Tour de France 2018 : la patience paye pour Alaphilippe et s’impose pour les favoris
Tour de France 2018 : la patience paye pour Alaphilippe et s’impose pour les favoris
Par Clément Guillou, Henri Seckel (envoyés spéciaux au Grand-Bornand, Haute-Savoie)
Le début de la bagarre dans les Alpes est repoussé de vingt-quatre heures (au moins). Alaphilippe profite de ce report pour s’imposer dans l’étape du Grand-Bornand et revêtir le maillot à pois. Nos trois leçons du jour.
Décidément, le sport français vit un été de rêve : après la victoire en Coupe du monde des Bleus dimanche, Julian Alaphilippe a remporté en solitaire la 10e étape, mardi au Grand-Bornand, premier succès tricolore du Tour 2018 ! Attaquant précoce, Greg Van Avermaet s’offre avec panache vingt-quatre heures de plus en jaune. Sur les premières pentes sérieuses du parcours, l’équipe Sky a imposé un tempo tel que personne n’est parvenu à attaquer. Warren Barguil, en revanche, est très bien parvenu à perdre du temps, et va donc désormais pouvoir songer à gagner.
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Plisse donc pas les yeux, mets-y tes lunettes de soleil, gamin ! / MARCO BERTORELLO / AFP
Alaphilippe évacue sa frustration
« Une de plus ! » Un jour comme un autre pour Wilfried Peeters, directeur sportif de la Quick-Step : l’un de ses coureurs vient de gagner, pour la cinquantième fois cette année, pour la troisième fois sur ce Tour de France. Cette fois, c’est Julian Alaphilippe, le plus incontrôlable de la troupe qui s’est rebaptisée « The Wolfpack » (« la meute de loups ») cet hiver et qui chasse de préférence les gros bouquets : le Tour des Flandres, la Flèche wallonne, Liège-Bastogne-Liège, cinq étapes sur le Tour d’Italie, trois titres de champion… Une domination totale, de celles qui inquiètent autant qu’elles impressionnent.
Alaphilippe, donc, s’inscrit comme premier vainqueur d’étape français sur ce Tour, après une première semaine décevante pour les Tricolores. Il était attendu en Bretagne (Quimper et Mûr-de-Bretagne), le zébulon surgit à 1 000 kilomètres de là, au Grand-Bornand. Une démonstration de force, pour dominer les purs grimpeurs présents dans l’échappée du jour, et de maturité, aussi. Celle qui lui a beaucoup manqué depuis que la météorite est tombée sur le cyclisme mondial, en avril 2015. Son patron, Patrick Lefévère, bouillait de voir Alaphilippe échouer à gagner sur le Tour ou dans les classiques par manque, souvent, de sens tactique. Le verrou s’est débloqué le 18 avril en Belgique, sur la Flèche wallonne.
« Il est plus mature, il a plus d’expérience, tout le monde l’a vu aujourd’hui, souligne le directeur sportif italien Davide Bramati, dont l’enthousiasme latin doit faire du bien à l’expansif Alaphilippe, dans cette équipe de culture protestante. Il a couru avec calme et intelligence, et bien évidemment de grandes jambes. »
Il fut, pour le public du Tour, d’abord connu comme farceur, voire comme acteur — il aime jouer avec les caméras —, plutôt que comme gagneur. Cela devait changer cet été.
« J’ai du caractère, du tempérament, mais je pense que c’est plutôt une bonne chose avec le métier que je fais », commence Alaphilippe. Qui en convient : « Je me trouve plus calme qu’avant, j’arrive à gérer un peu mieux mes efforts par rapport à mes saisons précédentes. C’est ce qui m’a aidé à passer un cap. »
« Des frustrations, j’en ai à la pelle, ajoute le natif du Bourbonnais, en référence à ses occasions ratées : Jeux olympiques 2016, Mondiaux 2017, étapes du Tour et grandes classiques. Ce sont des choses qui font grandir, rendent plus fort dans la tête. » A l’évidence : depuis une semaine, il était renfrogné, furieux d’avoir raté la gloire dans des étapes bretonnes taillées pour son corps de puncheur, d’être passé à côté d’un possible maillot jaune. Dans la tête, Alaphilippe n’a pas faibli. Dans les jambes, il s’est visiblement renforcé.
Le Tour est une école de la patience
Préparez-vous à voir cette image pendant deux semaines. / PHILIPPE LOPEZ / AFP
On ne pourra pas reprocher à quiconque de nous avoir mis l’eau à la bouche. Hormis aux organisateurs, mais c’est leur boulot. La première étape de montagne du Tour, entre Annecy et Le Grand-Bornand, n’a rien changé au classement général, sauf pour Rigoberto Uran, arrivé 2 min 30 s après les cadors et qui dit déjà adieu à un nouveau podium. Pour le reste, statu quo completo.
Romain Bardet l’avait annoncé avant l’étape : « La course va être un peu fermée les prochains jours, il faudra être patient et attendre l’ouverture. Je ne pense pas qu’on ait de grandes manœuvres avant les Pyrénées. C’est souvent en troisième semaine que les grandes différences se font. » Il a pu répéter ses pensées à l’arrivée : « Il faut savoir être patient, ça se joue sur trois semaines, il y aura des ouvertures un peu plus loin. Il faudra attaquer, mais vous savez, c’est la plus grande course du monde, avec les meilleurs cyclistes du monde, donc il faut aussi pas mal d’humilité, et attendre le bon moment. »
Pourquoi n’était-ce pas aujourd’hui ? « Tout le monde avait peur après la journée de repos, répond Mikel Landa (Movistar), classé dans le même temps que son ancien coéquipier Chris Froome au général. On a laissé les Sky travailler. Ils ont imprimé un gros rythme dans le dernier col, donc personne n’a pu essayer d’attaquer. » « Le vent de face dans le final a un peu calmé l’audace de tout le monde », ajoute Romain Bardet.
Demain, entre Albertville et La Rosière, y aura-t-il moins de vent ? Moins de coureurs Sky qui verrouillent ? Moins de craintes post-journée de repos ? « Ce sera différent, promet Landa, qui imagine une journée plus mouvementée. Le premier col est difficile, les équipes vont perdre beaucoup de coureurs, donc la course sera plus offensive. » « L’étape en elle-même est dure, mais la montée vers La Rosière n’est pas propice à de grandes chevauchées », tempère Bardet. Alors patience. Au pire, jusqu’à jeudi et l’Alpe d’Huez qui, elle, déçoit rarement.
Warren Barguil est content : il a perdu du temps
Warren Barguil a tout donné pour perdre du temps mardi, comme l’exprime son visage déformé par l’effort. / MARCO BERTORELLO / AFP
Si Warren Barguil peut avoir un regret aujourd’hui, ce n’est pas d’avoir perdu 8 min 30 s sur Froome, Bardet et le peloton des favoris, c’est de ne pas en avoir perdu plus. Le Breton de 26 ans pourrait peut-être se battre pour remporter le Tour de France s’il en avait envie. Mais il n’en a pas envie. « Je ne suis pas venu pour le classement général, expliquait-il hier, sans que l’on sache si c’était du bluff. Donc à partir de demain [aujourd’hui], je peux perdre du temps (…). Si je veux aller dans une échappée qui va au bout, oui, je dois perdre du temps. Autrement, on ne me laissera pas partir. »
Le meilleur grimpeur du Tour 2017 vise des victoires d’étape plutôt que le maillot jaune, qui n’était pourtant pas inaccessible aujourd’hui, puisque Barguil comptait ce matin 2 min 37 s de retard. Est-ce pour cela qu’il a tenté de s’en aller dans l’avant-dernière ascension ? Mystère. Tentative fugace en tout cas. Barguil, faute de creuser l’écart sur le peloton Sky, s’est vite relevé et a finalement pu mettre son plan de perdant à exécution.
On peut tout de même s’interroger sur la pertinence de sacrifier une étape comme celle d’aujourd’hui, qui lui convenait bien, plutôt qu’une des neuf premières, toutes plates et sans intérêt pour lui. « J’essayais de trouver une étape en première semaine où je pouvais perdre du temps. En Bretagne, je ne pouvais pas, explique le Morbihannais. Et sur les pavés, si tu perds un peu de temps, tu te fais un peu taper dessus. » Mouais. Les deux premières étapes en Vendée, puis les deux étapes pour sprinteurs de Chartres et d’Amiens auraient pu faire l’affaire. Mystère.
Les projets de Barguil prennent donc forme. Problème : huit minutes de retard sur les favoris, est-ce suffisant pour être libre en montagne ? Pas sûr. Allez, au pire, l’étape de Valence vendredi, au lendemain du triptyque alpestre, lui offrira une occasion en or de perdre un bon quart d’heure supplémentaire en admirant les paysages somptueux de la Drôme. Allez Wawa, freine !