L’avis du « Monde » - Pourquoi pas

Comme pour un sportif qui traverse une phase de méforme, on peut diagnostiquer le semi-échec de L’Espion qui m’a larguée à travers deux statistiques : les 117 minutes de durée, équivalent cinématographique du surpoids, le bilan humain (une trentaine de morts, des dizaines de blessés, les chiffres exacts sont tenus secrets) qui indique l’incapacité à s’en tenir à l’objectif fixé, faire rire. Non que le film de Susanna Fogel ne soit jamais drôle. Ce serait impossible puisque la co-star en est Kate McKinnon, pilier de l’émission Saturday Night Live (elle y imite, entre autres, avec une furie comique dévastatrice, le procureur général des Etats-Unis, Jeff Sessions). Mais le duo qu’elle forme avec Mila Kunis, deux Californiennes précipitées dans la toile d’araignée de l’espionnage planétaire, manque de carburant comique pour tenir la distance.

Le film commence par un massacre dans les rues de Vilnius : un homme (Justin Theroux) se met à abattre des individus patibulaires, avec une efficacité qui laisse deviner en lui le professionnel. Pendant ce temps, à Los Angeles, Audrey (Mila Kunis) célèbre tristement son anniversaire, malgré les efforts de Morgan (Kate McKinnon) pour lui remonter le moral. Comment pourrait-elle faire bonne figure ? Drew, son petit ami, l’a larguée par SMS. Au moment où elle croit toucher le fond, le téléphone d’Audrey sonne. Surprise (pas pour le spectateur, amplement informé par un scénario qui fait systématiquement l’économie de l’ellipse), Drew n’est autre que le Terminator de la Baltique.

Des agentes secrètes malgré elles, descendantes du duo des « 39 Marches », d’Hitchcock, et de « L’Homme de Rio », de Philippe de Broca

Il annonce son retour et dévoile à Audrey sont statut d’agent américain poursuivi par le crime organisé russe et la CIA, qui le soupçonne d’avoir trahi. Entraînée par Morgan, une fille très enthousiaste qui ne laisse pas la réalité se dresser sur son chemin, Audrey part pour l’Europe afin de mener à bien la mission que lui a confiée Drew avant de mourir (ou pas).

Satire du tourisme états-unien

Descendantes du duo des 39 Marches, d’Hitchcock, et de L’Homme de Rio, de Philippe de Broca, les agentes secrètes malgré elles sont par moments dignes de leurs illustres ancêtres. Il faut pour cela que la réalisatrice obtienne l’alignement exact entre les lieux communs du film d’espionnage moderne (entre Mission impossible et Jason Bourne), la satire du tourisme états-unien sur le Vieux Continent (sur une place praguoise, une tueuse à gage se voit intimer l’ordre d’abattre au fusil à lunette « deux Américaines qui font les imbéciles » et doit renoncer face à l’abondance de l’offre) et l’invention comique de Kate McKinnon.

L’empilement de péripéties aussi convenues que saugrenues finissent par susciter l’indifférence

On pourrait continuer longtemps (puisque le film est long) l’inventaire de ce qui marche et de ce qui fait long feu. Dans la première catégorie, l’apparition de Gillian Anderson en prêtresse du renseignement britannique et l’adoration qu’elle suscite chez Morgan, l’une de ces occasions où le thème du scénario et la singularité de McKinnon s’accordent parfaitement. On notera aussi l’apparition de Kev Adams en chauffeur de VTC viennois. Selon la tolérance dont on fait preuve à l’égard de l’idole des jeunes Français, on se réjouira ou pas du sort réservé à son personnage.

Au début du film, la difficulté de Mila Kunis à tenir le rythme imposé par sa partenaire ; la brutalité des scènes d’action dont on ne distingue plus si elles procèdent d’une intention burlesque, et l’empilement de péripéties aussi convenues que saugrenues qui finissent par susciter l’indifférence. Il faudra encore attendre pour savoir si Kate McKinnon trouvera au cinéma de quoi exprimer sa formidable puissance comique.

L'ESPION QUI M'A LARGUÉE - Bande-annonce VF
Durée : 02:22

Film américain de Susanna Fogel, avec Mila Kunis, Kate McKinnon, Justin Theroux, Sam Heughan (1 h 57). Sur le web : www.facebook.com/LespionQuiMaLarguee