 1998, les squares hurlaient à l’unisson du pays. L’un raconte la Safrane bordeaux qui avait fait le tour de la ville avec un fumigène volé au dépôt ferroviaire, un autre ce « gamin parti en moto sur les Champs ». « Au square de la Commune, on avait traîné la télé très loin, jusqu’au bord de l’hôpital », se souvient Farid Laoudi, responsable de la buvette du club.
En ce tournant des années 2000, Trappes était dingue de Nicolas Anelka – néanmoins pas sélectionné par Aimé Jacquet en 1998 –, une graine de champion formée à l’Etoile sportive et élevée à deux pâtés d’immeubles de celui du futur acteur Omar Sy – une autre gloire internationale, présent au match contre la Belgique aux côtés d’Emmanuel Macron. Les années ont passé, et avec elles une bonne partie des utopies de l’époque. « Je le disais déjà en 1998 : on a fabriqué le concept de la mixité sociale, culturelle, on a plaqué les trois B, black, blanc, beur, sur nos désirs, soupire Mustapha Larbaoui, le très populaire pharmacien. Moi, je disais que les valeurs du ballon n’ont pas besoin d’être transcendées par des formules marketing. D’ailleurs, après, ça a fait pschitt. Aujourd’hui, le foot, c’est encore les trois B, mais c’est business, business, business. »
L’autre soir, quand le coup de sifflet final a retenti, seul Marwin, au kebab, a sauté de joie. « France-Belgique, je suis pour personne, je regarde, a soupiré Hakim, un autre client, devant ses frites. Moi, je dors dans ma voiture, eux, ils gagnent des millions par mois. » Des petits groupes sont tout de même descendus des immeubles pour converger vers le centre de la ville ou foncer vers les Champs-Elysées. Parmi eux, quelques personnes aux maquillages timides, mais rien à voir avec la forêt de drapeaux d’Elancourt, la riche ville mitoyenne, où la mairie avait réuni 1 300 spectateurs dans un gymnase, autour d’un écran.