Le nouveau sélectionneur de l’équipe de France Espoirs, Sylvain Ripoll. / GENT SHKULLAKU / AFP

Sylvain Ripoll ne transige pas avec la discipline. Nommé en mai, le nouveau sélectionneur de l’équipe de France Espoirs a d’emblée marqué son territoire en expulsant du groupe son attaquant Jean-Kevin Augustin, coupable d’avoir mal réagi lors de son remplacement, vendredi 1er septembre, lors du match amical (1-1) contre le Chili. « Nous avons fixé un cadre, avec des règles à respecter, que nous avons présenté aux joueurs et auquel ils ont adhéré. Jean-Kévin, par son comportement, est sorti de ce cadre. J’ai décidé, en concertation avec mon staff, de le renvoyer (...) Nous n’avons pas de temps à perdre», a expliqué Sylvain Ripoll.

Le mouvement d’humeur de Jean-Kevin Augustin est une péripétie à l’aune de la rentrée capitale qui attend les Espoirs. Mardi 5 septembre, les Bleuets affrontent le Kazakhstan (à 18 h 30 au Mans) en ouverture de la phase qualificative pour l’Euro 2019, organisé en Italie. Une échéance d’autant plus cruciale que l’équipe de France Espoirs ne s’est pas qualifiée pour la phase finale d’un Euro depuis... 2006, sous l’ère du sélectionneur René Girard (2004-2008).

Avant sa réélection, en mars, pour un troisième mandat à la présidence de la Fédération française de football (FFF), Noël Le Graët considérait les Bleuets comme l’un de ses dossiers prioritaires. Le patron de l’instance souhaitait ainsi mettre un terme à ces onze années de disette, insupportables aux yeux des dirigeants du football hexagonal. Le dernier fiasco en date remonte à octobre 2016 et à une victoire (3-0) face à l’Irlande du Nord, insuffisante pour les Espoirs, éliminés avant même les barrages qualificatifs à l’Euro 2017.

« C’est l’antichambre des A et un formidable réservoir de talents »

Sitôt reconduit pour quatre ans à la tête de la FFF, Noël Le Graët confiait à Marc Keller le dossier des sélections de jeunes au sein du comité exécutif. « L’Equipe de France Espoirs n’est pas parvenue à se qualifier pour la phase finale de sa catégorie depuis 2006, ce qui constitue une anomalie, confie au Monde M. Keller, qui préside le Racing Club de Strasbourg, promu en Ligue 1 cette saison. C’est une sélection très importante. C’est l’antichambre des A et un formidable réservoir de talents. Il y a parfois eu un manque de réussite, mais aussi parfois un défaut de comportement, d’investissement (comme lors de l’affaire de la virée nocturne des Espoirs, en octobre 2012, lors des barrages perdus à l’Euro 2013). L’objectif fixé par le président avec le comité exécutif est donc de se qualifier pour l’Euro 2019, mais également de permettre à tous ces talents d’exploiter pleinement leur potentiel, à travers une identité de jeu autour d’un projet commun. »

La première mission de Marc Keller fut de participer au choix du remplaçant de Pierre Mankowski, sélectionneur des Bleuets depuis 2014. Les dirigeants de la FFF ont finalement jeté leur dévolu sur l’ex-joueur et ancien entraîneur lorientais Sylvain Ripoll, démis de ses fonctions avec les Merlus en octobre 2016. « Sylvain est un jeune entraîneur avec une expérience du haut niveau professionnel en club, avec des qualités techniques et humaines indéniables. Il a des valeurs, et c’est un aspect important pour la Fédération », explique Marc Keller.

La situation des Espoirs est d’autant plus singulière que les autres catégories de jeunes, notamment les U19 et U20, collectionnent les titres. « Pour avoir un bon diagnostic, il faut faire un constat objectif, précis, qui laisse le moins de place possible à l’interprétation. Je me suis arrêté aux trois dernières générations, développe au Monde Sylvain Ripoll, qui s’est entretenu avec la plupart de ses prédécesseurs au moment de sa prise de fonction. Quand on regarde les noms, les potentiels individuels qui composent toutes ces sélections, il n’y a même pas photo. Ces équipes-là auraient dû se qualifier pour l’Euro et même beaucoup plus. Il y a quelque chose qui cloche. »

« Replacer le collectif au-dessus de tout »

«  A mon sens, on doit replacer le collectif au-dessus de tout. Les joueurs, on doit leur faire comprendre ça, poursuit le technicien. Les joueurs doivent vraiment prendre conscience, aujourd’hui, de ce que sont les Espoirs, de ce qu’ils représentent pour le pays, pour eux, ceux qui aiment le foot. Il faut retravailler là-dessus. Inconsciemment, l’équipe de France Espoirs n’occupe pas la place qu’elle doit occuper dans l’esprit des gens. »

Pour expliquer ces « non-qualifications, qui se sont toujours jouées à peu de chose », le nouveau patron des Espoirs fait remarquer l’arrivée précoce des joueurs dans le grand bain du football professionnel. « Il y a quinze-vingt ans, les joueurs avaient peut-être des statuts moins clairs, moins installés dans leurs clubs, dit M. Ripoll. Il y avait un grand besoin des Espoirs pour participer au développement des carrières et se lancer. Aujourd’hui, les jeunes démarrent tôt au sein des effectifs des clubs pros. Il faut leur faire comprendre que l’aventure avec les Espoirs est hypercompatible avec leur quotidien en club. Ce n’est pas l’un au détriment de l’autre. C’est une bouffée d’oxygène dans leur quotidien. »

Les choix du sélectionneur de l’équipe de France A, Didier Deschamps, n’ont guère profité aux Bleuets. Depuis son intronisation, en 2012, le Bayonnais s’est ingénié à lancer de nombreux jeunes, qui ne sont même pas passés par la case Espoirs. En mars 2013, il offre sa première sélection à Paul Pogba, 20 ans. Quelques mois plus tard, ce dernier remporte le Mondial avec... l’équipe de France des moins de 20 ans. En mars, le technicien a lancé le prodige Kylian Mbappé, 18 ans, titré auparavant avec les U19 lors de l’Euro 2016.

« Les Espoirs sont en dessous des A, et l’équipe de France Espoirs me paraît être un vivier en devenir exceptionnel, considère M. Ripoll, dont l’effectif est majoritairement composé de joueurs nés en 1996 et 1997. L’équipe des A est forcément au-dessus de tout. Et si Didier décide que c’est bon pour l’équipe de France qu’un jeune des Espoirs bascule, alors les choses se font le plus normalement possible. »

Les JO 2024 à Paris en toile de fond

Concentré sur « sa feuille de route », axée sur l’Euro 2019, le sélectionneur des Bleuets évoque toutefois « le troisième étage de la fusée ». A savoir, une qualification pour les prochains Jeux olympiques, en 2020, à Tokyo. Un billet que les Espoirs composteront s’ils atteignent les demi-finales du prochain Euro. Depuis que les Bleuets ont remplacé l’équipe de France olympique de football (titrée en 1984 à Los Angeles), ils n’ont participé aux JO qu’une seule fois. C’était lors de l’édition 1996, à Atlanta. Emmenés par Robert Pirès et Florian Maurice, les joueurs du sélectionneur Raymond Domenech avaient alors atteint les quarts de finale du tournoi masculin.

Une participation aux JO 2020 serait d’autant plus profitable aux Espoirs qu’ils seraient qualifiés d’office pour les Jeux de 2024, dont l’organisation sera officiellement confiée à Paris, le 13 septembre, lors du vote du Comité international olympique, à Lima (Pérou). « C’est très difficile de voir très très loin, sourit Sylvain Ripoll. Ceci étant, il y aura forcément beaucoup d’attente autour des Espoirs à ce moment-là. Cette équipe a donc besoin de prendre de l’épaisseur, du recul, d’emmagasiner de l’expérience, de gagner du crédit pour arriver sur un tel événement. Le crédit se construit en amont : par les résultats, l’image, l’allant, ce qu’on dégage, la sympathie. On a besoin de se remplumer. » D’ici aux JO de 2024, le chantier est colossal.