L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Entre les pages du court ­roman dont est tiré Sur la plage de Chesil, on respire des vapeurs toxiques, dont les ingrédients sont pourtant a priori inoffensifs, voire salutaires. Les odeurs de bouilli de la cuisine britannique de l’après-guerre, le parfum entêtant des pots-pourris qui trônaient sur le mobilier victorien, l’air marin respiré lors de promenades en mer, dont la raison d’être était autant le loisir que la célébration de l’héritage naval de l’empire, constituent l’atmosphère dans laquelle s’épanouit puis s’étiole d’un coup l’idylle ­entre Florence et Edward. Ian McEwan y transformait un amour que ses protagonistes croyaient infini en une tragédie dont le coup de théâtre était le plus dérisoire des accidents physiologiques.

Il ne manque rien à cet inventaire (dont ce qui précède n’est qu’un aperçu partiel) dans le film de Dominic Cooke. Rien, sauf la souffrance, la cruauté. Sur la plage de Chesil, le film, remplit le rôle de la brochure d’une agence de voyage en vue d’un départ vers une destination exotique, alignant des images empruntées à la réalité, incapables d’en rendre la ­richesse. Mais les images des films bougent et parlent, ­celles que met en scène Dominic Cooke sont ­habitées par des ­actrices de haut vol, au premier rang desquelles Saoirse Ronan, dans le rôle de ­Florence Ponting, la jeune épouse dont le mariage heurte violemment le premier écueil – la nuit de noces.

Retours en arrière

Fille d’un petit industriel ­conservateur et d’une mère ­enseignante à Oxford (Emily Watson, terrifiante), Florence s’est éprise d’Edward Mayhew (Billy Howle), fils d’un directeur d’école et d’une femme qu’un accident a privée de sa raison (Anne-Marie Duff, déchirante). Leur idylle se déploie au fil de retours en arrière qui sont l’occasion de faire rouler de vieilles Jaguar dans les rues d’Oxford, de mêler les derniers échos de la variété britannique et les fracas du rock’n’roll.

Billy Howle et Saoirse Ronan dans « Sur la plage de Chesil » (« On Chesil Beach »), de Dominic Cooke. / MARS FILMS

Le présent est occupé par l’arrivée des jeunes mariés dans un ­petit hôtel charmant au bord de la plage de Chesil, dans le Dorset. ­Minutieusement, Dominic Cooke, réalisateur dont le curriculum ­vitae (Royal Shakespeare Company, BBC…) garantit la qualité ­britannique, fait apparaître à l’écran les éléments constitutifs d’une époque (les derniers jours du royaume conservateur, juste avant l’élection de Harold Wilson et l’irruption des Beatles), sans que ceux-ci prennent plus de saveur que les sushis de cire à la devanture d’un restaurant japonais.

Les interprètes sont assez présents pour que l’on s’inquiète au sujet de ces jeunes gens. Saoirse Ronan trouve la raideur des jeunes filles britanniques d’antan (elle s’était essayée à un registre voisin dans Brooklyn), fait sentir la passion et la panique qui agitent Florence. Lorsqu’il faut mener cette idylle un peu ridicule et tout à fait ­tragique à son terme, sur l’interminable grève qui donne son titre au film, la jeune actrice irlandaise et son partenaire atteignent une ­intensité qui aurait sauvé le film s’il s’était arrêté là.

Séquence finale éculée

Mais un long épisode vient ­défaire cette victoire des interprètes sur le conformisme de la réalisation. On n’est pas obligé de lire ce qui va suivre si on a l’intention de voir le film de Dominic Cooke. Reste que le phénomène mérite d’être signalé. Dans Sur la plage de Chesil (Gallimard, 2008), Ian McEwan évoquait laconiquement le devenir de ses mariés, replaçant sans emphase leur malheur dans le cours des années. Le scénariste de Sur la plage de Chesil a tenu à faire vieillir ses personnages, de 1961 à 2015, à imaginer des quasi-retrouvailles par l’intermédiaire d’une charmante enfant, surgie en vertu d’une coïncidence dickensienne, puis une séquence finale réunissant Florence et Edward autour du morceau de musique que naguère ils partagèrent, soit l’une des figures les plus éculées du film sentimental.

Le procédé est d’autant plus difficile à digérer que Saoirse Ronan et Billy Howle sont grimés de façon outrancière, quels que soient les talents des ­maquilleurs : le contraste entre le naturel des jeunes gens avec lesquels on vient de passer plus d’une heure et l’artifice de ces vieillards synthétiques est insupportable.

Le scénariste qui semble ainsi galvauder la sobriété du ro­mancier n’est autre que Ian McEwan. L’écrivain refuse aux spectateurs la confiance qu’il place en ses lecteurs.

Sur la plage de Chesil - avec Saoirse Ronan - Bande-annonce VOST
Durée : 02:25

Film britannique de Dominic Cooke. Avec Saoirse Ronan, Billy Howle, Emily Watson, Anne-Marie Duff (1 h 50). Sur le Web : www.marsfilms.com/film/sur-la-plage-de-chesil et www.facebook.com/chesilbeachfilm