Les six membres de la secte Aum exécutés jeudi 26 juillet, sur un écran de télévision à Tokyo. / Shinji Kita / AP

Soucieuses de clore l’un des épisodes les plus traumatisants de l’histoire récente du Japon, les autorités nippones ont exécuté en moins de trois semaines les treize membres de la secte Aum Shinrikyo, qui avaient été condamnés à mort. Sept avaient été pendus le 6 juillet, dont le fondateur, en 1984, du mouvement, Chizuo Matsumoto (alias Shoko Asahara). Les six autres ont subi le même sort jeudi 26 juillet.

Tous avaient été reconnus coupables de crimes multiples. Il y eut l’assassinat, en 1989, de l’avocat Tsutsumi Sakamoto, sa femme et leur bébé ; la mort, en 1994, par intoxication au gaz sarin produit dans un laboratoire de la secte, de huit personnes à Matsumoto, dans le département de Nagano (centre) ; il y eut, enfin et surtout, l’attentat du 20 mars 1995 dans le métro de Tokyo, encore au gaz sarin, qui fit 13 morts et intoxiqua plus de 6 200 personnes, dont beaucoup sont restées handicapées à vie.

Comme à chaque fois au Japon, l’information sur les exécutions n’a filtré que tardivement. En conférence de presse, après leur confirmation, la ministre de la justice, Yoko Kamikawa, a parlé de l’attentat de 1995 comme d’une attaque terroriste ayant répandu la peur, même à l’étranger. « Beaucoup de vies précieuses ont été perdues, de nombreuses personnes souffrent d’un handicap, d’autres connaissent des difficultés. La peur, la souffrance et le chagrin que ressentent les victimes et les familles endeuillées sont inimaginables. La question de l’exécution a été soigneusement pesée avant d’être tranchée », a déclaré celle qui a, à ce jour, signé les ordres d’exécution de 17 condamnés à mort depuis son entrée en fonction en août 2017.

« Les exécutions ne sont pas une fin en soi pour les survivants et les familles des victimes », a réagi, également devant la presse, Shizue Takahashi, épouse d’un employé du métro mort dans l’attentat de 1995 et dirigeante d’un groupe de victimes. Mme Takahashi a promis de « continuer d’agir pour que ce crime ne soit pas oublié ».

Jusqu’à 10 000 fidèles

En tout, 189 membres d’Aum ont été jugés. La dernière procédure s’est terminée avec la confirmation en janvier de la condamnation à perpétuité d’un membre arrêté en 2012. Depuis, le gouvernement réfléchissait au calendrier des exécutions, avec, semble-t-il, la volonté de les appliquer avant la fin de l’ère Heisei – commencée en 1989 et qui coïncide avec le règne de l’empereur Akihito, devant abdiquer en 2019 –, dont l’attentat au gaz sarin reste l’événement le plus meurtrier.

Par ailleurs, les autorités redoutaient une réaction des anciens fidèles du culte toujours en liberté. Après sa dissolution, Aum, qui a compté jusqu’à 10 000 fidèles au Japon, a été divisé en deux mouvements, Aleph et Hikari no wa (« L’harmonie de la lumière »). Toujours sous surveillance des autorités, les deux structures réuniraient 1 650 membres. Les fidèles d’Aleph maintiendraient même leur fidélité au fondateur, Shoko Asahara, au point d’avoir organisé des pèlerinages à la prison où il attendait dans le couloir de la mort. Le mouvement aurait aussi des fidèles en Russie, malgré son interdiction en 2016.

Le mois de juillet aurait été retenu car les pendaisons ne devaient pas non plus interférer avec l’élection de septembre à la présidence du Parti libéral-démocrate (PLD, au pouvoir). Le premier ministre Shinzo Abe est candidat et compte l’emporter pour conserver la tête du gouvernement. Il semble avoir voulu éviter les critiques de l’opposition, même s’il y avait peu de risque que la peine capitale fasse l’objet de débats. Les pendaisons du 6 juillet ont vite été « oubliées ».

Procès déroutants

Et ce, malgré les condamnations internationales, notamment de la France qui, par la voie de son ambassadeur, Laurent Pic, a dit partager « la douleur des victimes, de leur famille et du peuple japonais », tout en ajoutant : « Comme ses partenaires de l’Union européenne, [la France] n’en est pas moins opposée à la peine de mort et appelle à son abolition partout dans le monde. »

Outre les questions sur le maintien de la peine capitale, l’exécution des 13 membres du culte alimente un sentiment d’inachevé dans la réflexion autour de l’attentat le plus meurtrier commis au Japon depuis la guerre, à l’origine d’un énorme traumatisme dans l’archipel. Les procès des membres de la secte furent parfois déroutants. Après avoir, dans un premier temps, reporté la responsabilité des crimes sur ses fidèles, le gourou Asahara s’est enfermé dans un mutisme ponctué de déclarations incohérentes.

« Beaucoup de questions fondamentales sur les crimes d’Aum restent sans réponse. Pourquoi le groupe a-t-il manifesté une telle hostilité envers la société et a-t-il été jusqu’à commettre l’attaque au sarin dans le métro ? Y avait-il une possibilité d’empêcher ses crimes ? », s’interrogeait dans un éditorial le quotidien de centre gauche Asahi, au lendemain des exécutions du 6 juillet.

« Frénésie d’exécution sans précédent »

Le Mainichi, également de centre gauche, se posait les mêmes questions, et citait le romancier Haruki Murakami, qui a consacré un ouvrage d’entretiens, Underground (Belfond, 2013) à l’attentat au gaz sarin. Dans ce livre, M. Murakami dénonce l’attitude des autorités et des Japonais qui tendent à considérer le crime comme un acte « extrême et exceptionnel » commis par un groupe isolé, et à éviter de s’interroger sur une réalité plus sombre de la société japonaise qui a poussé des personnes éduquées, des scientifiques ou encore des médecins à suivre aveuglément le gourou Asahara.

L’organisation Amnesty International a d’ailleurs dénoncé une « frénésie d’exécution sans précédent », qui « ne laisse pas la société japonaise plus en sécurité » : « Les pendaisons ne parviennent pas à expliquer pourquoi les gens ont été attirés par un gourou charismatique avec des idées dangereuses », a réagi Hiroka Shoji, chercheur de l’organisation.