Au Mali, torpeur et déception après les résultats de l’élection présidentielle
Au Mali, torpeur et déception après les résultats de l’élection présidentielle
Par Morgane Le Cam (Bamako, correspondance)
Hier soir, les deux favoris, Ibrahim Boubacar Keïta et Soumaïla Cissé, se sont qualifiés pour le second tour, prévu le 12 août.
Les journalistes attendent le favori de l’élection présidentielle, Ibrahim Boubacar Keïta, à Bamako (Mali), le 30 juillet. / ISSOUF SANOGO / AFP
Ce jeudi soir 2 août, le siège du parti du candidat Soumaïla Cissé est bien vide. Une dizaine de militants errent dans les couloirs, tandis qu’à l’étage, Tiébilé Dramé enchaîne les rendez-vous, comme à l’ordinaire. Dans le bureau du directeur de campagne du chef de file de l’opposition, seule la chaîne de télévision a changé. Ce soir, il parle tout en lorgnant sur l’ORTM, la télévision nationale. Il est 20 heures. Des rumeurs circulent concernant une proclamation des résultats provisoires du premier tour de l’élection présidentielle du 29 juillet, en direct sur la télévision nationale. Mais le ministère de l’administration territoriale dément. Ça sera demain, disent-ils.
Contre toute attente, à 21 heures, Mohamed Ag-Erlaf, le ministre de l’administration territoriale, apparaît à l’écran. Face au poste de télévision, une poignée de militants ont la mine déconfite. Leur candidat, « Soumi », est bien qualifié pour le second tour, mais son score leur semble dérisoire : 17,8 % des voix (573 111 voix), contre 41,42 % (1,3 million de voix) pour le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Le duel du second tour sera le même que lors de la dernière présidentielle de 2013. Mais en cinq ans, l’écart entre les deux adversaires s’est creusé : IBK gagne 1,6 point, Soumi en perd 1,9.
Le leader de l’opposition Soumaïla Cissé lors d’une conférence de presse à la Maison de la presse à Bamako (Mali), le 1er août. / ISSOUF SANOGO / AFP
« Il faut rejeter les résultats, il faut le déclarer maintenant et tout de suite, et prendre nos responsabilités », panique un militant en quittant le siège. « C’est une élection tripatouillée. En 2013, il y avait quasiment un consensus autour de IBK et il avait fait 39,8 % au premier tour ! Aujourd’hui, on nous annonce qu’il fait 41 % ! Ce n’est pas normal », s’emporte Abdourahmane Traoré.
A l’étage, Tiébilé Dramé est enfermé dans son bureau. Pour lui, le score de son candidat a été rabaissé. « Nous allons saisir la Cour constitutionnelle », annonce-t-il quelques heures plus tard. En 2013, onze recours avaient été déposés, mais aucun n’avait abouti. « Notre sentiment, c’est que le plan de premier tour, un coup K-O, du camp d’IBK, s’est évanoui. Ils sont arrivés à un score de 41 % à la suite de fraudes immenses, parce qu’ils savaient que politiquement, une victoire au premier tour ne passerait pas », estime-t-il.
Un membre de l’équipe de campagne du candidat Aliou Diallo, troisième homme de ce premier tour avec 7,95 % des voix, dénonce également une manipulation. Avant la publication des résultats, M. Diallo, comme 18 des 23 autres candidats à l’élection, avaient déjà annoncé qu’ils n’accepteraient pas « des résultats affectés par des irrégularités ». Dans un communiqué conjoint daté du 31 juillet, le groupe avait dénoncé un « retrait massif de cartes d’électeurs par des personnes non titulaires (…), corruption et achat de votes, bourrage d’urnes et attribution de résultats fantaisistes à des candidats ».
L’opposition craint une fraude
L’impartialité de la Cour constitutionnelle, chargée de proclamer les résultats définitifs, avait également été remise en question. Le camp d’IBK était immédiatement monté au créneau, dénonçant des « procédés graves qui visent à discréditer un processus transparent et salué comme tel par l’ensemble des acteurs internationaux et nationaux indépendants ».
Au lendemain du premier tour, la mission d’observation de l’Union européenne (MOUE), tout comme l’opposition, avait estimé que le scrutin s’était globalement bien déroulé. Mais la demande de publication par les autorités d’une liste détaillée des bureaux de vote où le premier tour n’a pas pu se tenir, le 29 juillet, notamment en raison de l’insécurité, est restée sans réponse. 767 bureaux, soit 3,3 % du total, ont été privés d’élection, selon le ministère de l’administration territoriale (MATDS). L’opposition craint une fraude organisée en partie sur ces bureaux. Pour lever les doutes, elle réclame une publication des résultats bureaux de vote par bureaux de vote, tout comme la MOUE.
Taux de participation de 43 %
Au quartier général du président sortant, une heure après la publication des résultats du premier tour, les quelques militants présents refusaient d’alimenter cette polémique autour d’une prétendue fraude, qu’ils jugent ridicule. « Ce premier tour est un franc succès. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, mais le Malien lambda sait ce qu’IBK a fait pour le Mali. Soumaïla Cissé doit s’estimer heureux qu’il y ait un second tour », estime Mamadou Wagué, un militant de la majorité présidentielle.
Autour de lui, une poignée de sympathisants débouchent deux bouteilles de champagne sans alcool, amenée à la va-vite par un des leurs. Ici aussi, la proclamation des résultats a surpris. La célébration des 41 % durera un petit quart d’heure. « Peut-être qu’ils ont donné les résultats le soir pour éviter d’éventuels troubles », spécule Fatimata Traoré, une autre militante, avant de s’en aller. Devant le siège, le calme règne. « Je suis déçu, on s’attendait à passer au premier tour », lâche un autre en montant dans son véhicule.
Jeudi soir, les rues désertes de Bamako, comme les quartiers généraux des partis, témoignaient de la torpeur citoyenne vis-à-vis d’un processus électoral peu suivi. Le taux de participation annoncé par les autorités est de 43 %. C’est six points de moins que lors de la dernière élection de 2013, mais plus que la moyenne du taux de participation des cinq derniers scrutins présidentiels (35 %).
Posté devant le siège de M. Cissé, Amassali Gandi tente de comprendre les 17 % de son candidat. Pour lui, l’abstention a joué en faveur d’IBK : « En 2013, l’effervescence populaire était là. Mais aujourd’hui, beaucoup d’opposants à IBK se sont dit qu’aller voter contre lui ne servirait à rien, parce qu’ils n’ont plus confiance en ce régime », estime-t-il avant de conclure, la mine déconfite :
« Le fait de ne pas aller voter, c’était leur façon à eux de contester. »