Jean-Marc Ayrault, le 24 octobre au Parlement turc, à Ankara. | ADEM ALTAN / AFP

Montrer la solidarité de Paris avec Ankara après la sanglante tentative de coup d’Etat du 15 juillet, sans cautionner les excès répressifs du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan. L’exercice était d’autant plus délicat pour le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, en visite dans la capitale turque lundi 24 octobre, qu’il était le premier responsable français de haut rang à s’y rendre depuis le putsch raté et à visiter les ruines d’un des bâtiments de la Grande Assemblée nationale, bombardé par les factieux. « Nous avons sous-estimé le choc. Comment pouvait-on imaginer qu’un coup d’Etat contre un gouvernement élu puisse avoir lieu dans la Turquie de 2016 ? », a reconnu le ministre dans un entretien avec le quotidien Hürriyet. Et de saluer « le courage du peuple turc qui s’est mobilisé dans les rues pour défendre la démocratie au prix de nombreuses victimes ».

Pourtant pas question, pour Jean-Marc Ayrault, de taire les sujets qui fâchent. Mais en marchant sur des œufs, car nul à Ankara n’a oublié ses propos, tenus mi-juillet, quand, peu après l’échec du putsch, il déclara que ce qui s’était passé ne devait pas donner « un chèque en blanc » au pouvoir turc pour une répression de masse. Depuis, quelque 100 000 fonctionnaires ont été limogés ou suspendus, et 35 000 personnes ont été arrêtées ou font l’objet de procédures judiciaires.

« Hypersensibilité »

Tout en reconnaissant « la pleine légitimité » des autorités turques à poursuivre et à juger les personnes impliquées dans le coup d’Etat, il a aussi rappelé – y compris lors de sa rencontre avec le président turc – l’importance du respect « des libertés fondamentales » et « d’un fonctionnement normal et apaisé des institutions, car la démocratie est le meilleur rempart contre ceux qui ne respectent pas ses valeurs ». Saisissant l’occasion d’une question lors de la conférence de presse, après la rencontre avec son homologue Mevlüt Cavusoglu, il a enfoncé le clou, soulignant la différence entre les états d’urgence en vigueur dans les deux pays. « En France, l’état d’urgence ne prévoit pas de transfert du pouvoir législatif au pouvoir exécutif, le Parlement conserve tous ses pouvoirs de législation et l’indépendance de la justice est totalement garantie », relève Jean-Marc Ayrault. Réponse sèche du ministre turc : « Il n’y a aucune différence entre l’état d’urgence en France et en Turquie, leur objectif est le même : cibler les organisations terroristes. » On frôle l’incident, mais le ton reste courtois. Sur nombre d’autres dossiers, à commencer par celui de la guerre en Syrie, les deux pays qui restent parmi les principaux soutiens de l’opposition parlent à l’unisson.

« Il faut comprendre l’hypersensibilité des Turcs sur ce coup d’Etat qui a failli réussir », explique le ministre français. M. Ayrault s’est entretenu avec des représentants de la société civile, qui lui ont exposé les dérives d’une répression de plus en plus étendue, l’ampleur des purges dans la fonction publique, la totale mainmise du pouvoir sur la justice et les pressions sur la presse. « On ne peut plus parler d’Etat de droit quand le droit repose seulement sur le courage de quelques juristes », a ainsi souligné Metin Feyzioglu, président de l’Union des barreaux de Turquie.

A la veille de l’arrivée de Jean-Marc Ayrault, le premier ministre, Binali Yildirim, annonçait que le parti au pouvoir avait achevé son projet « de nouvelle Constitution et de système présidentiel », qui sera soumis rapidement au Parlement avant un référendum, probablement au printemps. Il devrait consacrer le pouvoir sans partage de Recep Tayyip Erdogan.

Turquie : des images de surveillance du coup d'état raté rendues publiques
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