Au Bénin, un député soupçonné d’être un « baron » du trafic de médicaments
Au Bénin, un député soupçonné d’être un « baron » du trafic de médicaments
Par Hermann Boko (contributeur Le Monde Afrique, Cotonou)
Accusé d’avoir importé et vendu frauduleusement les produits d’un laboratoire indien, le député Mohamed Atao dénonce un procès politique.
Mohamed Hinnouho Atao vient de prendre une douche et s’assoit sur un lit de l’infirmerie de la prison civile de Cotonou, au Bénin. Nous sommes le mardi 26 juin. La chambre est sombre et le député, proche de l’opposition, s’aide d’une lampe torche pour fouiller dans les nombreux dossiers posés au pied du lit. A l’entrée, deux gardiens surveillent les allées et venues des visiteurs.
« Je ressens encore quelques douleurs, mais cela va beaucoup mieux », affirme-t-il d’une voix nasillarde. Mohamed Atao a été arrêté en mai, juste après son retour de Paris, où il s’était enfui fin décembre. D’abord molesté par des policiers dans le bureau d’un juge des libertés, il sera enfermé dans une chambre du service psychiatrique du Centre national hospitalier et universitaire de Cotonou, avant d’être déposé de force à la prison civile.
Cela fait plus de trois mois que l’élu de 42 ans, ancien représentant pharmaceutique du laboratoire indien New Cesamex, basé en République démocratique du Congo (RDC), est placé sous mandat de dépôt pour importation de marchandises prohibées, exercice illégal en pharmacie, rébellion, violences et voie de fait. Il doit comparaître une nouvelle fois ce mardi 7 août, au tribunal de première instance de Cotonou, son immunité parlementaire ayant été levée deux semaines plus tôt.
Lors de sa première comparution, le 12 juin, c’est en fauteuil roulant que le député s’était présenté au juge. Il avait plaidé non coupable. « C’est un procès politique. Tout le monde sait qu’il importe de manière légale des produits pharmaceutiques. Il a tous les documents administratifs », avait affirmé Alfred Bocovo, son avocat.
Une pharmacie à ciel ouvert
Mohamed Atao et sa femme, Salamatou Karimou, ont longtemps été soupçonnés d’être des acteurs majeurs du trafic de médicaments et d’approvisionner, notamment, le marché Adjégounlè, cette pharmacie à ciel ouvert, au cœur de Cotonou, où se vendaient en toute illégalité des médicaments. Ce marché a été démantelé en février à la suite de l’opération « Pangea IX » menée par Interpol.
Mais aucune preuve n’a pu être établie jusqu’à ce que la police perquisitionne, en décembre 2017, des entrepôts appartenant au député suite à l’interpellation d’un véhicule chargé d’une importante quantité de médicaments à Akpakpa, le fief de Mohamed Atao. Près de 1 000 cartons de médicaments génériques du laboratoire New Cesamex y ont été saisis. Ils avaient été précommandés par des grossistes locaux, dont la Centrale d’achat des médicaments essentiels (CAME), une entité publique. « A l’époque, je revenais d’Inde, où j’étais allé me soigner pour des douleurs dorsales », précise Mohamed Atao en se perdant dans les dizaines de tampons d’entrée et sortie de son passeport.
New Cesamex, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, dispose d’une autorisation de mise sur le marché béninois et d’un visa commercial depuis plusieurs années pour ses produits, principalement des antipaludéens et des antibiotiques. Problème, les médicaments trouvés dans les entrepôts du député n’ont pas pu être identifiés dans les bases de données de la douane. « On reproche à Mohamed Atao d’importer frauduleusement, d’entreposer et de vendre des médicaments sans être pharmacien. Au Bénin, il n’y a que les grossistes qui ont le droit d’importer des médicaments », résume un cadre du ministère de la santé qui a requis l’anonymat.
Elu sous les couleurs du PRD
Mohamed Atao, présenté de manière subliminale par le président béninois, Patrice Talon, comme le « baron » du trafic de médicaments lors d’une conférence internationale sur les produits médicaux, en mai à Genève, s’est révélé au grand public à partir de 2007. L’homme d’affaires a alors 32 ans et s’apprête à entrer en politique. A Akpakpa, la circonscription électorale la plus peuplée du Bénin, il gère déjà des œuvres caritatives et finance l’évacuation des eaux de pluies des rues inondées.
Le Parti du renouveau démocratique (PRD), qui vient de perdre la présidentielle avec Adrien Houngbédji (devenu depuis président de l’Assemblée nationale), l’investit alors candidat aux législatives. « Le parti avait besoin d’un nouveau souffle et surtout de beaucoup d’argent, explique un membre du PRD. On ne connaissait pas vraiment la source de sa richesse, mais on se doutait que ses activités avaient un lien avec la vente de médicaments. »
En plus d’un immeuble de huit étages qu’il fait construire pour ses activités politiques, Mohamed Atao distribue des milliers de motos chinoises floquées de son nom à des zémidjans (motos-taxis) acquis à sa cause. S’il n’est pas élu député en 2007, il réussit en 2011. Puis il prend son indépendance en créant en 2015 son propre parti, Reso Atao. « J’ai vu que la population m’admirait. J’étais un peu comme un spectacle, une attraction, je mobilisais beaucoup de monde », relate l’intéressé.
Sa fortune vient-elle de la vente de médicaments ? Le député nie – il dit avoir investi dans l’agriculture. « Je ne suis pas actionnaire de New Cesamex, les Indiens n’aiment pas que les Africains se mêlent de leurs affaires. Je n’ai été que représentant pharmaceutique pendant deux ans, jusqu’en 2008. J’ai arrêté quand j’ai commencé mes affaires politiques. C’est un Indien [lui aussi en prison] qui s’occupe des activités du laboratoire. Mais il est vrai que c’est moi qui ai introduit New Cesamex au Bénin. »
A l’en croire, son lien avec le laboratoire se limite à des contrats de location d’entrepôts. Mais lors d’une émission sur la chaîne publique ORTB, en 2016, Mohamed Atao s’était présenté comme membre de deux grands groupes pharmaceutiques chinois et indien.
Acharnement politique ?
Issu d’une famille de commerçants, Mohamed Atao s’est mis très tôt à vendre des comprimés importés du Nigeria – une activité qu’il a héritée de sa mère. Un de ses anciens camarades de collège, à Porto-Novo, raconte : « A cette époque, il vendait déjà des plaquettes d’aspirine ou de paracétamol de maison en maison. Et il ne venait pas souvent au cours. Ce n’était pas un très bon élève, mais il aimait traîner avec les meilleurs de la classe. » Un autre ancien élève se souvient : « Un jour, il nous a dit : “Vous, vous étudiez, mais moi j’achèterai avant vous un 4x4 et je vous marcherai dessus.” »
Dans le milieu des pharmaciens, personne ne veut parler de Mohamed Atao à visage découvert. Mais certains l’accusent d’importer frauduleusement des médicaments et de les déverser sur le marché informel à travers la société Cab SARL, créée en 2009 au nom de sa femme et autorisée à importer des consommables médicaux, à l’exception des médicaments. « Qu’on m’apporte des preuves ! », rétorque le député, oubliant que ladite société s’est déjà vu infliger, en 2011, une amende de 500 000 francs CFA (760 euros) pour avoir fait fi de l’interdiction d’importer et de vendre des médicaments et réactifs de laboratoires.
Mohamed Atao emporte avec lui toutes les structures avec lesquelles il était en relations d’affaires. Sept distributeurs de faux médicaments ont été condamnés à quatre ans de prison et 100 millions de francs CFA d’amende (150 000 euros). Ils ont fait appel. Le gouvernement a décidé du retrait des produits de New Cesamex et a retiré l’agrément de distribution des produits pharmaceutiques à la CAME.
Le présumé « baron », lui, devrait être fixé sur sort ce mardi. Après avoir dénoncé un acharnement politique, son parti, Reso Atao, a déclaré son soutien au président Patrice Talon, peut être dans l’espoir de bénéficier de la bienveillance du pouvoir.