Dans les gradins du stade Krestovski de Saint-Pétersbourg, mardi 10 juillet, les supporteurs français n’étaient que 2 000 à assister à la victoire des Bleus contre la Belgique. Autant dire qu’ils ont eu bien du mal à se faire entendre dans cette enceinte de 64 000 places. A Kazan, une dizaine de jours plus tôt, ils étaient à peine plus nombreux (2 500) pour France-Argentine, soit dix fois moins que leurs homologues sud-américains. Les comptes, côté tribunes, sont vite faits : au total, pour ce mondial, seuls 17 000 billets ont été vendus aux Français contre près de 80 000 aux Brésiliens ou encore 67 000 aux Colombiens. Une marée latino-américaine en provenance d’un continent où le football imprègne la société. Et où les populations éprouvent pour leur sélection un attachement viscéral.

En matière de ferveur, l’écart avec ces pays semble difficile à combler. Selon le sociologue Nicolas Hourcade, spécialiste des mouvements de supporteurs, la situation n’a pourtant rien d’irréversible. « Les cultures ne sont pas quelque chose de figé, assure-t-il. Elles évoluent et nous partons de très loin. En 1996, lors de l’Euro en Angleterre, il n’y avait quasiment personne pour encourager les Bleus ! En ce qui concerne la sélection nationale, on est sur un supporteurisme en plein développement. » Présent en Russie depuis le début de la compétition, Hervé Mougin, président des Irrésistibles Français, la principale association de fans des Bleus, note même une amélioration ces dernières années, grâce au dialogue enfin ouvert avec la Fédération française de football (FFF) : « Pendant longtemps, avec la FFF, nous avons été confrontés à un mur, à une fin de non-recevoir sur la question des supporteurs. L’arrivée de Noël Le Graët à la présidence en 2011 a tout changé. »

Image d’opportunistes, incarnée par le « Footix »

Depuis 2012, cette reconnaissance a permis aux fans les plus actifs de se rassembler, lors des matchs disputés à domicile, dans la tribune Nord du Stade de France et d’encourager debout leur équipe, ce qui n’était pas officiellement autorisé jusqu’alors. Autre nouveauté, la FFF facilite désormais l’entrée de leur matériel (drapeaux, tambours…) ou encore l’organisation de tifos (spectacles) à l’entrée des joueurs sur le terrain, comme lors du France-Pays-Bas du 31 août 2017. Ce soir-là, près de 60 000 feuilles de papier avaient été réparties sur trois des quatre tribunes pour composer le mot « France » en lettres noires sur un fond tricolore.

« Aujourd’hui, notre objectif, c’est déjà de continuer de faire du Stade de France un stade vivant, espère Fabien Bonnel, 34 ans, l’un des cadres des Irrésistibles Français, celui qui lance les chants. Il faut que les gens qui nous rejoignent soient, le plus possible, acteurs du match, supporteurs plus que spectateurs. Tout part de là. » Ainsi se félicite-t-il qu’au très simpliste « Allez, les Bleus ! » viennent aujourd’hui s’ajouter d’autres refrains fédérateurs, plus riches en paroles, qui se diffusent dans et en dehors des stades, à l’image de ce qui se fait ailleurs en Angleterre ou en Allemagne. « Tout cela prend du temps, poursuit-il. C’est très compliqué de casser l’image qu’avait le public de l’équipe de France. » Une image d’opportunistes, incarnée par le « Footix ». Emprunté à la mascotte de la Coupe du monde 1998, ce surnom désigne, aujourd’hui encore, ceux dont la passion pour le football et les Bleus ne s’éveille qu’épisodiquement, avec les succès.

« Il faut bien comprendre que cette équipe ne mobilise pas que des amateurs de foot, analyse Nicolas Hourcade. Il y a aussi plein de gens qui s’agrègent parce que c’est la sélection nationale et qu’elle est un symbole. Du coup, les célébrations se font davantage lors des grandes victoires. » Il n’y a qu’à voir comment les Champs-Elysées se sont remplis après le succès contre la Belgique, alors que les matchs précédents n’avaient pas suscité le même engouement.

Versatilité

« Ce qui m’agace, c’est de recevoir d’un coup des centaines de messages de personnes qui souhaiteraient avoir une place pour la finale, constate Hervé Mougin. Les mêmes qui crachaient sur l’équipe de France ou sur Didier Deschamps il y a quelques semaines. Je préfère que l’on soit 2000, entre fidèles, plutôt que de voir débarquer une flopée d’opportunistes. » La versatilité du soutien aux Bleus est d’ailleurs souvent raillée par les supporteurs les plus engagés des différents clubs de l’Hexagone – en particulier les groupes ultras – qui, pour la plupart, ne se retrouvent pas dans cette mentalité. Et participent ainsi moins activement à la fête lors des succès de l’équipe nationale.

De son côté, la FFF se dit « plutôt satisfaite » de la mobilisation populaire pour ce Mondial, même si, selon Florent Soulez, responsable marketing également chargé des relations avec les fans, « le bilan dans les tribunes n’est peut-être pas à la hauteur de l’énorme travail fait à ce niveau par la fédération depuis quelques années. Malheureusement, on a joué contre des nations latino-américaines surreprésentées, avec une culture très forte du chant et du supporteurisme ». Et puis, il y a aussi eu quelques couacs… Lors des matchs de la phase de poules, les spectateurs français ont été disséminés, à la différence de la majorité des délégations, dans diverses tribunes, au lieu d’être regroupés. Autre problème : les fiches récapitulant les drapeaux et tambours dont les Irrésistibles Français souhaitaient disposer n’ont pas toujours été envoyées dans les délais à la FIFA, empêchant, de fait, l’entrée de ce matériel dans les tribunes. Autant d’accrocs qui ont pénalisé le soutien visuel et vocal aux Bleus.

Si, à la FFF, on semble rejeter la faute sur la FIFA, pour Ronan Evain, directeur général du réseau Football supporters Europe, c’est plutôt l’instance nationale qui a manqué de sérieux : « La FFF n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour mettre ses supporteurs dans les meilleures conditions pour soutenir l’équipe. Ces petites erreurs indiquent qu’elle ne fait pas toujours de ses supporteurs une priorité. » A titre de comparaison, en Allemagne, la fédération de football emploie quatre personnes pour s’occuper des fans et de leurs déplacements, tout comme la fédération anglaise, contre deux salariés pour la FFF, dont un seul se consacre à temps plein aux supporteurs.