Jérôme Valcke, en janvier 2014. / Felipe Dana / AP

Douze jours après la finale de la Coupe du monde en Russie et le sacre des Bleus, le feuilleton du « FIFAgate » reprend ses droits. Selon nos informations, le Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne doit rendre son verdict, vendredi 27 juillet, dans le dossier impliquant le Français Jérôme Valcke, l’ex-secrétaire général de la Fédération internationale de football (2007-2015).

Démis de ses fonctions en septembre 2015, à la suite des accusations de malversation faites contre lui par l’ex-footballeur israélien Benny Alon dans le cadre de la billetterie du Mondial brésilien de 2014, l’ancien numéro 2 de l’instance planétaire avait saisi le TAS pour faire appel de la suspension de dix ans prononcée à son encontre, en 2016, par les instances disciplinaires de la FIFA. Le Parisien, 57 ans, avait été auditionné en octobre 2017 par les « juges » de Lausanne. Ces derniers ont repoussé à cinq reprises la notification de leur décision. Cette fois, c’est l’ex-secrétaire général de la FIFA qui a demandé à ce que cette annonce soit différée à la fin d’août, au terme des congés estivaux. Mais le TAS n’a pas accédé à sa requête.

Peu médiatisé, complexe, le cas Valcke est emblématique de la litanie de scandales qui ont miné ­la Fédération internationale de football et entraîné la chute de son ancien président, le Suisse Sepp Blatter (1998-2015), dont la radiation de six ans a été confirmée par le TAS. En février 2016, Valcke avait été suspendu pour avoir enfreint sept chapitres du code d’éthique de la FIFA. Selon les documents déposés devant le TAS, auxquels Le Monde a eu accès, l’ex-bras droit de Sepp Blatter est poursuivi pour « conflits d’intérêts » et pour avoir « accepté et distribué des ­cadeaux et autres avantages ».

Voyages en jets privés

La liste des griefs est longue. Il est accusé, entre autres, d’avoir tenté de brader les droits télévisés des Mondiaux 2018 et 2022 lors de ses négociations avec l’Union caribéenne de football (CFU, pour Caribean Football Union, en anglais), en mars 2011, en amont de la réélection de Sepp Blatter. La CFU était alors présidée par le Trinidadien Jack Warner, aujourd’hui suspendu à vie. Valcke est aussi ­accusé par la FIFA d’avoir utilisé des jets privés avec ses proches, comme lors d’une virée au Taj Mahal en 2012. Le nom de son fils, salarié de l’entreprise américaine E.ON, apparaît également dans un contrat de 709 000 dollars (605 000 euros), avec de juteuses commissions à la clé, entre la fédération et ladite société.

Pour Me Stéphane Ceccaldi, qui défend Valcke devant le TAS avec ses confrères suisses Jonas Oggier et Marco Niedermann, son client a été privé de la possibilité de faire valoir que la FIFA avait eu « une attitude générale récurrente, qui a consisté à valider l’ensemble des actes de gestion de l’intéressé, et en particulier les quatre voyages en jet privé qu’on lui reproche, commandés et payés dans des conditions ostensibles, et validés en fin d’exercice par les instances internes de contrôle. Cette attitude ­devrait interdire à la FIFA de se ­dédire rétrospectivement, outre que le recours fréquent aux jets privés par Blatter et d’autres ne leur a valu aucune remontrance de la FIFA »… La stratégie de défense du camp Valcke est claire : montrer que ces pratiques ont été autorisées et validées en interne.

Licencié « avec effet immédiat » en janvier 2016 par la FIFA, rémunéré à hauteur de 1,9 million d’euros annuels en 2015 et récipiendaire de 42 000 francs suisses (36 000 euros) au « titre de solde de rémunération », Valcke entend aussi défendre ses droits de salarié. Il rejette l’interdiction professionnelle prononcée par le comité d’éthique de l’instance, qui l’accuse de « refus de coopérer » et d’avoir détruit des documents.

Son avocat brandit son contrat d’« officiel et salarié » qui, à la différence du statut des élus Sepp Blatter et Michel Platini (radié quatre ans dans la fameuse affaire du paiement de 2 millions de francs suisses) « lui permet de revendiquer les garanties du droit du travail suisse, dont les règles d’ordre public privent par principe l’employeur de tout pouvoir disciplinaire ». « M. Valcke a déjà été ­sévèrement sanctionné par son employeur et ne pouvait être sanctionné une deuxième fois très lourdement pour les mêmes faits après son licenciement », développait en octobre 2017 Me Ceccaldi.

« Je ne suis pas parfait mais je n’ai rien fait de criminel »

« J’attends la décision du TAS, confiait récemment au Monde M. Valcke, qui réside actuellement à Barcelone, où il a monté la société OMV Frontline, spécialisée dans l’événementiel. Je ne suis pas parfait mais je n’ai rien fait de criminel, rien ne justifie ces années de procédure et je ne finirai pas en prison. »

L’ex-bras droit de Sepp Blatter se décrit comme une « cible » de la nouvelle FIFA présidée par le Suisso-Italien Gianni Infantino, désireuse de charger sa barque afin de se refaire une virginité sur son dos. Si d’aventure le TAS confirmait la sanction prise contre lui par la FIFA, Valcke saisirait le Tribunal fédéral suisse. « J’irais alors plus loin devant la justice civile pour obtenir justice », précise M. Valcke.

Depuis 2016, l’ex-journaliste de Canal+ fait par ailleurs l’objet d’une procédure pénale ouverte par le parquet helvétique pour des soupçons de malversation. En octobre 2017, le ministère public suisse (MPC) a ouvert une autre procédure à son encontre dans le cadre de l’affaire impliquant le Qatari Nasser Al-Khelaïfi (« NAK »), le président du Paris-Saint-Germain. Ce dernier fait également l’objet d’une procédure pénale.

Le parquet helvétique soupçonne NAK — en sa qualité de directeur du groupe BeIN Media — d’avoir prétendument offert des « avantages indus en lien avec l’octroi de droits média dans certains pays en ce qui concerne les Coupes du monde de 2026 et de 2030 » à Jérôme Valcke. Le Français est, lui, « soupçonné d’avoir accepté des avantages indus en lien avec l’octroi de droits médias dans certains pays de la part d’un homme d’affaires dans le domaine des droits sportifs en ce qui concerne les Coupes du monde de football de la FIFA de 2018 [en Russie], 2022 [au Qatar], 2026 et 2030 ».

L’affaire Al-Khelaïfi

Le MPC suisse s’intéresse surtout à une villa située à Porto Cervo, en Sardaigne. Selon la police italienne qui l’a perquisitionnée, elle serait « le moyen de corruption » utilisé par M. Al-Khelaïfi avec Jérôme Valcke. Baptisée la « villa Bianca », ladite demeure avait été visitée à deux reprises par l’ex-numéro 2 de la FIFA, à l’été 2013. Le Parisien était alors désireux de l’acheter.

A défaut de l’acquérir, Valcke a décidé de la louer pour y résider. Le Monde a eu accès au contrat de location. Dans ce document rédigé en anglais et en italien, il apparaît que la « villa Bianca », nichée dans le complexe balnéaire « Le Pleiadi », appartient à Abdelkader Bessedik, un proche de NAK et « manageur » de la société qatarie Golden Home Real Estate.

Ledit contrat de location a été signé le 1er juillet 2014 par le représentant de Golden Home Real Estate et Jérôme Valcke, en tant qu’unique actionnaire de la société offshore Umbelina SA, domiciliée aux îles Vierges britanniques, un paradis fiscal. Créée en 2013 pour acheter un yacht, Umbelina SA est notamment apparue, en 2016, lors du scandale des « Panama Papers ».

« Effectif entre les deux parties pour une période de quatorze mois », le bail de location de la « villa Bianca » s’étire du 1er avril 2014 au 31 août 2015 et est renouvelable pour douze mois. Le loyer annuel de la propriété s’élève à 96 000 euros. Le locataire doit s’acquitter de douze versements réguliers « par virement bancaire » de 8 000 euros. Dans le camp Valcke, on assure que le Français a bien payé son loyer.

Si Nasser Al-Khelaïfi et Jérôme Valcke ont été entendus, en octobre 2017, par le parquet suisse sur les conditions de la location de la « villa Bianca », ils n’ont en revanche jamais été auditionnés par le comité d’éthique de la FIFA, qui a pourtant ouvert une enquête préliminaire dans ce dossier. En octobre, le parquet suisse est censé auditionner Niclas Ericson, ancien directeur du département télévision de la FIFA, pour faire la lumière sur cette affaire. Dans les camps Al-Khelaïfi et Valcke, on espère que le MPC refermera sa procédure.