L’Inde supprime la taxe sur les serviettes hygiéniques
L’Inde supprime la taxe sur les serviettes hygiéniques
Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
Le taux de 12 % de TVA imposé en 2017 avait déclenché une campagne de protestations.
Une cérémonie hindouïste, le 27 juin à Bombay. / Rafiq Maqbool / AP
« Notre sang est enfin exempté de taxe », s’est félicitée RJ Charu, animatrice sur la radio indienne Mirchi à l’annonce de la suppression dans le pays d’une taxe sur les serviettes hygiéniques. Le gouvernement indien a modifié, samedi 21 juillet, le taux de TVA de 90 produits de base, dont les réfrigérateurs et les machines à laver. L’exemption de la taxe sur les serviettes hygiéniques a été l’une des plus saluées. Le Parti du peuple indien (BJP, au pouvoir) a aussitôt fait circuler sur les réseaux sociaux une image où figure le premier ministre Narendra Modi à côté d’une serviette hygiénique, sur fond rose, avec ce message : « Serviettes hygiéniques à un prix abordable, amélioration de l’hygiène et de la santé des femmes, émancipation des femmes ».
En juillet 2017, les 31 membres du comité de la TVA – tous des hommes – avait exempté de taxe des produits de maquillage comme le khôl mais avaient imposé un taux de 12 % sur les serviettes hygiéniques, considérées comme des « produits de luxe ». Une étudiante et une association de défense des droits des femmes avaient alors saisi la justice pour faire abolir cette taxe, qu’elles considéraient comme discriminatoire. « Avec une TVA à 12 % sur les serviettes hygiéniques, être une femme coûtait plus cher qu’être un homme », explique Karuna Nundy, leur avocate auprès de la Cour suprême. Les plaignantes mettaient en avant les résultats d’une enquête menée par le cabinet de recherche en marketing AC Nielsen, montrant que 88 % des femmes utilisaient du sable, des cendres ou du linge pendant leurs règles faute de pouvoir s’offrir des protections périodiques. Le manque d’hygiène menstruelle serait à l’origine de 70 % des problèmes de santé reproductive en Inde.
« Saigner sans peur »
L’imposition d’un taux de TVA de 12 % avait déclenché une vaste campagne de protestation contre cette mesure. A l’été 2017, des étudiantes de l’université de Delhi avaient manifesté et collé des serviettes hygiéniques sur les murs du campus, avec les slogans « Saigner sans taxe » ou « saigner sans peur ». Elles réclamaient l’installation de distributeurs automatiques de protections féminines dans leur établissement.
En Inde, les menstruations sont si taboues que près du tiers des adolescentes ignorent ce qui leur arrive lorsqu’elles en font l’expérience pour la première fois. Certaines s’imaginent atteintes d’une maladie grave ou craignent d’en mourir. Ce silence imprégné de honte a de graves conséquences sur la santé des femmes et leur éducation. Le quart des adolescentes indiennes abandonnent ainsi leurs études après leurs premières règles, soit parce qu’elles sont confinées chez elles par leurs familles, soit parce que les écoles ne disposent pas de toilettes. Le rôle de l’école est pourtant crucial, car il permet d’expliquer aux adolescentes la fonction physiologique des cycles, tout en les libérant des préjugés. Un jeune couple a eu l’idée de créer la première encyclopédie en ligne sur le sujet, Menstrupedia, et la première bande dessinée pour déculpabiliser les femmes et sensibiliser les hommes. Près de 100 000 albums ont été distribués et font même partie du programme scolaire dans 90 écoles.
En Inde, les règles servent de prétexte à la stigmatisation des femmes. L’accès à certaines mosquées et à des temples hindous est ainsi interdit aux filles dès qu’elles sont pubères. Un prêtre du Kerala avait même déclaré en 2015 qu’il ouvrirait les portes de son temple aux femmes le jour où un scanner serait capable d’identifier, sur le seuil, celles ayant leurs règles, considérées comme impures. Dans la vie quotidienne aussi, les règles entravent la liberté de nombreuses femmes : elles n’ont pas le droit de s’asseoir sur le canapé, de toucher la nourriture, d’entrer dans la cuisine, et sont même parfois obligées de vivre dans une pièce séparée, ou dans une petite cahute à l’écart de la maison – ces cabanes ne disposant bien souvent ni de matelas ni d’accès à l’eau ou à l’électricité.