Le mapping, entre art et attraction touristique
Le mapping, entre art et attraction touristique
Par Marie Frumholtz
Les œuvres numériques envahissent les villes mais leur aspect artistique doit encore s’affirmer.
Le Graoully créé en 3D pour le mapping "Alter Lux Animae" de Yann Nguema sur la cathédrale de Metz. / Yann Nguema
Quel centre-ville ne dispose pas de son mapping ? En pleine saison estivale, ces spectacles sons et lumière immersifs surgissent à la tombée de la nuit un peu partout en France. De la place Stanislas à Nancy, en passant par les cathédrales d’Orléans ou d’Amiens, leurs musiques et leurs couleurs vives déplacent des masses de touristes chaque soir.
À Metz, le parvis de la cathédrale Saint-Etienne ne désemplit pas depuis un mois. La réalisation de Yann Nguema est projetée sur la façade à quatre reprises trois fois par semaine durant toute la durée du festival Constellations. Très élaboré, ce mapping d’un quart d’heure varie les effets 3D à grand renfort de projecteurs et de lasers, le tout sur un fond sonore psychédélique. L’artiste a d’abord entré, à l’aide d’un logiciel, les coordonnées de chaque pierre. Un algorithme spécifique est ensuite élaboré pour permettre la mise en mouvement très précise de la façade. L’effet est saisissant lorsque le Graoully, le monstre légendaire de la ville de Metz, toise de toute sa hauteur l’ensemble des spectateurs.
Des selfies « instagrammables »
« Le côté numérique et monumental de ces projets remporte un succès incroyable auprès du public. Ce sont les nouveaux feux d’artifice », estime Nicolas d’Ascenzio en charge du parcours numérique du festival. Mais malgré la qualité de l’installation, l’organisateur hésite à la réitérer, tant le procédé semble éculé. Même impression du côté de Yann Nguema : « On a tendance à voir et revoir les mêmes effets multicolores sur tous les bâtiments de France. Cela a certes un impact touristique mais ça ne veut pas dire que la qualité des propositions est au rendez-vous. Les gens vont finir par s’habituer et par devenir plus exigeants ».
Estimant perdre 15 à 20 % de ses effets en extérieur, l’artiste souhaite revenir à des créations en intérieur, plus intimistes, à l’image de l’exposition du collectif japonais teamLab à la Villette.
teamLab : Au-delà des limites
Durée : 02:45
Si le succès de ces installations ne se dément pas, c’est aussi et surtout grâce aux réseaux sociaux. Une pancarte indique d’ailleurs dès l’entrée de la grande Halle de la Villette que leur usage est fortement encouragé. Le hashtag #teamlab a déjà été repris plus de 238 000 fois sur Instagram. Les motifs de fleurs colorées ou de lampions se reproduisant à l’infini dans les miroirs constituent un environnement très propice aux selfies « instagrammables ». Quant aux vidéos, elles capturent ces moments « magiques » où d’un simple geste, le spectateur fait évoluer l’œuvre. Immersif et interactif, le mapping se passe de toute explication, cartel ou médiateur.
Une porte d’entrée
Ces caractéristiques, les institutions muséales tentent aussi de se les approprier. Le château d’Auvers-sur-Oise (95) par exemple, a complètement revu sa scénographie l’an passé. Une agence spécialisée a aménagé huit salles où des animations sonores et visuelles de grands formats comptent l’histoire des peintres impressionnistes du village. « Ce changement a permis à notre musée de passer dans le XXIe siècle, estime Delphine Travers directrice du lieu. En 45 minutes, le visiteur comprend en quoi ce village a été important pour l’histoire de l’art. »
Salle postimpressionniste du château d'Auvers-sur-Oise (95) / ©lesquare
Et peu importe si les visiteurs présents en cet après-midi de juillet cherchent davantage le meilleur angle pour un selfie à l’aide de leur perche, qu’à écouter les explications. « Il faut savoir vivre avec son temps. Les réseaux sociaux constituent une belle porte d’entrée pour visiter Auvers-sur-Oise » assure la directrice.
Des œuvres plus pointues
A Metz également, le mapping « n’est qu’un produit d’appel pour découvrir d’autres choses » assume Nicolas d’Ascenzio. Le programmateur a ainsi sélectionné des œuvres plus pointues, comme Warping Halos du collectif Children of the Light installée dans l’église des Trinitaires. Le FRAC Lorraine est également inclus dans le parcours numérique.
"Warping Halos" par Children of the Light à l'église des Trinitaires à Metz / Sophie_Lawani
« Ce festival contribue à la nouvelle identité de notre ville dont le slogan est “art et technologie” » explique Hacène Lekadir, adjoint à la culture de la ville. Metz a déjà reçu le label French Tech et son tiers lieu numérique TCRM-BLIDA, dirigé par Nicolas d’Ascenzio, a accueilli en résidence de nombreux artistes du festival Constellations.
Quartz de Nicolas Paolozzi devant le Temple-Neuf de Metz / Yann Nguema
« Les arts numériques ne sont pas encore très représentés dans les musées. La question se pose encore de reconnaître le jeu vidéo comme le 10e art. Mais à terme, je suis sûre que nous aurons des œuvres numériques pérennes dans l’espace public, affirme le jeune homme. Il faut trouver des artistes qui parviennent à l’équilibre entre le “fun” et le projet artistique. » Une mission à laquelle il s’attelle déjà pour l’édition de l’an prochain.
Constellations de Metz jusqu’au 16 septembre 2018; Château d’Auvers-sur-Oise, parcours immersif “vision impressionniste” accessible toute l’année; « teamLab : au-delà des limites », jusqu’au 9 septembre à la Grande Halle de la Villette.