Christopher Froome dans la descente de la Colombière (Haute-Savoie), le 18 juillet. / JEFF PACHOUD / AFP

Bourg-Saint-Maurice - Alpe d’Huez : 175 km

Ne partez pas tout de suite ! C’est maintenant que ça devient drôle. Geraint Thomas maillot jaune. Christopher Froome leader officiel, et officiellement à 1 minute 25 secondes de Thomas. Il va y avoir du sang sur les murs blancs de la maison Sky. Qui va tuer qui, où, et avec quel complice ? « Froomey », dans la montée vers l’Alpe d’Huez avec Romain Bardet ? « G », dans le col du Portet avec Dan Martin ? Ce n’est plus le Tour, c’est du Cluedo.

Déjà, on se régale à écouter leurs adversaires. Richie Porte (petit ange parti trop tôt), avait mis son grain de sel dès Mûr-de-Bretagne, s’interrogeant sur le fait de savoir qui la Sky soutiendrait. On a tendu les micros à La Rosière et laissé instiller le venin : Vincent Lavenu, manager de l’équipe AG2R-La Mondiale de Romain Bardet : « Depuis le départ, je pense que Geraint Thomas est le leader de Sky. Pour le moment, il est le plus fort. » Paolo Slongo, l’entraîneur de Vincenzo Nibali : « Si j’étais à la place de Geraint Thomas, je réclamerais le rôle de leader. » Voyez s’installer le décor de la scène finale, celle du crime.

Geraint Thomas, mercredi, flottant dans son maillot jaune, s’est drapé d’une vertu nouvelle, ramassée entre la ligne d’arrivée et la salle de presse. Lui, jouer la victoire à Paris ? Pensez donc ! Mais ça ne l’intéresse pas ! D’ailleurs, qui voudrait d’une victoire dans le Tour lorsqu’on a 32 ans, que l’on est leader de la course avec une minute et demie d’avance et que l’on vient de se montrer plus fort que tous les adversaires de la Sky ?

« Froomey est le leader. Il a gagné six grands tours, il sait courir sur trois semaines. J’ai juste saisi une opportunité. Pour moi, ce Tour est déjà un succès. Froomey est vraiment notre meilleure chance. (…) Evidemment, je ne vais pas me relever et faire exprès de perdre du temps, mais trois semaines, c’est l’inconnue pour moi. »

« Si je suis encore en haut après l’Alpe d’Huez… »

Le discours est évidemment préparé, dans cette équipe où la communication est aussi importante que le sportif et où l’ancien spin doctor de Tony Blair, Alastair Campbell, souffle à l’oreille des journalistes. Souvenons-nous maintenant de ce que disait Geraint Thomas 48 heures plus tôt, et appréciez la différence : « C’est un peu tôt pour parler [d’un rôle de coleader]. Si je suis encore en haut de classement après l’Alpe d’Huez, ce sera un peu différent. »

Chaque matin depuis une semaine, le directeur sportif Nicolas Portal, proche des deux hommes, essaie d’expliquer aux journalistes que bien sûr, Froome est le leader désigné, que tout est clair mais qu’à la fois, la situation les arrange tactiquement.

Si l’on peut se permettre : on n’y croit pas. On cite pour information, et pour récompenser sa patience de bénédictin : « Tant que Froomey a les jambes et montre encore qu’il est là, voilà. Le jour où Froomey montre un signe de faiblesse, ou est malade, ou quoi que ce soit, et que G reste à ce niveau, c’est là qu’un numéro deux devient numéro un. Pour le moment, on pense très fort à Chris et on va supporter G. »

Thomas, Froome ? Lui s’en fiche comme de sa première carotte. / JEFF PACHOUD / AFP

La situation était, pour l’équipe Sky, déjà compliquée sur le Tour de France 2012 : le deuxième, Chris Froome, était visiblement plus fort que le premier et leader désigné, Bradley Wiggins. Mais elle était aussi infiniment plus simple : Froome était une poussière dans le paysage cycliste et Wiggins était un leader incontestable. Surtout, le deuxième était en jaune. Et cela change tout. Car dans le code de la Grande Boucle, on n’attaque pas un coéquipier qui porte le maillot jaune.

« Sky a un vrai problème sur les bras »

C’est la raison pour laquelle Wiggins, qui ne cache pas sa préférence pour son ancien pote de la piste, lâchait lundi sur Eurosport : « Si Geraint prend le maillot jaune, Sky aura un vrai problème sur les bras. Est-ce que Dave Brailsford fera comme d’habitude, à savoir opposer les deux, entrer dans leur tête et les maintenir tous les deux tendus vers le même objectif pour susciter la sélection naturelle ? »

Le nœud gordien sera peut-être tranché par le patron gallois, incontestablement plus proche de Geraint Thomas et qui prendra peut-être en compte d’autres considérations que purement sportives. Une victoire de Thomas, bonne gueule et déjà célèbre outre-Manche pour ses succès sur la piste, arrangerait Sky – et le Tour, bien sûr – en termes d’image. Mais Froome est sous contrat avec cette équipe jusqu’à fin 2020, à l’inverse de Thomas, dont le contrat expire en fin de saison et qui n’a toujours pas prolongé.

Une décision de Dave Brailsford serait-elle écoutée par ces deux coureurs de caractère, qui sont dans la dernière partie de leur carrière et qui comptent les chances qu’il leur reste sur les doigts de la main ?

Pour Froome, le meilleur moyen de sortir de cette situation très inconfortable est d’attaquer tôt dans l’Alpe d’Huez ou mieux, comme mercredi, contrer l’attaque d’un outsider. Ça n’améliorera pas son image ? Cela n’a jamais été son problème.

A PART ÇA,

Une regrettable erreur s’est glissée dans notre note de blog d’hier matin, où l’on a évoqué le formidable saut d’un cycliste par-dessus le peloton dans la montée vers le plateau des Glières. En BMX, a-t-on écrit, alors qu’il s’agissait d’un VTT. L’occasion de revoir l’action en caméra embarquée, et de vous annoncer que le vététiste – Alexis Bosson – a commis un « suicide » en passant au-dessus du peloton ; non qu’il soit retombé huit étages plus bas, c’est juste l’angoissant surnom donné à la figure qu’il a réalisée (on le voit mieux ici, clique donc).

POV Alexis Bosson jumping Le Tour De France
Durée : 00:17

On a aimé le résumé simplifié de l’étape par l’Américain Chad Haga, de l’équipe Sunweb : « Etape 11 : deux leaders fatigués de regarder des baleines (sur le dos du maillot Sky) s’échappent avec un succès mitigé, et l’on se demande si le meilleur coureur est vraiment le meilleur coureur. »

Départ à 12 h 25 ; arrivée vers 17 h 54

Le Tour du comptoir : Albertville

Chaque matin du Tour, « En danseuse » vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville-départ de la veille.

Où l’on découvre les secrets des noms de bistrots.

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Il y a vingt-quatre ans, Roger Plan a ouvert un troquet rue de la République, à Albertville (Savoie), et l’a appelé Le Santiago. Ça intrigue : d’où lui vient cette passion pour le Chili ?

« Rien à voir, c’est juste qu’à l’époque je ne quittais pas mes santiags. Bon, derrière le comptoir, j’ai pas tenu longtemps, ça fait mal au pied quand tu restes debout toute la journée. »

CG

Désormais, Roger peste en baskets noires et chemise blanche contre ce qu’est devenu Albertville, mais toujours avec le sourire. « Une ville de vieux ! Ils ne veulent pas de bruit. C’est la seule ville de France où la Fête de la musique s’arrête à minuit, ordre de la mairie. S’il y a du bruit en terrasse, la police débarque dans les dix minutes. »

Ça ne s’arrange pas en ce moment, avec les travaux qui dureront un an encore. De sorte que le départ d’étape du Tour, il n’en voit pas vraiment l’utilité. « Dès que la course va être partie, les gens vont se barrer ! Ils vont se dire : “On n’est pas là pour faire la guerre des tranchées.” » Le Tour, il s’en fiche pas mal, globalement, mais c’était bien l’an passé, quand le peloton était passé devant le Santiago. « On avait bien travaillé. »

CG

Pas autant qu’il y a vingt ans, où c’était carrément l’émeute : c’est à l’hôtel Million, à cinquante mètres de là, que les policiers avaient perquisitionné les chambres de l’équipe TVM, et mis les Néerlandais en garde à vue. Le lendemain, Manolo Saiz avait mis « un doigt au cul du Tour de France » et retiré son équipe, la ONCE, deux autres formations l’imitant.

C’était la belle époque du Tour, et d’Albertville aussi. « Il y avait des foires, la fête foraine… Ils ont tout déplacé vers la zone industrielle, car ça faisait trop de bruit. » Depuis, le centre-ville se meurt, raconte Roger, qui a le sentiment de rouler vent de face, depuis qu’il a ouvert son bar : les alcootests, l’interdiction de fumer, et maintenant le PMU qui « veut transformer les courses en jeu de hasard, puisqu’ils proposent des flashs, des grilles remplies automatiquement ! », tout ça finira par tuer le métier.

Le patron ne va pas tarder à vendre. Faut voir le bon côté : il pourra remettre des santiags.