Tour de France 2018 : l’Alpe tape sur Froome, Thomas frappe à l’Alpe
Tour de France 2018 : l’Alpe tape sur Froome, Thomas frappe à l’Alpe
Par Henri Seckel (Envoyés spéciaux à l'Alpe-d'Huez), Clément Guillou
La Sky a une nouvelle fois fermé la course à double tour. Geraint Thomas grille la priorité à Christopher Froome, visé par un spectateur dans l’Alpe-d’Huez. Bardet a tout tenté et grapille des places. Nos trois leçons de l’étape du jour.
Le vélo a un peu changé : échappé solitaire depuis le pied du col de la Madeleine, Steven Kruijswijk s’effondre dans l’Alpe-d’Huez, pourtant « montagne des Hollandais ». Le vélo n’a pas tant changé : le Team Sky broie l’adversité et s’impose au sommet, Geraint Thomas réglant un groupe de quatre. Chris Froome a bien essayé de lâcher son coéquipier, mais le maillot jaune est souverain. Sinon, le peloton tire la langue à la sortie des Alpes : neuf coureurs ont quitté le Tour aujourd’hui, dont les sprinteurs Fernando Gaviria, André Greipel et Dylan Groenewegen.
STEPHANE MAHE / REUTERS
On a du mal à saisir le plan du Team Sky - et tant mieux pour eux
Il devient amusant d’écouter, depuis 48 heures, les éléments de langages distillés par le Team Sky à la presse. Leur préféré : « Chris Froome a gagné six Grands Tours. » C’est incontestable. En gagnera-t-il un septième ? C’est moins sûr.
Ce matin, la Sky répétait qu’elle avait « un plan ». Comme on le subodorait, le plan consistait à favoriser une attaque de Christopher Froome quand bien même son coéquipier Geraint Thomas porte le maillot jaune. Egan Bernal, exceptionnel dans son rôle de chien de garde sur les pentes de l’Alpe d’Huez - le gamin de 21 ans a ramené Vincenzo Nibali puis Nairo Quintana à la raison -, l’a confirmé à l’arrivée : « Le plan, c’était que Froomey attaque dans l’Alpe d’Huez. Il l’a dit avant l’étape, il se sentait bien ces derniers jours. Cela faisait trois jours qu’il en parlait. »
« Nous avons deux leaders », a ensuite dit Bernal, avant de se reprendre : « Enfin, deux leaders, je sais pas, mais G est maillot jaune, il faut le respecter pour cela. » Après six mois chez Sky, le Colombien n’est pas encore tout à fait rompu aux rudiments de la com’ externe. Il a tout de même conclu : « Mais Froomey a gagné six Grands Tours. » Pour ceux qui maîtrisaient mal le palmarès de Christopher Froome, ces jours-ci sont un aide-mémoire précieux.
Si l’on dissipe les écrans de fumée de la Sky, la situation, pour l’heure, est celle-ci : Geraint Thomas ne touche pas terre et a marqué sans aucun mal le Néerlandais Tom Dumoulin, seule menace pour le duo britannique de Sky. Chris Froome n’a pas distancé plus de 500 mètres le Néerlandais, qui n’a que 11 secondes de retard au classement général et était même déçu de son sprint, qu’il a commencé en dernière position après s’être « trompé de vitesse ». Surtout, Geraint Thomas a une minute et 39 secondes d’avance au classement général.
Si le plan, pour la Sky, est de faire croire à tout le monde que Froome est le leader pour mieux protéger Geraint Thomas, alors il est parfaitement exécuté. On doute toutefois que le quadruple vainqueur du Tour ait donné son accord. Jeudi, chose rarissime, il a refusé à deux reprises de s’exprimer sur l’étape du jour.
Prochain épisode du Grand Bluff lundi, lors de la conférence de presse de journée de repos.
AG2R a un mental d’acier - ou une méthode Coué d’acier
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Romain Bardet a gagné cinq secondes sur Chris Froome à l’arrivée à l’Alpe d’Huez (1 seconde d’avance, et 4 secondes de bonifications). Lequel Chris Froome ne tiendra peut-être pas le coup dans les Pyrénées, vu qu’il a déjà le Giro - remporté - dans les pattes. Quant à Geraint Thomas, tout le monde sait qu’il finit toujours par craquer sur les courses de trois semaines. Voilà les trois éléments, répétés aux médias à l’arrivée de la 12e étape, qui permettent à AG2R de continuer à croire à la victoire à Paris - ou de faire mine de continuer à y croire.
« Il faut essayer de trouver des sources de motivation et d’encouragement dans tous les petits aspects », dit Vincent Lavenu, le manager de l’équipe, avec un petit sourire qui sentirait quand même presque le renoncement. « On finit le massif alpestre avec quelques regrets, mais aussi avec une certitude, Romain est vraiment très fort », explique quant à lui le directeur sportif Julien Jurdie, qui parvient à dresser un « bon bilan » de la journée.
« Il faut faire le dos rond, on s’est bien battus, estime Jurdie. On a grignoté des secondes sur des adversaires très importants [5 sur Froome, 7 sur Landa, 14 sur Nibali et Roglic, 48 sur Quintana, mais aussi 1 420 sur Lawson Craddock, lanterne rouge du général, qui finit à une belle 42e place à l’Alpe d’Huez]. Bardet remonte de la 8e à la 6e place au général : « Je savais que j’allais refaire surface avec les étapes de montagne. Il en reste beaucoup [3, dans les Pyrénées], donc je vais donner le maximum »
« Jour après jour, des coureurs baissent pavillon, analyse Vincent Lavenu. Il faut espérer qu’il y en ait encore dans les Pyrénées, et que Romain monte en puissance. On a vu aujourd’hui que les Sky n’ont quand même pas écrasé la course. Ils étaient là, ils gagnent, mais ils n’ont pas fait de différences comme hier, c’est de bon augure. »
Surtout pour un podium, qui semble l’objectif le plus accessible. C’est d’ailleurs en ce sens qu’AG2R a couru ce jeudi, mettant ses deux derniers équipiers autour de Romain Bardet - Pierre Latour, meilleur jeune, était à l’avant - à contribution en poursuite de Steven Kruijswijk, plutôt que de laisser la Sky épuiser un homme.
Le « virage des Hollandais » n’est plus tout à fait le même - et pour cause
Tout chauffeur d’un véhicule accrédité sur le Tour de France a un peu la boule au ventre lorsqu’il aborde le virage n°7 de la montée de l’Alpe d’Huez. On le voit venir de loin, car il est tout orange et on y donne un concert en plein air de techno commerciale tout l’après-midi.
TOUR DE FRANCE ambiance alpe d'huez virage des hollandais virage n°7...
Durée : 07:09
Ce jeudi, ce n’était plus du tout la même chose : le Team Sky avait, confie-t-on chez Amary Sport Organisation (organisateur du Tour), de réelles craintes d’un incident, compte tenu de l’hostilité d’une partie du public vis-à-vis de Christopher Froome. Alors on a parqué les « Oranges » derrière des cordes de la même couleur, surveillés par des « bleus » et des vigiles de l’organisation, en vert. L’organisation avait aussi dépêché des néerlandophones pour rappeler à la foule qu’une course de vélo se déroulait en marge de leur enterrement de vie de garçon géant.
PHILIPPE LOPEZ / AFP
Problème : compte tenu du degré d’hostilité sur les routes vis-à-vis de l’équipe Sky (Geraint Thomas, après cette deuxième victoire consécutive, a été hué sur le podium officiel), c’est toute l’Alpe d’Huez - moins peuplée que d’habitude - qu’il aurait fallu barriérer. Plusieurs personnes ont été filmées en train de s’approcher de Froome et Thomas pour les insulter ou leur cracher dessus, et un homme, visiblement limité et maladroit, a même tenté de le frapper à la tête.
Dans la montée de l'Alpe d'Huez, un spectateur s'en est pris à Christopher Froome ! #TDF2018 https://t.co/uc0035nl4P
— francetvsport (@France tv sport)
La chute de Vincenzo Nibali, évacué à l’hôpital le plus proche avec un mal de dos prononcé - le docteur de la Bahreïn-Merida soupçonnait une fracture d’une vertèbre -, n’a par contre rien à voir avec les spectateurs : c’est avec une moto que le quatrième du classement général s’est percuté.