Des partisans de l’ancien président brésilien Lula, candidat à un nouveau mandat à la tête du pays, devant le Tribunal suprême électoral, le 15 août. / EVARISTO SA / AFP

Prétendants farfelus ou anti-système, politiciens traditionnels et dinosaures de la politique brésilienne se sont donné rendez-vous mercredi 15 août à Brasília. Ce jour-là le Tribunal supérieur électoral (TSE) a enregistré officiellement les centaines de candidatures pour les élections de l’automne, dont le premier tour doit avoir lieu le 7 octobre. Les Brésiliens sont appelés à désigner leurs sénateurs, députés fédéraux, régionaux et gouverneurs d’Etat et, surtout, leur prochain chef de l’Etat et son vice-président.

La présidentielle, qualifiée de « plus incertaine depuis la redémocratisation du pays », part d’une situation cocasse. Le favori des sondages, l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva candidat du Parti des travailleurs (PT, gauche) est en prison depuis le 7 avril pour des faits de corruption. A-t-il néanmoins ses chances ? Quels sont ses adversaires les plus sérieux ? Le point sur les principaux aspirants à la présidence de la République brésilienne.

  • Luiz Inacio « Lula » da Silva, l’improbable « come-back »

Du fond de sa cellule où il purge une peine de plus de douze ans de prison, Lula est « indigné », affirme la présidente du PT, Gleisi Hoffmann. « Indigné par son emprisonnement et indigné par la situation du pays, par le chômage, par l’augmentation de la mortalité infantile, par le retour de la très grande pauvreté. » Cette révolte intérieure aurait incité l’ex-chef de l’Etat de 72 ans à défier la justice pour enregistrer sa candidature à l’élection présidentielle. S’estimant injustement puni, le « père des pauvres » entend réitérer la politique mise en œuvre lors de ses deux mandats (2003 à 2010) afin de ramener le pays sur le chemin de la prospérité.

Mais les ambitions de l’ancien syndicaliste devraient être contrariées par la loi « ficha limpa » (casier propre) qui rend inéligible toute personne condamnée en deuxième instance. Le TSE devrait dans les prochaines semaines se prononcer sur la validité de sa candidature. En cas d’avis défavorable, et même si le parti refuse pour l’instant d’imaginer une telle hypothèse, Fernando Haddad, candidat à la vice-présidence, devrait être le joker du PT. Crédité d’à peine 1 % des voix, l’ancien maire de Sao Paulo, moqué de la bourgeoisie pauliste pour son obsession des pistes cyclables, est inconnu du grand public. L’ancien ministre de l’éducation de Lula aurait pourtant ses chances une fois reçu l’adoubement de son mentor. Avec un discours plus proche de la social-démocratie que de la gauche radicale, « vaidade » (vanité), comme on appelle parfois cet intellectuel, aurait aussi la capacité de séduire les électeurs de la gauche modérée, effrayés ces derniers mois par la radicalisation d’une partie du PT.

  • Jair Bolsonaro, le « Le Pen brésilien »

Militaire de réserve, Jair Bolsonaro, ancien capitaine d’artillerie de 62 ans, originaire de la ville de Campinas, dans l’Etat de Sao Paulo, bénéficie selon le sondage Datafolha de juin de 17 % d’intentions de votes, juste derrière Lula. En cas de non-candidature de ce dernier, son score grimpe à 19 %. Présenté parfois comme un « Trump tropical », affilié au Parti social libéral (PSL), il a su séduire une partie des milieux d’affaires en dépit de son ignorance totale et assumée de l’économie, sujet qu’il délègue entièrement à son expert, Paulo Guedes.

Coutumier des outrances verbales et connu pour nourrir une nostalgie poussée de la dictature militaire (1964-1985) en n’hésitant pas à rendre hommage à ses tortionnaires, Jair Bolsonaro – « Bolsomito » (le mythe Bolso) pour ses fans – a longtemps été considéré comme un énergumène sans destin. Mais son ascension aussi étonnante que fulgurante alimentée par l’écœurement des électeurs envers les candidats traditionnels englués dans les scandales de corruption et la persistance d’une insécurité inouïe, rend désormais plausible sa présence au second tour au point d’inquiéter l’establishment. Dans un éditorial daté du 14 août et titré « un vote irrationnel », le quotidien Estado de Sao Paulo, lu des milieux d’affaires, appelle les entrepreneurs à ne pas se laisser piéger par un candidat au « discours antidémocratique », « adepte de solutions qui privilégient la violence » et « ignorant des problèmes économiques du pays ».

  • Marina Silva, l’écolo évangélique

Originaire de Rio Branco, capitale de l’Etat de l’Acre au fin fond de l’Amazonie, l’ancienne ministre de l’écologie de Lula a remporté 20 % des voix lors des deux précédents scrutins présidentiels. Femme de caractère, elle avait jeté sa carte du PT, dégoûtée par les concessions du gouvernement à l’agrobusiness. A bientôt 60 ans, elle espère vivre enfin son moment. En 2010, face à Dilma Rousseff, elle était sortie meurtrie de la bataille féroce menée contre elle par le PT.

Créditée de 10 % des voix (15 % sans Lula), celle qui fut domestique et analphabète jusqu’à ses 16 ans fait campagne pour son parti vert, Rede sustentabilidade. Evangélique, elle s’affirme en faveur du mariage gay et assure qu’elle ne s’opposerait pas à la libéralisation de l’avortement. Malgré ses positions progressistes et un socle d’électeurs solides, rares sont ceux à miser sur sa victoire. Son soutien à Aecio Neves, candidat de la droite en 2014, et sa prise de position en faveur de l’« impeachment » (destitution) de Dilma Rousseff en 2016 ont troublé ses électeurs sympathisants de la gauche tandis que son intransigeance la prive d’alliances cruciales avec des partis de poids.

  • Geraldo Alckmin, le candidat de l’establishment

Ancien gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, l’ancien président du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, historiquement centre gauche aujourd’hui classé au centre droit), 65 ans, représente le camp de la droite républicaine. Vétéran de la politique, il est apprécié à Sao Paulo malgré quelques affaires louches et les rumeurs le disant membre de l’Opus Dei.

Comparé à un sorbet de « chu chu », un cucurbitacée insipide, M. Alckmin ne déchaîne pas les passions. Il plafonne entre 7 % et 9 % des intentions de votes et les analystes rappellent sa « performance » rare : avoir perdu des votes entre le premier et le second tour de la présidentielle en 2006. Dit autrement, son absence de charisme est son principal handicap.

Mais l’homme est un vieux renard de la politique et a su nouer les alliances stratégiques avec les partis du centre. Préféré des marchés, le candidat de l’establishment et de la stabilité pourrait décoller in fine, en étant considéré comme le rempart de la gauche et de l’extrême droite.

  • Ciro Gomes, l’exalté

Crédité de 6 % des voix à l’instar de Geraldo Alckmin (12 % en cas d’absence de Lula), celui qui fut à la fois ministre du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (PSDB) en 1994 et de Lula – de 2003 à 2006 – a navigué entre sept partis avant d’échouer au Parti démocratique travailliste (PDT, centre gauche). Longtemps considéré comme un suppléant potentiel de Lula dont il s’est dit chagriné par la condamnation, Ciro Gomes a finalement perdu de l’élan étant vu désormais comme un concurrent du PT.

Et il a un ennemi : lui-même. Ses sorties verbales mal contrôlées lui jouent des tours. Lors de la campagne présidentielle de 2002, les regards gênés avaient accompagné ses déclarations concernant son épouse : « Ma femme a un des rôles les plus importants, qui est de coucher avec moi. Coucher avec moi est un rôle fondamental », avait-il dit, selon le quotidien Folha de Sao Paulo. En octobre 2017, Ciro Gomes a encore fait parler de lui en raillant ses adversaires, décrivant Geraldo Alckmin en « cadavre politique » et expliquant à Marina Silva que cette campagne avait besoin de « testostérone ».