Connaître et compenser les faiblesses de son appareil photo
Connaître et compenser les faiblesses de son appareil photo
Par Nicolas Six
Qu’ils soient compacts, hybrides ou reflex, les appareils photo prennent des images moins immersives et moins naturelles que nos yeux. Voici quelques astuces pour tenter de les hisser au niveau de performance de notre rétine.
Bien souvent, nos souvenirs valent mieux que nos photos. Les appareils photo traduisent mal ce que nos yeux perçoivent quand nous contemplons un superbe paysage, une belle œuvre ou un visage. L’appareil interprète le monde différemment de notre rétine, ses clichés manquent donc de naturel et d’immersivité. Pour progresser dans l’art photographique, découvrir les faiblesses des appareils photo n’est pas inutile, d’autant qu’il existe des astuces pour les compenser.
« En photo, les paysages paraissent moins spectaculaires »
Lorsqu’on regarde une photo de paysage, on peine à s’y sentir immergé comme si l’on y était vraiment. / NICOLAS SIX / LE MONDE
Nos yeux voient beaucoup plus « large » que nos appareils photo. Nous percevons l’intégralité du paysage qui nous fait face, puisque notre champ de vision s’étend sur environ 200 degrés de large. Les appareils photo compacts ou reflex ne perçoivent qu’environ la moitié du paysage qui leur fait face, avec un champ de vision oscillant entre 60 et 120 degrés. La sensation d’immersion est beaucoup moins saisissante. Les caméras d’action et les caméras à 360° voient plus « large », mais au prix d’une chute sévère de la qualité d’image.
- Première parade : On peut ruser en photographiant un « panorama ». Cela consiste à capturer plusieurs clichés et à les coller l’un à l’autre pour élargir le champ de vision. Certains smartphones permettent de créer des panoramas automatiquement en balayant le paysage. Mais il est particulièrement difficile de capturer une véritable demi-sphère sans élément parasite. En outre, il n’existe pas de solution pour visualiser cette sphère : ni écrans hémisphériques ni casques de réalité virtuelle dotés d’un champ de vision de 200 degrés.
- Seconde parade : Puisque l’immersivité de l’œil humain est imbattable, pourquoi vouloir la concurrencer ? On peut au contraire s’appuyer sur les qualités uniques de nos appareils, qui ont la particularité de découper une fenêtre dans le paysage. En choisissant intelligemment ce découpage, en taillant avec patience, on parvient à prendre une photographie à la composition harmonieuse, voire artistique, radicalement différente de ce que l’œil perçoit. La plupart des grands photographes excellent dans cet art.
L’appareil photo permet de tailler une fenêtre dans le paysage, c’est tout l’art du cadrage. / NICOLAS SIX / LE MONDE
« Quand je photographie un ciel bleu, l’appareil le voit blanc »
En plein été, sous le soleil de midi, les appareils photo peinent à saisir le bleu du ciel en même temps que le petit chat réfugié dans un soupirail. L’écart de luminosité entre le félin et le ciel est trop important, l’appareil est forcé de choisir : négliger le chat, qui se retrouve noyé dans l’ombre ; ou négliger le ciel bleu, qui vire au fromage blanc.
La violence du soleil est telle que le ciel perd sa couleur bleue. Il vire au blanc. / NICOLAS SIX / LE MONDE
L’œil humain, qui parvient à réconcilier l’azur et le félin, est capable d’encaisser des contrastes plus violents. Heureusement, les appareils photo progressent vite, et une poignée d’appareils tutoient désormais les performances de l’œil — des appareils facturés autour de 2 000 euros pour la plupart. Ces coûteuses exceptions mises à part, les appareils photo encaissent moins bien les contrastes brutaux que nos yeux.
- Première parade : Beaucoup d’appareils permettent de baisser la luminosité des photos en modifiant l’exposition. Baisser ce réglage d’un cran réduit le nombre de photos brûlées. Les clichés prennent une tonalité sombre, mais il est facile de les rééclairer en retouche. C’est une solution efficace pour faire réapparaître le petit chat du soupirail sans brûler le ciel. De façon générale, mieux vaut prendre une photo trop sombre qu’un cliché trop clair, car les parties brûlées de l’image, contrairement aux parties sombres, ne contiennent aucune information. On ne peut rien y récupérer en retouche.
- Seconde parade : Un réglage réservé aux experts améliore drastiquement la capacité de l’appareil photo à encaisser les contrastes brutaux. L’astuce consiste à paramétrer intelligemment la sensibilité de l’appareil. Ce réglage, gradué en ISO, permet de compenser le manque de lumière en amplifiant les informations capturées par le capteur photo. Or plus on augmente la sensibilité, moins l’appareil photo parvient à encaisser des contrastes violents. Ce problème apparaît dès qu’on dépasse le réglage de base de 100 ISO et s’accentue rapidement. Mieux vaut donc maintenir la sensibilité de l’appareil aussi basse que possible lorsqu’on photographie sous un soleil puissant.
« Les détails sont flous »
Les moustaches du chat sont à peine visibles. Mais elles pourraient l’être avec d’autres réglages photo. / NICOLAS SIX / LE MONDE
L’œil est tapissé de minuscules récepteurs de lumière. Leur nombre est bien plus impressionnant que les 20 millions de pixels d’un appareil photo moyen : chacun de nos yeux en compte environ 100 millions. Ce chiffre mérite toutefois d’être relativisé. Seul le centre de l’œil voit parfaitement clair : les côtés de notre vision voient tellement flou qu’ils sont incapables de déchiffrer un texte ou un symbole. La partie centrale de notre vision — la macula — concentre environ 4 millions de photorécepteurs par œil, un chiffre moins impressionnant. L’œil parvient pourtant à dominer la puissance brute des capteurs photo en rusant : il se déplace en une fraction de seconde pour permettre à la macula de recueillir des informations aux quatre coins de la scène. A tout moment, sans nous en rendre compte, sans même bouger la tête, nous pouvons accéder à n’importe quel morceau d’un tableau comportant l’équivalent de plusieurs centaines de millions de pixels.
- Première parade : Si la finesse des détails vous importe beaucoup, il existe des solutions pour améliorer vos photos. Passez votre appareil en mode paysage, ou si vous êtes familier des réglages photographiques, fermez le diaphragme aux alentours de F/8 avec une sensibilité de 100 ISO. Si vous photographiez en basse luminosité, placez votre appareil sur pied pour éviter les petites secousses qui peuvent rendre les détails flous.
- Seconde parade : Soignez votre équipement. Si vous êtes équipé d’un appareil à objectif amovible, choisissez attentivement vos optiques en fonction de leur aptitude à restituer les détails. Si vous disposez d’un budget confortable, préférez un appareil doté d’un grand capteur photo, mieux à même de capturer la finesse des détails. Gare aux appareils photo dotés d’un petit capteur qui affichent un nombre de mégapixels exceptionnel. Ils ne prennent pas nécessairement des images plus détaillées.
« La nuit, je vois plus clair que mon appareil photo »
Dans la nuit noire, il faut ruser pour restituer la clarté perçue par l’œil, en laissant l’appareil ouvert 30 secondes comme ici. Si on n’utilise pas cette technique de la « pose longue », on obtient une photo comme celle du dessus : un nuage de points informe.
Dans la nature, loin des éclairages urbains, les yeux ne voient guère mieux que les appareils photo. Surtout quand la lune est voilée : tous deux sont alors presque aveugles. Mais au bout de quelques minutes, les performances de l’œil s’améliorent grandement, alors que celles de l’appareil photo n’évoluent pas. Après quinze minutes d’obscurité, l’œil finit par percevoir des formes claires quand l’appareil photo ne voit qu’un brouillard de points informe. L’œil est capable de s’adapter à l’obscurité grâce à des processus chimiques et neurologiques qui nécessitent jusqu’à quarante minutes de temps.
- La parade : L’appareil photo a ceci de supérieur sur l’œil qu’il prend ses images à l’unité quand l’œil en saisit plusieurs dizaines par seconde. L’appareil photo peut donc prendre tout son temps pour immortaliser une scène, il peut boire les photons pendant quelques dizaines de secondes si c’est nécessaire. Cela lui permet de compenser son handicap et même de dépasser les performances de l’œil humain dans l’obscurité.
Mais pour réussir ce type de photo en « pose longue », tous les éléments de l’image doivent être parfaitement immobiles sous peine de paraître flous, et vous devez impérativement poser votre appareil sur un pied ou un support. A moins que ce flou soit volontaire. Certains photographes y voient parfois un atout esthétique. Par exemple, ce flou peut donner à la mer une texture vaporeuse. Au passage, rien n’interdit de jouer avec les réglages de l’appareil photo pour rendre l’image exagérément claire, ou exagérément sombre.
Les appareils photo ont encore un long chemin à parcourir avant d’égaler les performances de l’œil humain. / NICOLAS SIX / LE MONDE