TV – « L’Avenir » : une femme prise dans la tourmente existentielle
TV – « L’Avenir » : une femme prise dans la tourmente existentielle
Par Jacques Mandelbaum
Notre choix du soir. Isabelle Huppert incarne avec justesse une professeure dont les univers familial et professionnel s’écroulent (sur Ciné+ Club à 20 h 45).
L'AVENIR Bande Annonce (Isabelle Huppert - 2016)
Durée : 01:51
Quelque chose, dans le couple, se brise. Quelque chose, dans l’amour, agonise. Quelque chose, dans l’existence, s’affaisse. Comment fais-je, comment faites-vous, comment font-ils pour y survivre ? Pour continuer, pour y croire encore, pour tenter de reconstruire sur d’aussi vacillantes fondations. Pour envisager, malgré tout, la possibilité de l’avenir. Tout bien considéré, on ne voit pas d’autre question qui travaille au point où celle-ci le fait, à cette profondeur, et avec une telle insistance, le cinéma de Mia Hansen-Løve.
Quasiment dix ans et quatre films après Tout est pardonné – bouleversant premier long-métrage sur le destin d’une famille éclatée –, elle y retourne avec L’Avenir, d’un pas plus assuré peut-être, mais avec non moins de sensibilité, de charme, d’intelligence. Et avec, pour la première fois, un élément de poids, donc de possible déséquilibre, en la personne de la pourtant si frêle Isabelle Huppert, qui se love en douceur dans l’univers lovien.
On l’appellera Nathalie. Parisienne. Mariée. Deux grands enfants. Professeure de philosophie. Le début du film nous la montre dans les jours heureux. Sur un bateau, en famille, au large des côtes bretonnes, corrigeant des copies de l’épreuve de philosophie du bac, tandis que son mari (André Marcon), enseignant en philosophie lui aussi, va se recueillir sur la tombe de Chateaubriand, face à l’océan, sur l’îlot du Grand Bé. Images d’un bonheur apaisé et vigoureux, fouetté par le vent, accordé au large et aux embruns. Il suffira d’un raccord projetant le film quelques années plus tard pour que le temps, suivant son cours inexorable, se dégrade et qu’un sévère grain s’abatte sur Nathalie.
Une irrépressible douceur
Rien que de très banal bien sûr à titre général, les amers désagréments de la vie tels qu’une quinquagénaire peut s’attendre à y être confrontée, mais à titre particulier, une mélasse existentielle qui menace de vous engloutir corps et biens. Les choses arrivant, naturellement, dans un ordre disparate mais bien serrées à la suite. Votre mère, miroir anticipé de vous-même, qui perd la tête : Edith Scob, épatante en femme fantasque qui appelle les pompiers à tout bout de champ et largue les amarres. Votre mari qui vous quitte pour une jeunesse : coup d’autant plus violent que fomenté à bas bruit et de longue date. Votre jeunesse qu’on enterre : retour dans la vie de Nathalie d’un ex-étudiant passé au militantisme d’extrême gauche, et qui la cloue au pilori de son embourgeoisement. Votre cadre intellectuel qui fout le camp enfin, en même temps qu’un éditeur aux abois qui vous retire votre collection avec l’aide de deux jeunes technocrates « à l’écoute du marché ».
A l’encontre de ce que pourrait suggérer cette implacable énumération, L’Avenir n’a rien de cumulatif, de démonstratif, de pesant. Il avance subtilement, avec toute la fluidité de la vie, quand bien même celle-ci charrie un tel flot d’amertume.
Isabelle Huppert se love en douceur dans l’univers de Mia Hansen-Løve. / CG CINÉMA/LES FILMS DU LOSANGE/COLLECTION CHRISTOPHEL
Mais il y a, plus que tout, ce que le personnage fait de cette adversité, sa ligne de conduite par gros temps, et ce qu’à travers cette tension stoïque la jeune cinéaste semble vouloir partager de sa propre vision de la vie. C’est évidemment ici que le film se révèle admirable, composant avec une irrépressible douceur et dans une caressante lumière le portrait d’une femme en lutte pour conserver son intégrité, puisant dans le dépouillement violent qui lui est fait les ressources d’un consentement qui l’aide à conquérir sa liberté.
L’Avenir, de Mia Hansen-Løve. Avec Isabelle Huppert, André Marcon, Roman Kolinka (Fr., 2016, 98 min).