Poussés à se renouveler, les Oscars vont-ils « perdre leur âme » ?
Poussés à se renouveler, les Oscars vont-ils « perdre leur âme » ?
Par Charlotte Chabas
En mars, ils n’étaient plus « que » 26,5 millions de téléspectateurs à scruter le gratin hollywoodien, en chute de 19 % par rapport à 2017. L’Académie a lancé un plan de bataille qui ne convainc pas.
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Durée : 02:02
Vite, il fallait redorer la plus célèbre des statuettes américaines. Voilà plusieurs années que les Oscars, la grand-messe du cinéma américain, traversaient une crise existentielle, façon Kevin Spacey dans American Beauty (2000). Las, en mars 2018, pour les quatre-vingt-dix ans de la célèbre cérémonie, ils n’étaient plus « que » 26,5 millions de téléspectateurs à scruter les tenues de soirée du gratin hollywoodien, soit 19 % de moins que l’année précédente. La pire audience de l’événement depuis 1974 – un Voyage au bout de l’enfer (1979) pour la prestigieuse Academy of Motion Pictures Arts and Sciences.
Comment renverser la vapeur pour éviter que le paquebot cinématographique ne continue de sombrer et retrouver les sommets de 1998 où Titanic était consacré devant 55 millions de téléspectateurs ? « Le changement arrive aux Oscars », a promis, mercredi 8 août, l’Académie, en publiant une série de mesures censées restaurer l’image exsangue de l’institution, régulièrement taxée ces dernières années de racisme ou de misogynie pour le manque de diversité de son palmarès.
« Une retransmission de trois heures »
D’abord, l’événement sera autant raccourci qu’un Seigneur des Anneaux (2004) de Peter Jackson. D’environ quatre heures actuellement, la cérémonie passera dorénavant à « une retransmission de trois heures, plus accessible globalement », a annoncé dans une lettre adressée aux 5 000 membres de l’Académie le tout juste réélu président de l’institution, John Bailey.
Une réduction qui s’opérera sans supprimer les célèbres statuettes. Mais certaines récompenses seront remises lors des coupures publicitaires, et un court extrait en sera ensuite diffusé à l’antenne plus tard dans la soirée. Une manière peu subtile de préserver la disctinction entre petites mains du cinéma reléguées au rôle de figurants et catégories reines d’Hollywood.
7 février
Autre nouveauté : la temporalité. Depuis une décennie, l’industrie du cinéma américain critiquait vertement le choix d’organiser les Oscars à la toute fin du mois de février – voire parfois début mars. Une option jugée trop tardive dans la saison des récompenses, sachant que la cérémonie des Golden Globes se tient près de deux mois plus tôt. L’Académie a donc décidé d’accélérer le pas à l’image de Forrest Gump (1994) dans les grandes plaines américaines : la 92e cérémonie – en 2020 donc – sera fixée le 7 février, et non le 23, comme annoncé initialement.
Cérémonie des Oscars du 4 mars 2018, présentée par Jimmy Kimmel. / MARK RALSTON / AFP
Alors certes, A l’Ouest, rien de nouveau (1930), pourraient dire certains. Mais l’Académie a gardé un argument de poids pour finir de convaincre son public, avec la création d’une toute nouvelle catégorie primée. Dès 2020, une statuette sera en effet remise au « Meilleur film populaire », a averti l’Académie – sans préciser toutefois les critères d’éligibilité à cette catégorie. Derrière cette démarche, la volonté d’en finir avec les accusations d’élitisme, alors que l’Académie est accusée de bouder des poids lourds du box-office, leur préférant de modestes succès de salles.
La National Public Radio (NPR) ne s’étonne guère de la démarche :
« L’Académie veut s’assurer, grâce à cette nouvelle catégorie, des films – des acteurs et des réalisateurs – pour lesquels le public n’a pas seulement un vague intérêt, mais une véritable passion. L’Académie veut des yeux écarquillés. »
Cette stratégie d’ouverture – adoptée également par les Césars avec le « prix du public » – avait déjà motivé le passage, dès 2010, de cinq à dix films sélectionnés pour la catégorie du « Meilleur film ». Une décision précipitée notamment par le tollé provoqué par le traitement du blockbuster The Dark Knight de Christophe Nolan, carton au box-office et nommé pour huit Oscars, à l’exception notable du souverain « Best picture ».
Qu’est ce qu’un film « populaire » ?
Reste que la création de cette nouvelle catégorie dans le saint des saints du cinéma américain a provoqué mercredi autant de turbulences qu’un Christian Fletcher à bord du Bounty (1962). Et la presse américaine de s’interroger à l’unisson : qu’est ce qu’un film « populaire » ? Ne se caractérise-t-il que par le nombre de dollars qu’il rapporte à ses producteurs ? Et surtout, un film « populaire » ne peut-il pas être aussi un « bon film » ?
Le magazine Rolling Stone s’insurge ainsi contre ce qu’il qualifie d’« altération dans l’intégrité même des Oscars » :
« Dans toute forme d’art existe une tension entre ce qui est populaire et ce qui est bon. (…) Ce qui a toujours prévalu depuis près d’un siècle, même si la sélection était parfois qualifiée d’idiote ou d’obtuse, c’est la confiance dans le fait que l’Académie choisissait ce qu’elle considérait comme les plus belles réussites du cinéma. »
Car des succès du box-office n’ont pas toujours été écartés des nominations, loin de là. Avatar autant que Mad Max: Fury Road étaient ainsi bien présents en 2010 et 2016. Au moment de leur sortie, Kramer contre Kramer (1980), Rain Man (1989) ou Gladiator (2000) figuraient dans le top cinq du box-office annuel.
« Populisme consternant »
En écho, Manohla Dargis, critique cinéma au New York Times, n’a ainsi pas tardé à dénoncer une décision « stupide, insultante, et pathétiquement désespérée ». Et le quotidien américain de rappeler notamment le cas actuel de Black Panther. Formidable « machine à cash », déjà classé trentième film le plus rentable de l’histoire du cinéma, le film de Ryan Coogler a également été largement salué par la critique. Dès lors, dans quelle catégorie devrait-il figurer ?
Le Huffington Post poursuit la réflexion, évoquant une manière de caresser dans le sens du poil les grands studios de cinéma : « Pourquoi persister à juger de plus en plus de la valeur des choses par lʼargent quʼelles rapportent ? »
« Si on veut encourager le jury à récompenser des films plus grand public, la bonne méthode nʼest pas de le faire par une nouvelle récompense à bas prix. (…) Très franchement, il y a un populisme consternant dans ces tentatives faiblardes de se remettre au goût du jour. »
De son côté, Vanity Fair – sous un péremptoire titre « Le meilleur film populaire ne résoudra rien » – prédit ainsi à la catégorie une « vie dans l’ombre – un ghetto pour films trop populaires, trop clinquants, ou même trop mauvais pour mériter une vraie nomination dans la catégorie de “Meilleur film” ». Et accuse les Oscars de « risquer de perdre leur âme ».
Surtout, la presse s’interroge sur la motivation même de l’Académie, doutant du fait que cette seule catégorie pourra permettre d’attirer à nouveau un public – surtout jeune – qui se détourne massivement de la télévision en direct et des programmes en prime time. Rolling Stone s’interroge ainsi :
« Les téléspectateurs vont-ils vraiment rester nombreux pour savoir qui de “Jurassic World: Fallen Kingdom” ou de “Avengers: Infinity War” l’emporte ? »
Reste que les Oscars sont une institution lucrative, Tant qu’il y aura des hommes (1953) pour la regarder. Les droits de diffusion de la cérémonie couvrent quelque 83 % des 148 millions de dollars de revenus de l’Académie. Et de nombreux esprits taquins se sont ainsi interrogés sur ce que l’Académie était prête à faire pour continuer son activité. Le critique d’Indie Wire, David Ehrlich, s’est ainsi essayé à une projection futuriste :
« 2020 : nouvel Oscar du “Meilleur univers cinématographique”, 2022 : nouvel Oscar de la “Meilleure série qui te donne l’impression d’un film de 10 heures”, 2024 : nouvel Oscar du “Meilleur gif”. »