« Attends, je prends un soda ! » Sarah slalome entre les baby-foot, commande une boisson, puis se dirige vers le jeune homme qui contrôle les tickets : « Avengers, c’est la deuxième porte. » La jeune fille de 14 ans est venue avec un groupe d’amis. Pantalon taille haute, tee-shirt large, les cheveux tenus par une queue-de-cheval, elle fait des selfies avec ses copines pendant que les garçons achètent du pop-corn. « C’est un bon cinéma, on vient pendant les vacances », explique-t-elle.

A Alger, dans le centre commercial situé au pied de l’esplanade du Mémorial du martyr, le Cosmos est devenu une salle dynamique. « On fait quatre projections par jour. Nous accueillons surtout des groupes de jeunes, mais aussi des familles avec enfants ou des couples », explique l’un des employés de ce cinéma géré par l’Etat. La foule présente sur l’esplanade profite des manèges, des jeux vidéo, des vendeurs de crêpes et de gaufres. A l’affiche ce jour-là, le dernier Avengers, mais aussi Taxi 5 ou le long-métrage d’horreur Action ou vérité. « Je viens quand il y a de nouveaux films. Avengers, tout le monde l’a vu, donc il fallait que je le voie aussi », explique Yasmine, 18 ans, venue avec une camarade de cours.

« Quatre à cinq séances complètes d’affilée »

Cette effervescence ne va pas de soi dans une ville qui a vu disparaître progressivement ses salles pendant la guerre civile de la décennie 1990. Dans les années 1980, Alger en comptait entre trente et quarante, contre une dizaine actuellement, concentrées dans le centre-ville.

Le changement s’est amorcé en 2014 lorsque le distributeur MD Ciné a décidé d’investir dans la technologie numérique, permettant la diffusion des dernières productions presque au moment de leur sortie mondiale. Les cinémas avec lesquelles il avait un partenariat ont ainsi retrouvé des couleurs, séduisant de plus en plus les jeunes.

Derrière le guichet de la salle Ibn Zeydoun, Mamoune Senouci, responsable de la programmation, se réjouit. « Nos plus grands succès cette année, ce sont les dessins animés Coco et Ferdinand à l’automne. On pouvait avoir quatre à cinq séances complètes d’affilée. » Ses 494 fauteuils ont également été pris d’assaut pour la diffusion du dernier Star Wars ou de C’est tout pour moi, le film de la comédienne, humoriste et réalisatrice Nawell Madani. « Nous avons gagné un public de trentenaires et de quadragénaires qui ont un bon salaire et veulent sortir. Ce sont eux qui remplissent nos séances du soir », note M. Senouci.

Parmi les ingrédients du succès figurent les réseaux sociaux, utilisés pour annoncer la programmation de la semaine. Surtout, expliquent les professionnels, l’arrivée du format numérique DCP permet de diffuser des longs-métrages quelques semaines avant qu’ils soient disponibles en streaming. Une condition nécessaire pour que MD Ciné, le seul distributeur présent sur le marché pour le moment, soit en mesure de remplir les salles et de gagner de l’argent.

Porte close

L’élargissement de l’offre de films a fait plus que doubler le prix des billets – qui oscille désormais entre 400 et 600 dinars algériens (entre 2,90 et 4,30 euros) – mais, dans une capitale où les distractions sont rares, surtout pour les jeunes, la hausse ne décourage pas le public. « Ce n’est pas un problème. Je suis prête à payer pour ça », assure ainsi Yasmine.

Car nombre d’anciennes salles gardent porte close, comme celles de Bab el-Oued et de Belouizdad, quartiers populaires d’Alger. Ou comme les mythiques Sierra Maestra et Afrique (avec ses plus de 1 200 places), toujours fermées malgré des travaux de réhabilitation. « Quand j’étais jeune, j’allais souvent au cinéma : l’Africa, l’Algeria, ce sont de bons souvenirs. Mais aujourd’hui, il n’y en a plus beaucoup. Je regarde les films à la maison », avoue Malik, jeune père de famille.

Yacine, trentenaire cinéphile, opte régulièrement pour les projections organisées par les instituts étrangers ou certains ciné-clubs. « Je viens dans les grandes salles surtout pour voir quelques nouveautés. Je n’aime pas trop leur programmation, trop axée sur les blockbusters », estime-t-il, tout en jugeant l’évolution « positive, car plus de gens vont au cinéma » et le nombre d’écrans augmente. Abdenour Hochiche, ancien responsable des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, festival qui encourage la création algérienne, confirme : « Ces salles programment des films de manière régulière et font une bonne communication. Ça marche pour le jeune public. »