Collomb, Delpuech, Strzoda : les trois protagonistes au cœur de l’affaire Benalla
Collomb, Delpuech, Strzoda : les trois protagonistes au cœur de l’affaire Benalla
Par Béatrice Jérôme, Antoine Albertini (Bastia, correspondant), Bertrand Bissuel, Astrid de Villaines
Le ministre de l’intérieur et le préfet de police de Paris sont auditionnés par la commission d’enquête parlementaire.
Affaire Benalla : la vidéo qui accuse
Durée : 02:06
Du ministère de l’intérieur, à la Préfecture de police et l’Elysée, les dysfonctionnements ont jalonné l’affaire Benalla. La commission d’enquête parlementaire a déjà commencé les auditions.
- Gérard Collomb, ministre de l’intérieur
Il est en première ligne. Gérard Collomb, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et numéro deux du gouvernement, a été le premier à être auditionné lundi 22 juillet par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale pour tenter de « faire toute la lumière sur les événements du 1er-Mai ». Selon France Inter, M. Collomb savait « dès le 2 mai » qu’Alexandre Benalla s’en était pris la veille à des manifestants. Il aurait pu actionner l’article 40 du code de procédure pénale pour que la justice se saisisse mais ne l’a pas fait. Benoît Hamon réclame sa démission, et Jean-Luc Mélenchon n’a aucun doute sur le fait qu’il quitte le gouvernement.
Homme fort de la Macronie, l’ancien socialiste a été l’un des premiers à soutenir Emmanuel Macron, dès la fondation de son mouvement en 2016. Figure de « l’ancien monde », l’ex-baron local a été député du Rhône pendant tout le premier septennat de François Mitterrand, puis sénateur de 1999 à 2017, maire de Lyon de 2001 à 2017, et, enfin, président de la métropole de Lyon de 2015 à 2017. En 2013, il fonde le « pôle des réformateurs », l’aile droite du Parti socialiste.
A 71 ans, le ministre a porté le projet de loi controversé asile et immigration en avril, qui a fait polémique jusque dans les rangs de la majorité. La « circulaire Collomb » adoptée en décembre 2017 avait déjà scandalisé les associations d’aides aux réfugiés qui dénonçaient « le tri des migrants ». Ses déclarations sur les réfugiés « qui font un peu de benchmarking » ou sur les « régions submergées par les flux de demandeurs d’asile » lors de l’examen du texte avaient également suscité un tollé. Malgré quelques concessions à l’aile gauche de La République en marche, il est alors indéfectiblement soutenu par Emmanuel Macron.
Accusé d’avoir « menti » devant le Sénat jeudi 19 juillet en ne faisant pas mention de sa connaissance du dossier, Gérard Collomb doit désormais s’expliquer, cinq jours après les révélations du Monde sur l’affaire Benalla. Son agrégation de lettres classiques devrait l’aider à trouver les mots.
- Michel Delpuech, préfet de police de Paris
Que savait Michel Delpuech, le préfet de police de Paris, de la présence d’Alexandre Benalla, le 1er mai, au côté des 1 500 policiers et gendarmes déployés dans la capitale ? Pouvait-il se douter que le garde du corps d’Emmanuel Macron porterait un casque de policier, au moment de passer à tabac deux jeunes manifestants dans le 5e arrondissement ?
Devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale qui devait l’auditionner, lundi 23 juillet, M. Delpuech aura à s’expliquer sur l’usurpation d’identité policière de M. Benalla, et sur les complicités de ce chargé de mission à l’Elysée avec certains officiers hauts gradés à la Préfecture.
Nul doute qu’il veillera à montrer sa loyauté envers Gérard Collomb. Avant d’être nommé préfet de police à Paris en mars 2017, M. Delpuech était préfet du Rhône et de la région Rhône-Alpes. Il a travaillé avec M. Collomb, alors maire (PS) de Lyon, de 2015 à 2017. « La loyauté envers les élus, c’est l’ADN d’un préfet, et de votre interlocuteur en particulier, il me semble, confiait-il début juillet. Mon parcours en témoigne, sinon je ne serais pas là. »
Sous le quinquennat de François Hollande, en juillet 2012, M. Delpuech est devenu préfet d’Aquitaine, puis de Rhône-Alpes en 2015, et d’Ile-de-France en février 2017. En mars, il a dû remplacer au pied levé le préfet de police de la capitale, Michel Cadot, victime d’un accident de vélo.
« J’ai découvert cette maison il y a une vingtaine d’années », confie ce natif d’Aurillac, âgé de 65 ans. Sous Jacques Chirac, M. Delpuech a été directeur de cabinet des préfets de police Philippe Massoni puis Jean-Paul Proust (1999-2003). Haut fonctionnaire rompu aux arcanes préfectoraux, il connaît bien les rouages de la machine gouvernementale. Il fut directeur du cabinet de Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur (2007-2009) de Nicolas Sarkozy.
- Patrick Strzoda, directeur du cabinet de Macron
C’est lui qui a mis à pied pendant quinze jours Alexandre Benalla. Directeur du cabinet d’Emmanuel Macron, Patrick Strzoda se retrouve, à 66 ans, embarqué dans une affaire d’Etat, alors qu’il doit prendre sa retraite à l’automne, à l’issue d’une carrière de préfet qui était synonyme de réussite, jusqu’à présent. Originaire d’Alsace, M. Strzoda passe l’ENA au milieu des années 1980 et intègre la préfectorale. Durant son parcours de haut fonctionnaire, il effectue quelques pas de côté, devenant secrétaire général du comité d’organisation des Jeux olympiques d’hiver à Albertville en 1992 puis, plusieurs années plus tard, directeur des services du conseil général de Savoie (2005-2007) – une collectivité contrôlée par la droite.
De retour dans son administration d’origine, il ne cesse d’acquérir du galon et enchaîne les postes sensibles. Préfet de Corse de 2011 à 2013, ses interlocuteurs voient en lui un « gros travailleur », « ouvert », qui a vite saisi les « subtilités locales ». « Il aurait pu nous mépriser puisque nous étions à l’époque dans l’opposition, cela n’a pas été le cas », se souvient un élu nationaliste.
A la préfecture de Bretagne (2013-2016), il gère le mouvement des « bonnets rouges » avant d’être enrôlé, en 2016, par Bernard Cazeneuve en qualité de directeur du cabinet, au ministère de l’intérieur, puis à Matignon. Dans les derniers jours du quinquennat de François Hollande, il est nommé préfet d’Ile-de-France – la fonction la plus prestigieuse de son corps – mais M. Macron, sitôt élu, l’embauche à l’Elysée.
La plupart de ses pairs sont intarissables sur sa « droiture » sa « rigueur », sa « totale loyauté » mais certains le jugent dur et dans le dossier de projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, il avait la réputation d’être partisan d’une très grande fermeté. L’affaire Benalla « ne lui ressemble pas », confie un préfet.