Au Burkina Faso, le futur vote de la diaspora fait déjà polémique
Au Burkina Faso, le futur vote de la diaspora fait déjà polémique
Par Sophie Douce (Ouagadougou, correspondance)
Les Burkinabés de l’étranger devraient, pour la première fois, participer aux scrutins de 2020 depuis leur pays de résidence. Mais dans quelles conditions ?
Dans un bureau de vote de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 29 novembre 2015, pendant le dépouillement de la dernière élection présidentielle. / ISSOUF SANOGO / AFP
Le compte à rebours a déjà commencé au Burkina Faso. A deux ans de l’élection présidentielle, la classe politique se divise autour du nouveau code électoral définissant les conditions de vote des Burkinabés de l’extérieur. Ces derniers devraient pour la première fois pouvoir se rendre aux urnes à l’étranger en 2020. Principaux points de discorde : les documents à fournir et les lieux de vote.
Selon le projet de loi adopté, lundi 30 juillet, à l’Assemblée nationale, ils devront se munir de leur carte nationale d’identité burkinabée (CNIB) ou de leur passeport. La carte consulaire, jugée « moins fiable » par la majorité, ne sera pas acceptée. Les députés de l’opposition, qui ont préféré quitter l’hémicycle avant le vote du texte, dénoncent « un passage en force » et une « manœuvre politicienne ». « Ce sont des milliers, voire des millions de Burkinabés qui seront exclus des scrutins à venir », proteste l’un d’eux, François Zilma Bacye, président du groupe parlementaire Paix, justice et réconciliation nationale (PJRN).
« Un grave recul démocratique »
« Comment un Etat peut-il dire à son peuple aujourd’hui que ce document [la carte consulaire biométrique] qu’il délivre depuis plusieurs années n’est pas fiable ? Il y a une volonté délibérée de minorer la participation de nos compatriotes et de frauder, à l’approche de 2020, par un régime qui est aux abois et qui craint pour son positionnement au pouvoir ! », s’insurge Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition et président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC). A ses côtés, Eddie Komboïgo, à la tête du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, parti de l’ancien président Blaise Compaoré), s’inquiète : « C’est un grave recul sur le plan démocratique. Comment est-ce que les électeurs obtiendront leur carte nationale d’identité ? Les démarches sont longues et complexes. Délivrer près d’un million de CNIB en plusieurs mois, c’est compliqué ! »
La passe d’armes n’est pas anodine : la carte consulaire est souvent le seul document officiel détenu par les Burkinabés de la diaspora. Sur près d’un million de ressortissants immatriculés à l’étranger, 985 000 en sont munis, selon les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). En Côte d’Ivoire, où sont installés plus de 3 millions de Burkinabés, seulement 300 000 possèdent une pièce nationale d’identité et 100 000 un passeport, sur les 882 000 détenteurs d’une carte consulaire.
Autre point d’achoppement : les Burkinabés de l’étranger ne pourront voter que dans les ambassades et les consulats. « Nous ne pouvons pas installer un bureau […] dans chaque village, nous serions confrontés à des difficultés sur le plan logistique, organisationnel et sécuritaire », défend Lassané Sawadogo, secrétaire exécutif du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), la formation au pouvoir depuis 2015. « En Côte d’Ivoire, la diaspora est éparpillée dans tout le pays, comment voulez-vous que les citoyens parcourent de longues distances pour aller voter dans les villes [où sont installés l’ambassade et les trois consulats généraux, c’est-à-dire Abidjan, Bouaké et Soubré] ? C’est impossible », pointe Zéphirin Diabré, candidat malheureux lors de l’élection présidentielle de 2015.
2,6 millions d’électeurs potentiels
En coulisses, on murmure que le vote de l’étranger serait peu favorable au chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, qui a annoncé sa candidature à un nouveau mandat en 2020. « Le MPP et nos gouvernants craignent de perdre les élections, le poids de cet électorat peut jouer en leur défaveur. D’autant plus qu’il y a un désamour grandissant entre Kaboré et son peuple », affirme Ablassé Ouedraogo, fondateur du parti Le Faso autrement. « C’est une fausse querelle. Personne ne peut dire pour qui voteront les Burkinabés de l’extérieur, nous n’avons pas peur d’affronter les autres partis en Côte d’Ivoire ni dans n’importe quel pays en 2020 », rétorque le secrétaire national du MPP.
Maintes fois évoqué mais toujours reporté, en 2010 puis en 2015, le vote de la diaspora était l’une des promesses de campagne du président Kaboré. Cette consultation, qui sera inédite si elle est instaurée, est un enjeu politique de taille au Burkina Faso : près de 7,3 millions de Burkinabés résident hors du pays, dont 2,6 millions d’électeurs potentiels. De quoi peser lors de la présidentielle de 2020. Face à ces premières tensions préélectorales, le MPP tente de couper court à la polémique et promet de déployer des équipes sur le terrain pour « permettre à tous les ressortissants qui le désirent d’obtenir leur carte d’identité ». « Les risques de remise en cause des résultats de l’élection de 2020 et de création d’une crise postélectorale sont graves. Nous voulons que les documents pour l’inscription et le vote soient incontestables pour que le résultat du scrutin le soit également », prévient Lassané Sawadogo.